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CHAPITRE IV

LA PRÉSENTATION DES DONNÉES ET LEUR ANALYSE

Rappelons, pour introduire ce chapitre, que le principal objectif de cette recherche était d’analyser les représentations que les élèves ont des règles à l’école. Plus spécifiquement, il s’agit de circonscrire les fonctions qu’ils leur attribuent (1er objectif spécifique) ; d’identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école pour réguler les rapports entre les membres de l’établissement scolaire (2ème objectif spécifique) et enfin, de discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif spécifique). Pour vérifier si ces objectifs ont été atteints, il convient de présenter et d’analyser les données recueillies.

Le présent chapitre expose tour à tour i) les catégories retenues et le choix du format de présentation ; ii) les données recueillies en entretiens individuels et l’analyse qui en est faite répondant par répondant (analyse verticale) ; iii) une analyse comparative de l’ensemble des entretiens (analyse horizontale) ; iv) les données recueillies en entretiens collectifs et v) leur analyse. Malgré la quantité de matériaux, il nous a paru utile de conserver dans le même chapitre ces différents éléments afin de ne pas perdre la consistance que fournissent le corpus et son analyse; d’ailleurs, il eut été difficile de traiter séparément ces composantes interreliées.

4.1 Les catégories retenues

Les catégories retenues au cours de l’analyse résultent d’un long processus que Glaser et Strauss (1967, p.10-106) nomment « la méthode comparative constante d’analyse » et au cours duquel il a fallu classer, regrouper, procéder à des codages successifs, condenser, hiérarchiser. Afin de donner suite à ces opérations successives, nous avons retenu quatre catégories correspondant aux objectifs de recherche pour regrouper les 371 codes initiaux. Dans les pages qui suivent, chacune de ces catégories fait l’objet d’une justification et d’une définition et est suivie d’une présentation, sous la forme d’un tableau incluant les sous-catégories et les thèmes qui y sont associés. Pour préciser le sens de ces sous-catégories et de ces thèmes, chaque tableau présente une brève définition des termes utilisés.

4.1.1 Raisons d’être des règles

La catégorie « Raisons d’être des règles », qui est en lien direct avec l’objectif de « circonscrire les fonctions que les élèves attribuent aux règles », a été induite par la question « Selon toi, à quoi servent les règles? ». Les extraits qui apportent des éléments de réponse à la question de recherche : « Quelles fonctions les élèves attribuent-ils aux règles? » ont, dans un premier temps, été regroupés sous le vocable « Fonctions ». Mais, l’expression « raisons d’être des règles » nous a semblée moins réductrice.

Cette catégorie regroupe tous les éléments textuels qui informent, d’une manière ou d’une autre, au sujet de ce qui explique l’existence des règles aux yeux des élèves. Dans certains cas, ces raisons d’être sont vues comme étant légitimes, dans d’autres non. Les citations qui font référence aux raisons d’être « attendues » des règles (ce à quoi elles devraient servir) ne sont pas incluses dans cette catégorie et ont été classées dans la catégorie « Améliorations attendues ».

Nous avons regroupé dans le tableau suivant (tableau 4.1) les éléments mentionnés par les répondants dans quatre sous-catégories (colonne de gauche), comportant chacune plusieurs thèmes (colonne du centre). La colonne de droite contient les définitions de chacun des thèmes qui, mises ensemble, définissent la sous-catégorie concernée. Par exemple, on peut définir la qualité des relations, qui comprend le respect et la régulation à partir des définitions respectives de ces éléments : le respect implique que les règles soient fondées sur le respect de soi et des autres ainsi que la réciprocité et la régulation supposent que les règles permettent de résoudre de gérer les conflits de façon non violente.

Notons que les trois premières sous-catégories (colonne de gauche) concernent des éléments qui justifient les règles aux yeux des élèves et par là même les légitimisent, tandis que la dernière sous-catégorie renvoie à ce qu’ils interprètent comme un contrôle abusif de la part des adultes, par conséquent, illégitime.

Tableau 4.1
Raisons d’être des règles

Qualité des relations
(vivre-ensemble)

Respect

Les règles doivent se fonder sur le respect de soi et des autres, ce qui suppose la réciprocité.

Régulation

Les règles doivent permettre de résoudre les problèmes et de gérer les conflits de façon non violente, c’est-à-dire en bannissant la loi du plus fort et en évitant les passages à l’acte.

Qualité de vie

Sécurité

Garantir la sécurité de chacun en veillant à ce que personne ne soit menacé par un danger quelconque.

Calme et bien-être

Favoriser un climat sain où règne le calme et qui permette à chacun de se sentir « bien dans sa peau ».

