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2.3 Les représentations des élèves

Malgré l’intérêt marqué pour les représentations des élèves ou des adolescents, aucune des nombreuses recherches répertoriées n’a pour objet leurs représentations des règles à l’école secondaire. Toutefois, plusieurs travaux y font référence pour traiter de sujets plus ou moins connexes tels : les « orientations » des élèves vis-à-vis des règlements scolaires (Macdonell et Martin, 1986), leurs représentations du bon enseignant (Gilly, 1980), du climat de la classe (Chavez, 1984 ; Pain et Béranger, 1998) ; de la justice (Jakubowska, 1991 ; Kourilsky, 1997 ; Percheron, 1991) ; des droits (Silbey, 1991), du droit (Costa-Lascoux, 2001 ; Douard et Fiche, 2001), des « attaques du lien scolaire » (Gaillard, 2001) ; leurs perceptions du rôle de la discipline (Cerda et Assaél,1998 ; Haroun et O’Hanlon, 1997), leurs conceptions de l’autorité (Smetana et Bitz 1996 ; Nucci, 1981 ; Turiel, 1983 ; Casalfiore, 2002a,b, 2003) ; ou encore, leur rapport à la loi (Develay, 1996).

Ces différentes recherches reflètent par ailleurs, la multiplicité des angles d’approches et des méthodologies utilisées. Compte tenu du nombre de travaux, nous nous arrêterons, dans les pages qui suivent, sur ceux qui font explicitement référence aux règles, de manière à tracer un portrait aussi complet que possible des représentations que peuvent en avoir les élèves du secondaire.

Dans une étude de type ethnographique sur les règlements disciplinaires dans un établissement scolaire du second degré au Chili, Cerda et Assaél (1998) abordent le thème du point de vue de la « culture des jeunes des secteurs populaires ». Le lycée, où s’est déroulée la recherche, est décrit comme un établissement en crise, marqué par une absence de projet éducatif, des rôles flous, des normes peu claires, non partagés, dictées par des intérêts particuliers, des luttes d’influence et l’autoritarisme (Cerda et Assaél, 1998, p.631). Dans un tel contexte, « le règlement se caractérise par l’incohérence », à laquelle s’ajoute une « amnésie » institutionnelle qui relativise encore plus la règle. » (Cerda et Assaél, 1998, p.634). Pour les élèves qui s’en rendent parfaitement compte, les règles n’ont pas de sens, les punitions sont arbitraires et le respect des textes perd son importance. Non que les élèves remettent en cause l’existence de règles, mais ils s’indignent devant le constat qu’elles ne s’appliquent pas pareillement à tous et se révoltent contre la discrimination et l’injustice qu’ils perçoivent devant les traitements différenciés pratiqués par les enseignants. De plus, ils constatent que ce qui est exigé d’eux à un moment donné, n’a plus d’importance à un autre moment. Loin de revêtir une signification pédagogique les règles représentent, pour les élèves, « un outil pour sanctionner ceux qui ne répondent pas à l’idée que se fait chaque enseignant du bon élève » (Cerda et Assaél, 1998, p.635). Progressivement ils acquièrent une certaine vision du pouvoir au service d’intérêts particuliers. Dans ce contexte, où l’idée de bien commun est totalement absente, les élèves développent des stratégies pour enfreindre certaines règles tout en échappant au contrôle, de manière à éviter le conflit avec l’autorité. Ils apprennent à « être malin » ce qui « signifie pour les élèves, pouvoir faire ce qu’ils veulent, sans se soumettre ni être découverts, en mettant au point diverses stratégies » (Cerda et Assaél, 1998, p.637). Au nombre de ces stratégies notons l’hypocrisie qui bien qu’elle soit en contradiction avec leur idéal, est vue comme une pratique essentielle à leur « survie » ; l’usage de certaines formes de pouvoir comme le recours à certains appuis du côté des instances supérieures, d’enseignants, de surveillants ou des parents pour échapper à une sanction. « Entre impuissance et humiliation, les élèves vivent une tension permanente entre « acceptation, rejet et révolte, face aux valeurs qui régissent selon eux le monde institutionnel du lycée » (Cerda et Assaél, 1998, p.630). Finalement, dans un tel environnement scolaire chacun lutte pour soi en utilisant des stratégies « où l’emportent les valeurs de concurrence, de lutte d’influence, de recours aux relations, d’hypocrisie et d’arbitraire. Où, par conséquent, le thème de la vie en commun et de la règle scolaire n’est plus pertinent. » (Cerda et Assaél, 1998, p.643). Bien que cette recherche ait été conduite dans un établissement scolaire « en crise », les conclusions auxquelles arrivent les chercheurs indiquent que, dans tout espace éducatif où les règles sont floues et incohérentes du point de vue des élèves, ceux-ci « apprennent progressivement différentes façons d’aborder le pouvoir et l’autorité, tout en élaborant des stratégies diverses pour contourner la loi et rester de la meilleure façon possible à l’intérieur du système. » (Cerda et Assaél, 1998, p.630). Ces conclusions ne concernent donc pas uniquement les « établissements en crise » mais également ceux dans lesquels les règles sont perçues par les élèves, comme étant floues et incohérentes.

Une recherche réalisée par Haroun et O’Hanlon (1997) dans les écoles secondaires en Jordanie compare les conceptions qu’ont les enseignants et les élèves de la notion de discipline scolaire, à partir d’entretiens semi-dirigés conduits auprès de 40 élèves et 28 enseignants. Si les deux groupes s’entendent sur l’aspect essentiel d’une « bonne discipline » pour un « bon enseignement » et un « bon apprentissage » leurs points de vue divergent quand il est question de ce qui constitue une « bonne discipline ».

