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CHAPITRE I

LE PROBLÈME ET SON CONTEXTE

Si l’intention de faire de l’école un lieu de formation des futurs citoyens semble être aujourd’hui une préoccupation partagée par de nombreux gouvernements, les réformes mises en œuvre s’inscrivent dans des contextes propres à chaque système éducatif. Ainsi, au Québec, l’énoncé de politique éducative, qui souligne que : « L’éducation à la citoyenneté peut être entendue comme l’un des fondements de la mission globale de l’école démocratique. » (MEQ, 1997, p.123) s’inscrit dans un contexte historique sur lequel il convient donc de s’arrêter pour mieux saisir les orientations actuelles.

1.1 D’une réforme à l’autre : des orientations

Au Québec, les réformes de l’éducation qui se sont succédées depuis le début des années soixante tendent à une plus grande prise en considération des élèves en tant que personnes capables d’expression et d’autonomie. Empreint d’une volonté de modernisation du système scolaire, le Rapport Parent - dont sera issue la réforme scolaire la plus importante de l’histoire contemporaine du Québec - préconise une pédagogie active, centrée sur l’élève, faisant la promotion de « l’école coopérative ». Désormais, il s’agirait de « Guider l’enfant, le retenir parfois, mais éviter d’entraver son initiative, lui laisser prendre des responsabilités » pour qu’il fasse « l’apprentissage de la liberté » (Parent, 1963-1966, Tome II, p.111).

L’esprit de réforme insufflé par le Rapport Parent fut marqué, ensuite, par l’application des Programmes-cadres, auxquels il fut reproché d’être trop généraux, sinon vagues. Le milieu scolaire, relayé par la presse, s’inquiétant des faibles résultats des élèves dans les matières de base, réclama des programmes plus précis (Gauthier et Tardif, 1996). En réaction au supposé laxisme ambiant de l’époque, le Livre vert, qui fit suite à une vaste consultation, appela à plus de rigueur et à un plus grand « esprit de discipline » (MEQ, 1977, p. 44) tout en maintenant que l’école se doit d’être accueillante et créative.

Deux ans plus tard, pour tenter de concilier la nécessaire rigueur, quelque peu délaissée depuis le début des années soixante, et la créativité, L’École québécoise -Énoncé de politique et plan d’action, mieux connu sous l’appellation de Livre orange, introduit les droits de l’enfant comme premier principe du développement de l’école (MEQ, 1979, p.16). Pour la première fois, la question de la participation des élèves à la vie de l’école est soulevée de façon explicite : « le milieu scolaire devrait se préoccuper de les associer [les élèves] de multiples façons à la réalisation du projet éducatif. » (MEQ, 1979, p.52). Par la suite (1981), des programmes d’études font des droits un objet d’analyse, notamment dans le cadre de l’enseignement moral et de la formation personnelle et sociale. Au même moment, le Règlement concernant le régime pédagogique du secondaire (MEQ, 1981) souligne la nécessité d’associer l’ensemble des personnes concernées en proposant un nouveau partage des responsabilités.

À partir de ce moment-là, les autorités du MEQ insisteront sur l’importance de favoriser la participation des élèves à la vie de l’école et de promouvoir leurs droits et responsabilités (MEQ, 1979), répondant notamment au Conseil supérieur de l’éducation (CSE), désireux de rappeler le rôle important que l’école est appelée à jouer pour promouvoir des valeurs associées à la participation et à l’entraide. Au début de l’année 1981, la Commission des droits et libertés de la personne du Québec [3] publie, en collaboration avec le MEQ, un guide d’interprétation de la Charte des droits et libertés à l’attention des jeunes en milieu scolaire : Jeunes, égaux en droits et responsables (Commission des droit et libertés de la personne du Québec, 1982). Ce guide situe les droits dans la perspective de la vie de l’école, les décrivant et les analysant à la lumière de la vie quotidienne d’un établissement scolaire. Le Guide inclut également un questionnaire permettant de faire une rapide évaluation de situations vécues dans l’école, ainsi que quelques indications au sujet des moyens pouvant servir à affirmer et défendre les droits des élèves, dont la préparation des règlements de l’école.