Environnement sain (propreté)

Assurer la salubrité et offrir un environnement sain, exempt de saleté.

Encadrement pédagogique

Réussite

Assurer la réussite académique, notamment en offrant un cadre propice à l’étude (obligation d’assiduité, par exemple).

Bon fonctionnement

Assurer le bon fonctionnement de l’établissement scolaire par des mécanismes et procédures permettant le bon déroulement des activités éducatives.

Préparation à la vie en société

Préparer les élèves à leur future vie d’adulte en les habituant aux contraintes qu’exige la vie en société.

Contrôle

Contrôle de quelques-uns

Imposer des limites à quelques élèves incapables de se les imposer par eux-mêmes plutôt que de régler le problème individuellement avec ces élèves.

Interdiction obligation

Proscription ou prescription : contrainte ou restriction imposée par les adultes souvent associées à une absence de droit.

Règles injustifiées

Ériger en règles des choix personnels pour leur donner une légitimité institutionnelle (légitimité contestée).

 

4.1.2 Mise en œuvre des règles

Le thème relatif à la mise en œuvre des règles est revenu fréquemment et souvent de façon spontanée dans les propos des répondants sans qu’il soit nécessaire de soulever la question. Cette catégorie a d’abord été dénommée « application des règles ». Ce terme semblait approprié dans la mesure où il peut désigner la mise en pratique de règles ou de lois, notamment par l’application d’une disposition ou d’une peine. La locution, « mise en œuvre des règles », nous a cependant paru plus appropriée parce qu’elle fait également référence aux moyens utilisés, incluant l’autorité de l’enseignant.

Les éléments textuels regroupés dans cette catégorie et les sous-catégories qui y sont rattachées renvoient à l’objectif d’identifier les règles qui, aux yeux des élèves, sont valorisées par l’école pour réguler les rapports entre les membres de l’établissement scolaire. En effet, si une règle est appliquée c’est qu’elle a de la valeur aux yeux des adultes si, inversement, elle ne l’est pas ou de façon sporadique, c’est qu’elle n’est pas très importante pour les personnes chargées de leur mise en œuvre.

Les extraits entrant dans la catégorie « Mise en œuvre » renvoient à l’application ou non des règles et aux moyens utilisés par les adultes chargés de les faire respecter (notamment le recours à la sanction). Entrent également dans cette catégorie les éléments textuels relatifs aux constats que font les répondants du respect des règles par les élèves.

Trois sous-catégories sont regroupées dans le tableau suivant (tableau 4.2) : mise en œuvre effective, non mise en œuvre et mise en œuvre à géométrie variable. Comme pour la catégorie précédente, la colonne de droite présente les définitions des sous-catégories ou, selon les cas, des thèmes qui y sont associés.

Tableau 4. 2
Mise en œuvre des règles

Mise en œuvre effective

On parle de mise en œuvre effective quand les adultes ayant la charge de faire respecter les règles mettent systématiquement en œuvre les moyens nécessaires pour y parvenir, ce qui se traduit par le respect effectif des règles par élèves.

Non mise en œuvre

Les unités de sens entrant dans cette sous-catégorie laissent toutes entendre d’une manière ou d’une autre que les adultes ne se donnent pas les moyens nécessaires pour faire appliquer les règles, ce qui conduit au désordre.

Mise en œuvre à géométrie variable 

Dépend des enseignants

La mise en œuvre varie d’un adulte à un autre, certains enseignants étant plus stricts que d’autres, notamment en raison de leurs origines culturelles. L’application peut également différer pour un même enseignant (en fonction de son humeur, par exemple).

Dépend des élèves

La mise en œuvre varie selon que les élèves sont appréciés ou non des professeurs (chouchou). L’appréciation peut reposer entre autres sur les résultats académiques, ou sur la conformité des comportements.

Dépend de la période de l’année

La mise en œuvre des règles, stricte en début d’année scolaire, s’assouplit au fil des mois pour en arriver à un véritable relâchement en fin d’année.

Autres

La mise en œuvre des règles varie sans qu’on sache pourquoi.