Pour l’ensemble des élèves la discipline se définit avant tout par les règles en vigueur à l’école, ils distinguent trois aspects des règles i) les règles comme restriction à certains de leurs comportements ; ii) les règles comme obligation pour les élèves qui doivent y obéir ; iii) la confirmation des règles par les enseignants qui devraient s’y conformer. Les plus jeunes (12-14 ans) mettent l’emphase sur le fait qu’il doivent se conformer aux règles qui régissent leur comportement alors que, pour les plus vieux (15-19 ans), les règles ont deux versants : celui qui concerne la gestion de leurs comportements, le second concerne la gestion des comportements des enseignants. Dans la définition qu’ils donnent de la discipline à l’école, les élèves mettent également l’accent sur les relations avec les enseignants. À la question : « qu’est-ce que vous pensez qu’est la discipline à l’école ? » les plus jeunes répondent que les élèves doivent respecter les enseignants et leur obéir ; les plus vieux partagent ce point de vue, mais ils ajoutent que les enseignants doivent, eux aussi, respecter les élèves et les traiter de façon positive. Les réponses à la question « qu’est-ce qu’une bonne discipline pour vous? » correspondent à la façon dont ils définissent la discipline, mais apportent quelques éléments nouveaux. Les plus vieux (15-19 ans) insistent sur le fait qu’une « bonne discipline scolaire » repose en bonne part sur de bonnes relations entre les enseignants et les élèves. Pour cette classe d’âge, une « bonne discipline » devrait permettre aux élèves de s’autodiscipliner ; ils insistent sur leur implication dans l’élaboration et le renforcement des règles à l’école. Pour ces élèves, on ne peut parler de « bonne discipline », que si les règles s’adressent à tout le monde : les élèves, mais aussi les enseignants, les membres de la direction, le personnel administratif et les parents. Les auteurs notent que les élèves interrogés, quel que soit leur âge, perçoivent la discipline comme un pouvoir extérieur qui contrôle leurs comportements. L’importance qu’ils accordent à la discipline est associée à une conception passive de leur rôle dans le processus. Ils estiment que les enseignants ont l’entière responsabilité du maintien de la discipline en classe et dans l’école. Ce constat reflète la croyance des élèves, selon laquelle ils n’ont aucun rôle ni aucune responsabilité. Pour les auteurs, l’aspect le plus négatif de ces résultats est quece point de vue est partagé par l’ensemble des élèves, ce qui semble indiquer que l’école et les enseignants n’ont pas développé des attitudes d’autodiscipline chez leurs élèves. Dans leur conception d’une « bonne discipline », les enseignants soulignent l’importance de l’implication des élèves dans la discipline et de l’autodiscipline. Mais dans le même temps, ils mettent l’emphase sur le respect et l’obéissance que leur doivent les élèves et insistent sur l’importance de leur autorité et des sanctions pour contrôler le comportement des élèves à l’école. Leur conception d’une « bonne discipline » relève d’un idéal, mais dans leur pratique, ils semblent enfermés dans une vision traditionnelle de la discipline qui ne laisse pas l’opportunité aux élèves de participer aux décisions.

Le constat que font les auteurs les amène à formuler quelques recommandations, dont certaines sont en lien avec les règles. Ainsi, les programmes de formation des maîtres, particulièrement ceux qui concernent la gestion de la classe, devraient considérer « l’idéologie de contrôle » qu’ont les enseignants, la façon dont ils voient les élèves, de même que les circonstances qui en découlent de manière à donner aux élèves la possibilité de participer au processus de mise en œuvre de la discipline. Les programmes de formation devraient également aider les futurs enseignants à se forger une « idéologie de contrôle », basée sur le processus de développement de l’autodiscipline chez les élèves. Pour conclure, Haroun et O’Hanln proposent un modèle qui comprend les aspects suivants. i) L’implication de toute la communauté scolaire dans le processus de mise en œuvre de la discipline. ii) L’autodiscipline et le consentement individuel aux règles à l’école. iii) L’utilisation de « méthodes positives » pour obtenir la discipline. iv) L’élaboration de règles qui soient connues, comprises et acceptées par les élèves et le personnel de l’école. v) L’instauration d’un climat qui conduise les élèves à l’apprentissage et à adopter un « bon comportement ». vi) L’implication des parents et la coopération avec ceux-ci (Haroun et O’Hanlon, 1997, p.249).

Les recherches de Levinson sur l’insubordination en milieu scolaire apportent un éclairage sur les raisons qui conduisent les élèves à ne pas respecter les règles. S’appuyant sur des travaux ethnographiques qui s’intéressent aux points de vue des élèves sur la vie des établissements scolaires, Levinson affirme que « la violence ou l’indiscipline scolaire constitue souvent une réponse aux conditions scolaires [notamment] à des styles d’enseignement arbitraires et autoritaires » (Levinson, 1998, p.664). Pour nombre de travaux, issus de l’« interactionnisme symbolique » et dont Woods (1990) fait état, les conflits de rôles propres à l’institution scolaire, seraient à l’origine du « non-respect-des-règles » par les élèves. De même, quand « les enseignants usent de mesures punitives et arbitraires, gardent leurs distances vis-à-vis de leurs élèves […], jugent le travail des élèves sur des critères arbitraires, les élèves en arrivent à ne plus respecter les règles » (Levinson, 1998, p.665).

Pour Everhart, dont la recherche a été conduite dans une école secondaire fréquentée par des enfants d’ouvriers aux États-Unis, le non-respect des règles serait une réaction à « l’aliénation » qu’impose l’école en tant que structure hiérarchisée où l’on prescrit des comportements mécaniques et normalisés. Selon lui, les élèves chercheraient à créer, entre eux, un « savoir générateur » favorisant « une activité de communication », pour compenser l’ennui et « résister à un régime de travail et de communication rigide et abrutissant » (Everhart, 1983, p.237) ; ce qui est considéré comme de la désobéissance par les enseignants.