En 1982, le MEQ publie un document d’orientation sous le titre : Élèves, étudiants étudiantes : présence active et responsable (MEQ, 1982). On y lit entre autres que « La place de l’étudiant à l’école » est l’un des grands thèmes abordés au Sommet québécois de la jeunesse en 1983. L’invitation à favoriser la participation des élèves, se fait de plus en plus pressante et, en 1984, la Loi sur l’enseignement primaire et secondaire (loi 3) y consacre l’article 24. Celui-ci stipule que « les services complémentaires comprennent notamment des services de promotion des droits et responsabilités de l’élève, entre autres pour favoriser l’exercice du droit d’association des élèves et des services de participation de l’élève à la vie de l’école » (Gouvernement du Québec, 1984).

Dans la même foulée, le MEQ publie, en 1985, le Guide d’orientation sur la promotion des droits et responsabilités des élèves et sur leur participation à la vie de l’école qui souligne que les normes sur lesquelles l’école fait reposer son fonctionnement doivent obtenir l’assentiment du plus grand nombre d’élèves et, que

dans la mesure où les règlements de l’école façonnent le milieu de vie des élèves, il importe que l’élaboration de ces règlements mette les élèves à contribution. Ce serait aussi un bon moyen pour stimuler leur sens des responsabilités et leur faire prendre conscience de leurs droits et devoirs (MEQ, 1985a, p.10).

Au niveau de la classe : « le maintien d’une discipline positive s’inscrit bien dans la perspective d’une participation des élèves à la rédaction des règlements internes des classes. » (MEQ, 1985a, p.16).

Ce guide d’orientation fait suite à une étude du MEQ (1985b) qui arrive à la conclusion que, d’une part, les règlements d’école s’appliquent uniquement aux élèves et, que d’autre part, la logique qui préside à leur élaboration subordonne l’obéissance de ces derniers à la pleine autorité des adultes de l’école, lesquels ont tout pouvoir en matière de sanction. Dans cette étude, l’analyse des règlements d’écoles secondaires (plus de 200) montre que

la structure et le mode de confection des règlements ne laissent pas tellement de latitude aux élèves [... et] que les « règlements d’élèves » expriment une vision adulte relativement autoritaire des rapports monde adulte - enfance/ adolescence [...] la majorité des énoncés contenus dans les règlements de l’élève conservent encore un caractère punitif. Dans ces conditions, il n’est pas permis de penser qu’un règlement puisse favoriser l’intégration de pratiques démocratiques [...] le maintien de relations inégalitaires entre les groupes d’enfants et adolescents et celui composé des adultes ne peut, cela va de soi, engendrer une vie institutionnelle fondée notamment sur le principe de respect réciproque des droits et des responsabilités (MEQ (1985b, p.7-8).

En 1986, la Commission des droits et libertés de la personne du Québec organise, en collaboration avec le MEQ, une conférence internationale sur l’éducation aux droits à l’attention des écoles primaires et secondaires sous le titre : « Les droits, ça s’apprend ». Pour le responsable à l’époque de la question de l’éducation aux droits au MEQ, « L’éducation aux droits peut préparer [...] à mieux exercer son rôle de citoyen et de citoyenne, statut, responsabilité qui ne s’acquièrent pas du jour au lendemain » (Hénaire, 1986, p.82). Il propose d’intégrer cette éducation dans l’ensemble des services éducatifs de l’école et donne, comme exemple d’activité concrète « qui vise à favoriser le consensus entre les différents groupes d’âge » (Hénaire, 1986, p.85), le fait « d’associer les élèves à la rédaction des règlements d’école. » (Hénaire, 1986, p.86). Au cours de cette conférence, les orateurs insistent sur le fait que les droits devraient imprégner l’ensemble de la vie scolaire et, que le climat et l’organisation scolaire jouent un rôle de toute première importance si l’on tient à ce que les élèves adoptent des attitudes et un comportement en accord avec les principes des droits de la personne. À ce titre « les règlements d’école [sont d’un intérêt particulier parce qu’ils] présentent souvent le vrai visage de l’école », de plus ils « peuvent réellement remplir une fonction éducative » (Commission des droits et libertés de la personne du Québec, 1986, p.318), comme le montrent quelques expériences présentées au cours de la conférence.