4.1.3 Améliorations attendues

La catégorie « Améliorations attendues » a été retenue au terme de plusieurs essais d’encodages successifs. Au départ, les catégories « Raisons d’être » et « Mise en œuvre » des règles étaient subdivisées selon que les propos faisaient référence à ce qui est perçu : « ce qui est » ou à ce qui est attendu : « ce qui devrait être ». Tous les extraits qui font allusion à « ce qui devrait être », trouvent leur place dans la catégorie « Améliorations attendues », de même que ceux qui appartenaient initialement aux catégories « Suggestions », « Revendications », « Sentiments » et « Critiques » qui ont par la suite disparu. En effet, tous les extraits concernés par ces catégories avaient en commun d’exprimer des attentes relatives à des améliorations que ce soit de façon explicite (suggestions, revendications) ou implicite (sentiments, critiques). Il s’est avéré qu’un regroupement des unités de sens appartenant à ces catégories serait plus adéquat pour répondre à la question « Quelles conditions pourraient, à leurs yeux, favoriser, le consentement aux règles à l’école? » en lien avec l’objectif de discerner ces conditions.

De plus, les améliorations attendues par les élèves au sujet de règles apportent un éclairage particulier sur l’objet de cette recherche, dans la mesure où elles font apparaître des représentations, non plus seulement de ce qui est perçu comme étant la réalité (la situation actuelle telle qu’elle est ressentie par les élèves), mais aussi de ce que pourrait ou devrait être la réalité (situation souhaitée). En effet, les améliorations attendues résultent du décalage entre ce qui est observé et ce qui est souhaité en ce sens, on peut dire que les améliorations attendues, telles que définies aux fins de cette recherche, font partie intégrante des représentations qu’elles contribuent à façonner.

Les extraits entrant dans cette catégorie ont en commun d’exprimer plus ou moins explicitement les changements que les élèves voudraient voir apportés en ce qui a trait aux règles ; que ces améliorations attendues prennent la forme de souhaits, de recommandations ou de revendications (un changement positif est envisagé dans les propos du répondant), ou de critiques (si une insuffisance ou une défaillance est évoquée).

Le tableau qui suit (tableau 4.3) comporte cinq sous-catégories associées aux améliorations attendues. Comme pour les précédentes catégories, les définitions des thèmes relatifs à chaque sous-catégorie permettent d’en préciser la signification.

Tableau 4.3
Améliorations attendues

Encadrement

Autorité

Les adultes devraient faire preuve de plus d’autorité : exiger le respect de la part des élèves et maintenir l’ordre (être plus sévères).

Conséquences tangibles

Les conséquences en cas de manquement aux règles devraient être significatives afin d’éviter les récidives.

Application effective des règles

Les règles en vigueur devraient être systématiquement mises en œuvre ; les adultes ne devraient pas laisser passer le moindre manquement aux règles. Une application effective des règles suppose la constance.

Formation

Sanctions éducatives

Les sanctions infligées en cas de transgression des règles devraient avoir une visée éducative et ne pas être disproportionnées.

Expliquer le sens des règles

Expliquer le sens des règles pour permettre aux élèves d’en comprendre le bien-fondé; ce qui passe notamment par le dialogue et la sensibilisation.

Responsabiliser

Donner aux élèves l’occasion de prendre des décisions et d’en assumer les conséquences.

Qualité des relations

Considération des élèves

Les adultes devraient porter attention aux élèves, être à l’écoute de ce qu’ils ont à exprimer et prendre en considération ce qu’ils disent. Cette posture devrait les conduire à tenir compte des réalités des jeunes et à n’être pas trop sévères.

Règlement par la parole

Tenter de régler les problèmes par la parole avant d’édicter une règle, ou d’infliger une sanction.

Élaboration

Participation à l’élaboration

Les élèves devraient participer à l’élaboration des règles.

Hiérarchie

Les règles devraient porter sur l’essentiel, il vaudrait mieux qu’elles soient en moins grand nombre, mais qu’elles soient appliquées. L’importance accordée aux règles devrait refléter celle attribuée aux principes qui les sous-tendent.

Mise en œuvre

Égalité / réciprocité

Les règles devraient s’adresser aux adultes comme aux élèves et être appliquées de façon impartiale.

Droit à une défense

Les élèves devraient pouvoir être entendus quand ils sont accusés d’avoir enfreint une règle.

4.1.4 Rapports aux règles

Cette catégorie n’est pas apparue tout de suite, les extraits qui y sont rattachés furent d’abord inscrits dans les rubriques « respect des règles » ou « non-respect des règles » de la catégorie initiale « application » ou dans la catégorie « sentiments exprimés » qui ont depuis été supprimées. Compte tenu des nuances apportées par le nombre important de citations inscrites dans ces rubriques et la distinction qui s’imposait entre la « mise en œuvre des règles » d’une part, et leur respect (ou non) d’autre part, il était nécessaire de créer une catégorie spécifique regroupant ces extraits, ce que permet la catégorie « Rapports aux règles ». Il est à noter qu’à la différence des autres catégories qui renvoient à un objectif spécifique, celle-ci ne fait pas directement référence à l’un ou l’autre d’entre eux; elle fournit néanmoins des éléments qui nous informent sur l’état d’esprit des répondants, apportant ainsi une tonalité particulière à leurs propos. Précisons que les « rapports aux règles » ne sont pas, dans le cas présent, envisagés sous l’angle psychanalytique.