D’Amato (1993), qui essaie d’identifier ce qui est à l’origine de la résistance des élèves de minorités culturelles, met en évidence des raisons « structurelles » - comme le fait de n’avoir pas conscience que l’école peut être utile aux plans professionnel et social - et des raisons « contextuelles », comme le sentiment que leur travail ne peut pas être un moyen d’entretenir de bonnes relations avec ses enseignants et ses pairs. Les insatisfactions de ces élèves les conduiraient à « des formes de rejet des règles plus explosives. » (D’Amato, 1993, p.192). Les enseignants, poursuit l’auteur, ont une grande influence sur la formation de raisons « contextuelles », notamment en mettant en place des conditions d’apprentissage dans le cadre de règles et de structures communes.

Pour Eckert (1989) qui s’est penchée sur l’acceptation et le refus des règles scolaires en fonction des origines sociales, il y aurait deux catégories opposées d’élèves qu’elle voit comme les « incarnations adolescentes » de la classe moyenne et de la classe ouvrière : les « jocks » et les « burnouts ». Les premiers se passionnent pour les activités scolaires et parascolaires, se soumettent à l’autorité des adultes et s’inscrivent dans une logique de compétition ; les seconds ne sont pas convaincus de l’utilité des études, ils cherchent à se libérer du contrôle des adultes en s’écartant des règles et font passer la solidarité du groupe et la réciprocité avant le progrès individuel.

Les recherches sur la discipline et l’indiscipline à l’école, quelle que soit la perspective disciplinaire empruntée (psychologique, sociologique ou pédagogique), accordent toutes une importance spéciale à la fonction de la règle, pour l’entretien d’un « bon climat disciplinaire ».

En effet, si l’importance de règles simples, claires et pouvant être renforcées est depuis longtemps soulignée par les courants béhavioristes, les résultats de la recherche sociologique, bien qu’elle s’appuie sur des fondements différents, leur confèrent la même importance. Tandis qu’au niveau macrosociologique, les règles sont envisagées comme faisant partie intégrante du rôle explicite et implicite de l’école en contribuant à la fonction de reproduction sociale, au niveau de la recherche microsociologique, le type de règles et leur renforcement sont associés à l’ethos (18) de l’école » (Estrela, 1994, p.81).

Cherchant à mettre à jour les « orientations » des élèves vis-à-vis des règles à l’école (19), Macdonell et Martin (1986) se sont appuyés sur les données d’une étude plus large sur l’expérience scolaire d’élèves du secondaire à Terre-Neuve et au Labrador. Trois techniques ont été utilisées pour la collecte des données : l’étude de cas croisés, des enregistrements d’interviews et un questionnaire. Les auteurs envisagent les règles en tant que moyen de légitimer l’autorité rationnelle-légale. Ils se réfèrent à l’idéal-type du modèle bureaucratique proposé par Weber (1964), pour l’appliquer à l’organisation scolaire, dont les règles - qui concernent ici les droits et obligations des membres.de l’institution scolaire - sont une caractéristique importante. Ayant identifié deux enjeux interreliés (l’aliénation des étudiants et leur implication dans la prise de décision à l’école), Macdonell et Martin mentionnent plusieurs études canadiennes qui se sont penchées sur ce dernier point. Celles-ci montrent un manque d’implication des étudiants dans le processus décisionnel et, concomitamment, un désir de ceux-ci de participer à cet aspect de la vie d’école. Les auteurs soutiennent que les règles seraient un trait de la domination dans de nombreuses écoles « rule domination is much less compatible with the performance of scholl activities than it is with… the management of industrial production » (Dreeben 1970, p.47). Il y a, habituellement, une foule de règles qui tentent de régir les comportements des élèves dès qu’ils entrent à l’école : la façon dont ils rentrent en classe, circulent dans les couloir, se rendent aux toilettes, etc. En fait, l’école produit une longue liste de règles qui demandent un effort considérable pour être communiquées aux élèves. Voyant les règles comme le dispositif le plus saillant de l’organisation formelle à l’école, les auteurs ont cherché à mettre à jour les « orientations » des élèves vis-à-vis celles-ci. À cette fin, ils ont élaboré un questionnaire qu’ils ont administré à près de 8000 élèves de 55 écoles. Ce questionnaire comportait trois catégories de questions. i) La fréquence (jamais, rarement, occasionnellement, souvent, très souvent) de certains comportements qu’ils ont à l’école (enfreindre certaines règles de comportement en classe, dans l’école). ii) La fréquence avec laquelle, individuellement ou en groupe, ils abordent les enseignants pour tenter de modifier leur point de vue sur diverses règles (par exemple le code vestimentaire, le style de coiffure, les déplacements dans les couloirs). iii) Une troisième catégorie de questions concernait le degré d’accord ou de désaccord avec 50 énoncés. Les réponses à six de ces énoncés font l’objet d’analyse dans cette étude : - il est nécessaire de toujours respecter l’ensemble des règles de l’école ; - il n’y a rien de mal à transgresser occasionnellement certaines règles de l’école ; - il est impossible d’obéir à toutes les règles de l’école ; - il y a trop de règles à l’école ; - la plupart des règles sont nécessaires ; - il est « correct » d’enfreindre les règles à l’école, tant et aussi longtemps qu’on ne se fait pas attraper. Les résultats tendent à montrer que les « orientations » des élèves vis-à-vis des règles sont fortement corrélées avec le sexe et l’appartenance à une association étudiante. S’agissant des conséquences pratiques des « orientations » des élèves vis-à-vis des règles, les auteurs considèrent que, d’une part il est important d’isoler les variables associées à ces orientations pour mieux comprendre les significations et les interprétations qu’en donnent les élèves au fur et à mesure qu’ils deviennent partie prenante de la structure sociale inscrite dans le quotidien de l’école. D’autre part, ayant constaté que les élèves membres d’organisations parascolaires développaient des attitudes positives vis-à-vis des règles, les auteurs soulignent l’importance, pour l’organisation scolaire, de favoriser ce type d’associations. Pour conclure, Macdonell et Martin (1986, p.172) insistent sur le fait que les « orientations » des élèves vis-à-vis des règles sont indubitablement reliées aux dispositifs disciplinaires et d’apprentissage.