L’adoption, en 1988, de la Loi sur l’instruction publique (Loi 107) exprime sensiblement la même préoccupation que la Commission des droits de la personne du Québec et prévoit dans le Régime pédagogique, des « services de promotion de la participation de l’élève à la vie éducative [et] des services d’éducation aux droits et aux responsabilités ». En 1992, le Cadre légal et réglementaire des services complémentaires prévoit les mêmes services de promotion de la participation de l’élève à la vie éducative et les définit de la même manière qu’en 1988. En 1996, suite à la Commission des États généraux sur l’éducation, le MEQ reconnaît à l’institution scolaire le mandat de

transmettre les valeurs qui fondent notre société démocratique [...] et le respect des institutions communes [...] [et de préparer] les individus à l’exercice de la citoyenneté en leur apprenant leurs droits et leurs devoirs, le respect des règles communes et l’ouverture à la diversité. [...] En s’organisant elle-même comme une société, elle [l’école] établira des structures qui favorisent la participation et l’exercice de la démocratie, tout en offrant aux élèves de véritables occasions d’engagement (MEQ, 1996, p.5 et 6).

Plus tard (1997), dans la Loi 180 qui modifie la Loi sur l’instruction publique, il est prévu, dans les écoles secondaires du second cycle, de former des comités d’élèves (art. 96.5), dont le but est de promouvoir la collaboration des élèves à l’élaboration, la réalisation et l’évaluation périodique du projet éducatif. La même année, le rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum introduit, pour la première fois, de façon explicite, l’éducation à la citoyenneté et insiste sur le fait que « cette éducation vise à rendre la personne consciente de ses droits et de ses responsabilités à l’égard d’autrui et de la collectivité en général. » (MEQ, 1997, p.126). Par la suite le Conseil supérieur de l’éducation (CSE, 1998) consacre son rapport annuel 97-98 à cette question. Comme le fait le MEQ, dans sa politique sur l’éducation interculturelle (MEQ, 1998, p.32), le CSE « encourage les milieux scolaires à faire participer les élèves au processus d’élaboration du code de vie de leur école. » (Duquet, Audet et CSE, 1998, p.48). Le CSE voit les règlements scolaires comme un « outil, qui vise notamment à garantir les droits fondamentaux des élèves, [et qui] peut avoir une portée éducative très significative, surtout si les élèves en sont partie prenante. » (Duquet, Audet et CSE, 1998, p.48).

En 2000, le Programme de formation de l’école québécoise : éducation préscolaire, enseignement primaire, (MEQ, 2000a), précise que  l’éducation à la citoyenneté est une préoccupation partagée par l’ensemble des programmes d’études, et intègre celle-ci au domaine de l’univers social dont l’objectif est de préparer les élèves à répondre aux exigences de la vie en société. « En se familiarisant avec l’organisation de sociétés [...] l’élève prend conscience non seulement des droits et des responsabilités de chacun, mais aussi des valeurs qui sous-tendent la vie en société. » (MEQ, 2000a, p.269). Enfin, le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire prévoit de maintenir les services de promotion de la participation de l’élève à la vie éducative et d’éducation aux droits et aux responsabilités (MEQ, 2000b, p.2).

Plus récemment, la Commission des programmes d’études publiait un avis au ministre de l’éducation intitulé : « Vers un élève citoyen », dans lequel l’éducation à la citoyenneté est présentée « comme socle et comme finalité de la formation » (Gouvernement du Québec, 2004, p.31).

Enfin, le MEQ affirmait, dans un document intitulé Le renouveau pédagogiqueCe qui définit « le changement », que « le Programme de formation appelle une participation active de l’élève » (ministère de l’Éducation des Loisirs et du Sport, 2005, p.8) et rendait obligatoire l’éducation à la citoyenneté de la troisième année du primaire jusqu’à la quatrième secondaire.

Ce bref rappel historique montre bien que la participation des élèves à la vie de l’école et la promotion de leurs droits et obligations sont devenues, au fil du temps, des enjeux importants au sein du système scolaire québécois. Si l’introduction de l’éducation à la citoyenneté dans les programmes de formation reflète une tendance observable à l’échelle internationale, la valorisation des règles de vie en société et des institutions démocratiques comme premier axe de développement de cette éducation s’inscrit, par ailleurs, dans la continuité des précédentes réformes éducatives au Québec.

Pour aller plus loin dans la compréhension des orientations prises par le MEQ et examiner les enjeux que représente la question des règles en milieu scolaire, un survol des différentes conceptions du rôle de l’école dans la société et de l’éducation à la citoyenneté qui en découle, s’avère nécessaire.



[3] Devenue depuis lors la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : CDPDJ.