La catégorie « Rapports aux règles » regroupe tous les extraits qui concernent la façon dont les répondants se situent par rapport aux règles et ce faisant sur leurs rapports à l’autorité chargée de les faire respecter. Ces rapports définissent un état d’esprit qui peut être exprimé de différentes manières selon qu’il est question, de sentiments ou d’émotions, de jugement, de croyances, ou d’opinions, ou encore d’une « disposition à agir », c’est-à-dire, tout ce qui intervient dans les décisions et pousse à agir.

Cette catégorie est subdivisée en cinq sous-catégories dont les définitions des thèmes qui y sont associés précisent le sens.

Tableau 4.4
Rapports aux règles

Approbation

Obéir par principe

Accepter, par principe d’observer les règles parce qu’elles sont une composante indispensable pour vivre en société.

Résignation

Obéir par crainte

Se soumettre aux volontés de l’adulte par crainte des conséquences en cas de désobéissance.

Se plier face au rapport de force

Se résoudre à obéir contre son gré devant un rapport de force inégal.

Adaptation

S’ajuster

S’adapter aux exigences qui varient d’un adulte à l’autre. Quand l’adulte laisse faire les élèves, même ceux qui sont habituellement calmes adoptent des comportements déviants.

Se racheter

Faire des efforts pour se conformer à des règles transgressées dans le passé.

Acceptation relative

Selon la compréhension

Ne respecter que les règles considérées comme ayant une raison d’être.

Selon l’humeur

Respecter ou non les règles selon sa disposition d’esprit.

Contester

Exprimer son désaccord au sujet d’une ou plusieurs règles. Réagir contre l’autorité.

Opposition

Transgresser / contourner

Défier l’autorité en transgressant ostensiblement les règles ou exploiter les failles du système pour déjouer le contrôle.

4.1.5 Choix du format de présentation

Le choix d’un format de présentation du corpus fait partie intégrante de l’analyse des données, au même titre que leur catégorisation et il convient de préciser la démarche qui nous y a conduite. Le texte narratif est la forme la plus courante de présentation de données qualitatives. S’il comporte le risque, pour le chercheur, « de tirer des conclusions trop hâtives, partiales et sans fondement », comme l’affirment Huberman et Miles (2003, p.29) ; il offre néanmoins l’avantage de mettre en contexte les données recueillies, qui autrement, risquent de perdre leur substance. Dans le souci de restituer aussi fidèlement que possible les propos des répondants, nous avons donc choisi, dans un premier temps, de recourir au texte narratif. Considérant, par ailleurs les mises en garde de Miles et Huberman, nous avons également eu recours à des matrices pour présenter le corpus de façon systématique sous une forme ramassée et ordonnée.

Dans leur ouvrage intitulé Analyse des données qualitatives, Miles et Huberman proposent différents formats de présentations qui s’apparentent le plus souvent à une table synthétique (matrice, tableau) ou une figure (Huberman et Miles, 2003, p.176). Parmi les formats qu’ils décrivent, le « format ordonné par concept » nous a semblé le plus pertinent à plusieurs titres. En plus de fournir une vision d’ensemble des données, ce type de format i) permet de comparer les propos des répondants ; ii) suggère une analyse plus poussée des données, par exemple par une redistribution ou un regroupement ; iii) se prête aisément à l’analyse intersite sans qu’une refonte soit nécessaire et iv) fournit un ensemble de thèmes utilisables dans toutes les analyses de site. (Huberman et Miles, 2003, p.232).

Dans le cas présent, ce format permet de faire ressortir les catégories conceptuelles (chaque matrice correspond à une catégorie), qui ont émergé au fur et à mesure que les extraits des différents entretiens étaient intégrés dans les matrices. Celles-ci sont le résultat d’un travail qui, comme celui de catégorisation, fut parfois incertain et fluctuant. De nombreux tâtonnements ont été nécessaires avant d’arriver à la forme finale présentée ci-dessous.

Pour chaque entretien, l’ensemble des extraits précédemment encodés ont été intégrés dans les matrices lesquelles sont subdivisées en sous-catégories et en thèmes. Toutes les matrices ayant été complétées pour chaque entretien, il a été possible de dégager l’essentiel du contenu des propos de chacun des répondants et de procéder à une première analyse du corpus.