Plusieurs recherches portent sur les conceptions qu’ont les adolescents de l’autorité de l’enseignant et des relations qu’ils établissent avec les mauvaises conduites à l’école. Smetana et Asquith (1994) ont montré que, très tôt dans l’enfance, les individus font des distinctions entre différents types de règles régissant les comportements sociaux (Nucci, 1981 ; Smetana et Bitz, 1996; Turiel, 1983). i) Les règles relevant du domaine moral, qui s’articulent autour des concepts de justice et de bien-être des personnes incluant les prescriptions ou les proscriptions telles que ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir. ii) Les règles appartenant au domaine conventionnel qui sont structurées « par le concept d’organisation sociale et qui comprend les conventions sociales générales comme les règles de politesse » (Casalfiore, 2002b). iii) Les règles qui concernent le domaine prudentiel relatives à la sécurité des personnes et à leur protection. Dans le cadre de l’école Smetana et Bitz (1996) ajoutent les règles relevant du domaine conventionnel contextuel, ici les conventions scolaires, qui, dans un autre contexte, seraient vues comme relevant du domaine personnel c’est-à-dire, articulées autour de choix personnels qui ne dépendent d’aucune prescription morale, ni d’aucune régulation sociale. Les critères auxquels se réfèrent les enfants pour définir la légitimité de l’autorité, seraient articulés autour de ces différents domaines (Nucci, 1981 ; Smetana et Bitz, 1996; Turiel, 1983). Des recherches indiquent que l’obéissance des enfants à l’autorité, dépend de la façon dont ils comprennent le contenu des règles (Laupa et Turiel, 1996). Les enfants rejetteraient les ordres considérés comme moralement inacceptables même s’ils proviennent d’autorités légitimes. Tandis que, les règles relevant du domaine conventionnel seraient jugées par les enfants comme étant légitimes si elles sont cohérentes avec le système social. Nucci (1981) a pour sa part noté que les enfants et les adolescents ne considèrent pas comme « graves » les comportements qui transgressent des choix personnels, dans la mesure où il s’agit de choix qui relèvent de la sphère de juridiction privée qui ne portent pas préjudice à autrui.

Si, quel que soit leur âge, les enfants perçoivent des distinctions entre les règles selon leur domaine d’appartenance, Turiel (1983) enregistre des variations dans le raisonnement, en fonction de l’âge. À partir de justifications que les enfants et les adolescents donnent pour juger de la légitimité des règles conventionnelles, Geiger et Turiel (1983) ont mis en évidence une succession de phases d’« affirmation et de négation » des conventions, selon les âges. Le raisonnement conduit l’enfant à voir d’abord les conventions comme ce qui décrit des uniformités comportementales. Puis, il rejette cette conception pour considérer que les conventions affirment un système de règles. Il rejette ensuite cette dernière conception pour envisager les conventions comme des normes sociales. Conception qu’il rejette de nouveau pour, enfin, concevoir les conventions comme un moyen de coordonner les interactions sociales.

Smetana et Bitz (1996) qui se sont notamment penchés sur la légitimité de l’autorité du point de vue des élèves, ont procédé à des entretiens avec des enseignants et des élèves sur les violations typiques des règles à l’école, puis ont élaboré un questionnaire destiné aux élèves. Le questionnaire auquel ont répondu 120 élèves de 10 à 17 ans, portait sur la légitimité de l’autorité de l’enseignant, l’importance d’élaborer des règles pour chacun des domaines mentionnés, la distinction entre les actes qui relèvent du non-respect des droits et ceux qui relèvent de la juridiction personnelle, l’évaluation qu’ils font de la gravité des actes, les personnes autorisées à élaborer les règles pour chacun des domaines (moral, conventionnel, prudentiel). La dernière partie qui portait sur le climat de l’école voulait répondre à la question « jusqu’où les différents domaines sont-ils régis par les règles de l’école? » et évaluer la perception des élèves quant à la possibilité que leur laisse les enseignants de décider des règles dans chacun des domaines.

Selon les auteurs, les enjeux moraux, conventionnels et prudentiels légitimeraient l’autorité de l’enseignant aux yeux des élèves les plus jeunes. Mais, avec l’âge, les adolescents se montreraient moins enclins à accepter la légitimité de l’autorité institutionnelle, et compteraient davantage sur leur capacité de donner leur point de vue personnel. Toutefois, selon Smetana et Bitz (1996), les adolescents continueraient à reconnaître et à accepter la légitimité d’une autorité unilatérale quand elle permet de réguler des comportements relatifs au domaine moral ; ils insistent même sur l’obligation qu’ont les enseignants d’assurer cette responsabilité et les élèves, d’obéir. En fait, les adolescents n’accorderaient une légitimité à l’autorité scolaire que si les règles édictées renvoient au domaine de la morale ou à des conventions partagées par les membres de la société (domaine conventionnel). S’agissant des règles appartenant au domaine conventionnel contextuel, c’est-à-dire aux conventions scolaires, les adolescents les perçoivent souvent comme dépendantes du bon vouloir des adultes de l’école (relevant du domaine personnel). En conséquence, ils ne leur accordent pas de légitimité, s’estimant être la seule autorité légitime. Ce constat est interprété par les auteurs comme une revendication des adolescents à plus d’autonomie. Ils défendent l’idée selon laquelle le développement de l’autonomie à l’adolescence est un processus social qui passe par des interactions de nature asymétrique et non égalitaire. « Selon Smetana (1995/1999), ce serait dans les relations asymétriques et via la confrontation aux contraintes imposées par l’autorité que les adolescents trouvent les opportunités de développer leur autonomie. » (Casalfiore, 2002b, p.10).

Partant de ces travaux, une recherche récente conduite par Casalfiore (2002a,b, 2003) sur les modes de résolution de conflits, nés de transgressions sociales dans des classes d’enseignement secondaire, apporte des éléments qu’il convient d’examiner. La première partie de l’étude, qui s’attache à analyser la nature et sens des transgressions sociales (20) à l’origine des conflits dans la dyade enseignant-élève, arrive à la constatation que les transgressions les plus fréquemment rapportées par les élèves renvoient au domaine conventionnel et que la moitié des transgressions relèvent spécifiquement des conventions scolaires. D’autre part, l’étude révèle que les transgressions qui renvoient au domaine moral sont jugées plus graves que celles qui appartiennent au domaine conventionnel. L’auteure remarque également que les élèves justifient leur jugement par des arguments qui renvoient aux caractéristiques intrinsèquement peu nocives des actes commis, tandis qu’ils « justifient le jugement qu’ils attribuent aux enseignants au moyen d’énoncés liés aux notions de règles, d’autorité et d’organisation sociale. » (Casalfiore, 2002b, p.2). Finalement,

les transgressions sont interprétées comme remplissant une double fonction : mettre en question l’autorité des enseignants comme étant légitime en soi, et revendiquer une plus grande sphère de juridiction et d’action personnelle dans un contexte dominé par sa structure socioorganisationnelle. (Casalfiore, 2003, p.5).

La troisième partie de l’étude, qui porte sur la perception qu’ont les élèves de la légitimité des comportements de l’autorité, apporte des éléments qui peuvent s’avérer utiles pour mieux comprendre le raisonnement des élèves sur les règles. Quatre-vingt-trois élèves de l’enseignement secondaire ont été invités à se remémorer une situation conflictuelle avec un enseignant ayant été déclenchée par la transgression d’une règle qu’ils avaient commise, puis à en faire le récit détaillé étape par étape, réaction par réaction, en répondant à une série de questions posées dans un protocole standardisé. Il leur était demandé d’énoncer explicitement le comportement transgressif à l’origine du conflit, de décrire la réaction de l’enseignant, puis leur propre réaction. Ils devaient également évaluer la légitimité de la réaction de l’enseignant, et donner les raisons qui les avaient amenés à avoir la réaction qu’ils avaient eue suite à celle de l’enseignant. Les réponses aux questions portant sur la légitimité (ou la non-légitimité) de la réaction des enseignants face aux transgressions commises, ainsi que sur la résistance ou la soumission des élèves, montrent que de façon générale, une majorité significative d’élèves adoptent une attitude critique vis-à-vis des réactions des enseignants en portant un jugement négatif sur la légitimité de celles-ci et y opposent des comportements de résistance. Toutefois, l’auteure note que, « les élèves n’acceptent pas plus la légitimité des réactions lorsque les transgressions commises touchent l’ordre moral que lorsqu’elles renvoient à un autre domaine, mais qu’ils semblent moins s’y opposer. » (Casalfiore, 2003, p.18). Pour justifier leur jugement sur la légitimité des réactions des enseignants, les élèves avancent des arguments qui renvoient aux caractéristiques intrinsèques des réactions jugées illégitimes (domaine moral), de même qu’à ceux relatifs à l’organisation et au fonctionnement du système scolaire (domaine conventionnel contextuel) - ou du système social plus général (domaine conventionnel) - ainsi qu’aux règles qui les structurent. À aucun moment, les élèves n’évoquent le pouvoir qu’ont les enseignants d’infliger des sanctions ni des revendications d’ordre personnel pour motiver leur point de vue. S’agissant des arguments avancés par les élèves pour justifier leurs comportements de résistance, ils sont essentiellement centrés sur les caractéristiques intrinsèquement positives de ces comportements, bien que la soumission ne soit pas considérée comme mauvaise en soi. À la différence des justifications apportées pour juger de la légitimité des réactions des enseignants, les élèves font appel à des arguments renvoyant à des revendications personnelles pour justifier leurs comportements de résistance. En effet, lorsque les adolescents considèrent que les directives énoncées concernent des questions privées ou intimes, ils rejettent la légitimité d’une quelconque figure d’autorité, et revendiquent avec force le droit d’exercer leur juridiction personnelle.

L’ensemble des travaux dont il vient d’être question, mettent en évidence les besoins développementaux des adolescents en matière d’autonomie, et révèlent que ce « processus développemental vers plus d’autonomie se heurte aux contraintes sociales liées aux règles sociales imposées par les figures d’autorité. ». (Casalfiore 2003, p.4). Cette divergence entre le besoin d’autonomie et les contraintes sociales, se traduiraient par des conflits. Ceux-ci rempliraient même une fonction développementale en instaurant « un contexte de débat qui force les relations unilatérales impliquées à fonctionner sur un registre plus mutuel, à partir duquel les adolescents vont pouvoir exprimer leur désir d’autonomie tout en développant leur compétence à prendre la perspective d’autrui. » (Casalfiore 2003, p.4). Finalement, un certain nombre d’éléments qui caractérisent le contexte scolaire, serait en « porte-à-faux » avec la demande d’autonomie des adolescents, ce qui fait dire à ces auteurs que l’environnement scolaire ordinaire est inapte à répondre aux besoins développementaux des adolescents.

Les travaux réalisés depuis les années soixante sur la socialisation juridique et sur la conscience du droit (legal consciousness) se sont intéressés aux diverses façons dont les individus perçoivent, s’approprient et utilisent le droit qui régit les rapports sociaux. Parmi ces travaux, notons ceux qui portent sur les représentations du droit et de la justice chez les enfants et les adolescents (Jakubowska, 1991 ; Kourilsky, 1997) ; des lois et de la justice chez les Français de 16-21 ans (Percheron, 1991) ; des droits chez les adolescents américains (Silbey, 1991). Pour ces auteurs, l’acquisition de la notion de droit serait un processus d’appropriation - et non de « réception » - dans lequel interviennent interactions et communication entre l’individu et le groupe social.

Précisons toutefois que, les chercheurs européens et américains qui se sont intéressés à cet objet ont travaillé à partir de conceptions différentes et de façon séparée, jusqu’à ce que soit organisée, en 1991, une table ronde internationale leur permettant de comparer leurs approches théoriques, leurs méthodes et leurs acquis empiriques dans le domaine. Ces comparaisons mettent en évidence des différences qui se reflètent dans les dénominations de « socialisation juridique » adoptée par les chercheurs d’Europe de l’Est, et de « conscience du droit » ou legal consciousness préférée par les Anglo-américains. Assier-Andrieu (1997, p.75) distingue la conception anglo-américaine, fondée sur le primat de la volonté des individus, des conceptions européennes, dites continentales, qui font prévaloir l’idée de système juridique. Dans le cas de la socialisation juridique, l’accent est mis « sur le processus de construction précoce du rapport de l’individu au droit, au cours de l’enfance et de l’adolescence » (Assier-Andrieu, 1997, p.4). La conscience du droit recouvre quant à elle, tout un ensemble de phénomènes allant de la connaissance du droit par les individus à leurs attitudes et à leurs comportements (Assier-Andrieu, 1997, p.36). Dans le premier cas, le point de vue de la société globale est privilégié, mais les modalités d’action des sujets ne peuvent être envisagées qu’en considérant le « développement » de ces derniers. Dans le second cas, c’est le point de vue du sujet qui est privilégié, mais le développement de ce dernier ne peut être envisagé qu’en interaction avec la société dans laquelle il est immergé. Sur le plan méthodologique, les recherches européennes utilisent une méthode mise au point parKourilsky : « Il s’agit d’une première méthode d’associations spontanées de termes utilisés à la fois dans le langage juridique et le langage courant » (Kourilsky, 1997, p.79), doublée d’« une seconde méthode d’associations sélectives des principaux de ces termes à une ou plusieurs notions-valeur. » (Kourilsky, 1997, p.79). Les chercheurs américains recourent quant à eux, aux études de cas (case studies) et aux histoires de vie donnant lieu à des entretiens individuels prolongés. Dans les deux cas, les chercheurs ont donc eu recours à des méthodologies de type qualitatif et arrivent à des conclusions semblables quant à l’attitude des enfants et des adolescents à l’égard d la règle et de la loi. Pour la majorité des adolescents (15-16 ans) interrogés, la notion de règle revoie au sens d’obligation, selon une formulation très proche de celle utilisée pour la notion de loi. D’ailleurs, ils donnent la loi comme exemple de règle. Mais, à la différence des 10-11 ans, ils envisagent moins la loi en terme de contrainte qu’en terme de « respect d’une règle commune pour harmoniser et faciliter la vie en communauté. L’idée d’ordre donné cède la place à celle de convention ou d’obligation morale ou non. » (Kourilsky,1986, p.393). S’agissant du droit, il est vu par les adolescents comme résultant d’une autorisation de faire ou d’obtenir quelque chose. L’auteure constate que la loi est vue comme impérative mais, avec l’âge, les conceptions du rôle de la loi se modifient en intégrant la notion de consensus. « La loi est alors conçue comme une règle du jeu ou une règle de vie en société » (Kourilsky,1986, pp. 397-398). L’auteure note que les modèles de raisonnement sont relativement différenciés selon le sexe. Les garçons auraient tendance à prendre le rôle de « l’autrui généralisé » et à raisonner en termes de délimitation de droits et de pouvoir dans l’évaluation des situations ; alors que les filles auraient une tendance à prendre le rôle de « L’autrui particulier » et à raisonner en termes de relativité des situations.

Plus récemment, des recherches françaises ont exploré le rapport au droit des jeunes (Douard et Fiche, 2001, Costa-Lacoux, 2001, Bordet, 2001). Partant du constat que les jeunes construisent, entre pairs, des normes alternatives pour remplacer celles qui régissent la société et qui leurs sont imposées, les auteurs tendent à démontrer que le sentiment d’extériorité de la norme des adultes serait en cause. Ils suggèrent de « reconsidérer le processus de socialisation en prenant mieux en compte ce qui touche de manière sensible l’enfant et le jeune, et ce qui constitue, même provisoirement, son système de valeurs » (Douard et Fiche, 2001, p.24). Les auteurs ajoutent que les adolescents devraient pouvoir tester leurs systèmes de valeurs et les ajuster en les confrontant aux « grandes valeurs relativement partagées qui constituent les fondements de notre société » (Douard et Fiche, 2001, p.24) et dont les adultes de l’école devraient être porteurs. Les adolescents devraient pouvoir recevoir, quand c’est nécessaire, des messages clairs et cohérents en retour de leurs comportements et, c’est sur ce point que l’école a le plus à s’interroger. « Ses règles de fonctionnement, les us et coutumes en vigueur en matière de régulation de la collectivité éducative, sont souvent chargés de contradictions difficiles à assumer » ; contradictions souvent à l’origine de manifestations violentes de refus (Douard et Fiche, 2001,p.26). Costa-Lascoux qui insiste depuis plusieurs années sur le rôle essentiel qu’a l’école dans le processus de socialisation au droit des enfants et des jeunes, déplore « le fait que l’institution se sorte bien mal de cette mission » (Costa-Lascoux, 2001, p.25). Pour cette juriste et psychosociologue, l’École devrait permettre aux élèves de « comprendre les fondements de leurs obligations envers les autres et la société » et de s’approprier le droit pour « habiter la démocratie » en ayant une attitude active vis-à-vis du droit (Costa-Lascoux, 2001, p.25). Or, elle constate l’ignorance des élèves à propos de règles fondamentales en matière de droit, et souligne que l’École, en n’arrêtant pas de produire des contrats, des chartes, des règlements, participe à l’ignorance de la hiérarchie des sources de droit : « Personne ne sait plus où on en est. » (Costa-Lascoux, 2001, p.47). Ayant interrogé des élèves qui jouent à des jeux dont « la règle est de se faire mal ou de se faire peur », Costa-Lascoux s’est fait expliquer par ceux-ci, qu’ils inventaient des règles, car ils ne voulaient pas de celles des adultes. « Si on leur objecte qu’ils sont en train de faire vivre la loi du plus fort, ils répondent que c’est aussi celle qui prévaut dans la société et qu’ils ne font que s’y exercer » (Costa-Lascoux, 2001, p.49). Pourtant, elle retient que « les jeunes ont envie de lois ; ils en ont d’ailleurs entre eux. Ils ont envie de parler de valeurs. Ils ont un sentiment d’injustice fort et réclament la justice. Ils ont un rêve d’égalité, sont contre la discrimination » (Costa-Lascoux, 2001, p.46). Mais, « comme ils se vivent à l’extérieur d’une règle qui n’est pas la leur, qu’ils ne se sont pas approprié ce droit [ils], se sont installées des situations pleines d’ambivalences et de contradictions » (Costa-Lascoux, 2001, p.54). Le rappel des règles ne suffit pas. La loi reste « extérieure » et le rappel continuel peut même provoquer de réactions du type « Cause toujours! On va bricoler autrement » ou, « on va s’arranger pour que ça ne nous tombe pas dessus ». Finalement, les adolescents réclament des règles mais, face aux injonctions paradoxales de la part de l’institution dont les règles sont chargées de contradictions, ils développent une défiance vis-à-vis de l’institution scolaire. On ne peut plus se permettre aujourd’hui d’ignorer cette réalité qui s’impose à nous, d’ajouter l’auteure qui insiste sur la nécessité de « réincarner le droit, le donner à voir concrètement dans son rapport à la vie quotidienne » (Costa-Lascoux, 2001, p.50).

Les travaux de Bordet (2001) sur le droit et les lois chez les adolescents en situation d’exclusion, tendent à montrer une corrélation entre les « violences agies » et les « violences subies » dans le cadre de l’institution scolaire. Si les « violences agies » de la part des élèves sont souvent mentionnées, parce que plus visibles et qu’elles font l’objet de traitements spécifiques, la plupart du temps les « violences subies » ne sont pas considérées comme telles (Bordet, 2001, p.174) et sont traitées comme des difficultés de type pédagogique. Par exemple, l’exclusion scolaire n’est pas considérée comme une violence, alors qu’elle constitue, pour les élèves en difficulté, une violence réelle et symbolique. Le sentiment souvent exprimé par les élèves, de n’être pas respecté, peut être aussi une forme d’agressivité latente ou explicite qui risque d’engendrer « l’impression de ne pas être compris, donc ne pas être reçu en tant que sujet » (Bordet, 2001, p.180). Pour cette psychosociologue dont les enquêtes révèlent des processus de domination implicite et explicite au sein de l’école, la référence au droit serait une alternative au laxisme et à la sanction qui sont souvent les réponses des équipes éducatives aux situations de violence quotidiennes. De plus, le travail sur les normes et les règles pourrait contribuer à une plus grande responsabilité collective, et redonner un sens à la loi dont la fonction est de protéger et de limiter. « Le plus souvent, les jeunes sont « hors la loi » parce que la loi ne constitue pas pour eux une limite et une protection. » (Bordet, 2001, p.188). Pour conclure, Bordet soutient que, « recréer des rapports entre la loi et le droit chez les jeunes constitue un enjeu central dans la transformation de la violence » et que le fait de réinstaurer la loi chez les élèves permettrait de recréer un référent commun, ce qui paraît crucial pour lutter contre la violence. D’ailleurs, comme nous l’avons vu au sujet de la déviance, la question des règles est très présente dans les travaux qui traitent de la violence à l’école (Pain et Béranger,1998). La plupart d’entre eux préconisent la participation des élèves à l’élaboration des règles, en vue de leur appropriation par ces derniers. Toutefois, la question des règles est le plus souvent abordée sans qu’il soit fait directement référence au droit, sinon de façon allusive. C’est ce qu’illustre l’étude canadienne des politiques et programmes de prévention de la violence à l’école (Day Direction des affaires correctionnelles Canada et Solliciteur général Canada, 1995) qui recommande l’élaboration d’un « code de conduite convenable » et d’une politique sur la discipline des élèves qui soient basées « sur les principes démocratiques auxquels souscrivent tous les intéressés », notamment, les élèves.

Develay (1996) qui s’interroge sur le sens de l’école, voit deux enjeux importants pour donner du sens à l’école, le rapport au savoir et le rapport à la loi. Le rapport à la loi détermine en effet le type de relations qui se développent dans la classe, à l’école. La violence étant la conséquence de la transgression des règles de fonctionnement dans l’école, il est de plus en plus nécessaire de comprendre le rapport des élèves au savoir et à la loi, il s’agit même du fondement de la profession enseignante. Selon ce didacticien, pour aider les élèves à trouver du sens à l’école et atteindre une certaine forme de sérénité dans les relations, il conviendrait de travailler sur ce rapport aux règles, en faisant en sorte que l’école ne soit « pas simplement un lieu d’application de la règle, mais un lieu d’émergence de la loi » (Develay, 1999, non paginé). Autrement dit, il ne suffit pas que les élèves respectent les règles, encore faut-il, qu’en amont, ils aient participé à l’élaboration de ce qui constitue la contrainte en confrontant leur propre loi aux règles instituées.

Ce qui fonde la règle, c’est la loi : les interdits que les hommes se fixent reposent sur des valeurs, et au-delà, sur des désirs partagés. Les règles de la vie en commun, de la socialisation, découlent d’un accord sur les désirs des différents membres d’un groupe à propos desquels il convient de s’entendre (Develay, 1999, non paginé).

Construire la loi en classe suppose que l’enseignant accepte de discuter avec les élèves de ce qu’il est utile de faire pour apprendre à vivre ensemble, en vue d’élaborer le règlement dans la classe ; ce qui ne signifie pas qu’on ignore les lois préexistantes qui imposent un niveau supérieur de contrainte. Mais, c’est une occasion de donner à l’élève la responsabilité de ses actes, et, selon Develay, un moyen d’éradiquer la violence à l’école.

D’autres travaux qui étudient les phénomènes d’indiscipline à travers les opinions des élèves, montrent que ces derniers attribuent une large part de la responsabilité des comportements d’indiscipline aux enseignants et pensent que « la solution passe par une modification de la relation pédagogique et par un exercice correct de l’autorité de l’enseignant. » (Estrela, 1994, p.85.). À travers ces différentes recherches, « Il nous est montré combien les exigences de l’enseignant sont souvent à l’origine de l’indiscipline, surtout lorsqu’il y a absence de concertation avec le groupe classe au moment de l’élaboration des règles de conduite » (Estrela, 1994, p.13).

En effet, les demandes répétées des élèves en faveur de plus de justice et d’égalité et l’absence d’écoute à laquelle ils se heurtent, pourraient bien être à la source d’une incompréhension de leurs obligations vis-à-vis des autres et de la société. Car, les élèves ne remettent pas en question le principe des règles et l’importance qu’ils accordent au maintien de la discipline transparaît dans des recherches sur les représentations qu’ils ont d’un bon enseignant (Gilly, 1980) et du climat de la classe (Chavez, 1984 ; Pain et Béranger, 1998). Ces recherches montrent que, « pour une majorité encore importante, le professeur doit avant tout exercer son autorité » (Estrela, 1994, p.70) ; le bon professeur est celui qui enseigne bien, qui a de l’autorité sans être autoritaire, qui est compréhensif et juste (Estrela, 1994, p.70).

Comme l’indique cette revue de la littérature, les travaux conduits ces dernières années sur les représentations des élèves ou des adolescents, la question des règles n’est jamais abordée directement, mais seulement à partir d’autres sujets voisins comme l’autorité, la discipline, le pouvoir, la sanction, la justice. Il est surprenant que les chercheurs qui se sont intéressés aux représentations des adolescents n’aient pas pris les règles comme objet d’étude, alors même qu’ils s’accordent tous pour dire qu’elles occupent une place centrale dans les rapports qu’entretiennent les élèves avec l’institution scolaire. Néanmoins, ces travaux illustrent l’importance que revêt l’appropriation des règles dans une perspective de cohésion sociale, et montrent la complexité des enjeux qui entourent la question des règles à l’école en mettant en évidence les divers concepts en jeu. Ainsi l’autorité, la discipline, le droit, sont étroitement liés aux règles, qui, si elles ne sont pas respectées, remettent en question les principes mêmes de l’autorité, de la discipline et du droit ; ce qui semble être au cœur des difficultés que vit le milieu scolaire.

Nous avons vu dans ce chapitre, les orientations épistémologiques qui sous-tendent l’ensemble de la démarche et l’importance des représentations dans le cadre de la posture empruntée. Celle-ci est à rapprocher du paradigme constructiviste, dont on a vu la diversité des formes qu’il pouvait prendre. Dans cette perspective, les représentations des élèves occupent une place centrale dans la production des connaissances qui résultent de ses interactions avec son environnement notamment, social. S’agissant des règles, on observe que, les représentations qu’en ont les élèves ne sont pas sans lien avec les dimensions éducative et juridique présentées. Du point de vue éducatif et dans la perspective retenue, les règles devraient être un levier vers la compréhension des principes du droit, elles devraient refléter les valeurs et les principes démocratiques qui fondent la société. Ce sont précisément les valeurs de justice, d’égalité, de solidarité qui animent les adolescents. Bien que ceux-ci insistent sur la nécessité des règles, ils sont défiants vis-à-vis de celles imposées par l’institution scolaire, disant ressentir un sentiment d’injustice.

Les travaux répertoriés qui abordent les représentations des règles chez les élèves, le font en mettant en relief, la plupart du temps, des aspects négatifs : l’indiscipline, le « non-respect-des-règles », la violence, etc., mais aucun ne nous renseigne véritablement sur les représentations qu’ont les élèves des règles à l’école. C’est à cette interrogation que tente de répondre la présente recherche dont le principal objectif est

d’analyser les représentations qu’ont les élèves des règles à l’école.

Plus spécifiquement, il s’agit de


(18) Ethos (du grec) signifie « la manière d'être, habituelle » (Dictionnaire historique de la langue française, 1998).

(19) Traduction libre de « Student Orientations to school rules »

(20) L’auteure entend par transgression sociale: tout comportement mis en œuvre par un élève qui a suscité une manifestation de désaccord de la part d’un enseignant (Casalfiore, 2002b, p.5).