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4.2.5 Les entretiens collectifs centrés

Rappelons que les entretiens collectifs ont été conduits à la suite et en complément des entretiens individuels (triangulation), en vue d’en entériner les analyses, en les soumettant à leurs auteurs pour en assurer la validité interne. Ces entretiens ont également été l’occasion de soumettre à la discussion les points sur lesquels les opinions semblaient diverger ; ce qui a stimulé la réflexion des répondants et leur a permis de partager leurs opinions. Ces interactions ont produit de nouvelles données et ont généré de l’information qui, autrement, serait restée inaccessible.

Comte tenu de l’objectif principal du premier entretien collectif, le guide a été élaboré à la lumière d’une première analyse des entretiens individuelsmettant en évidence les convergences et les divergences des opinions émises (voir le guide : Appendice B). Bien que nous ayons utilisé ce guide d’entretien et centré les discussions sur la question des règles, nous ne sommes pas intervenue pour orienter les discussions dans telle ou telle direction, préférant laisser opérer les interactions entre les répondants. La liberté accordée aux participants a permis d’aborder différents aspects des règles mettant en évidence une dimension singulière des représentations qu’en a le groupe.

À la différence des entretiens individuels, les entretiens collectifs centrés ont la particularité de placer les répondants dans une situation d’interaction, ce qui permet à l’ensemble des participants d’avoir une vue d’ensemble des représentations des autres répondants et de stimuler la réflexion sur les questions soulevées par les règles.

S’agissant du mode d’analyse, comme pour les entretiens individuels, nous avons pris en notes dans le journal de bord tout ce qui nous semblait pouvoir être utile : les expressions marquées du visage, les échanges de regards et autres interactions non verbales, ainsi que tout ce qui était susceptible d’informer sur la charge affective des propos émis. Par la suite, les enregistrements ont été retranscrits mot à mot, puis ont fait l’objet d’une codification à partir des thèmes qui ressortaient dans chacun des groupes. Il s’est avéré que, même si ceux-ci étaient traités différemment, ils ont été abordés dans les deux écoles.

Il en est ainsi de i) la nécessité des règles, ii) l’égalité / réciprocité, iii) la participation à l’élaboration des règles, iv) la négociabilité de celles-ci, v) la nature et l’utilité des sanctions et vi) les liens entre les règles et les droits. Dans les pages qui suivent, chacun de ces thèmes fait l’objet d’une analyse partielle (pour chacun des groupes), puis d’une analyse plus globale (pour l’ensemble des groupes).

4.2.5.1 École A

Comme indiqué précédemment, les entretiens collectifs se sont tenus dans une salle de réunion spacieuse et lumineuse, meublée d’une grande table ovale et d’une vingtaine de fauteuils de direction. Il était exceptionnel, pour les élèves d’entrer dans cette salle, hormis pour leurs deux représentants au conseil d’établissement. Ce cadre semble avoir favorisé un sentiment de valorisation.

Au cours de l’entretien de groupe, on voit se dessiner les personnalités des participants ; à travers leurs gestuelles et leurs façons d’intervenir, on observe des tempéraments très différents. Ainsi, les notes de terrain révèlent plusieurs éléments qui doivent être considérés au moment de l’interprétation des données générées dans ces entretiens.

À leur arrivée dans la salle de réunion, les participants étaient invités à prendre le chevalet à leur nom et choisir une place autour de la table. La place qu’a choisie Nikki se trouvant isolée du reste du groupe, nous lui avons suggéré de prendre place à côté de Minoune, ce qu’elle a refusé de faire. Nous l’avons donc laissée s’installer là où elle le souhaitait. Le schéma suivant indique la disposition des participants autour de la table.

Figure 4.1
Disposition des participants : 1er entretien, école A

Comme dans la plupart des groupes, certains participants sont moins loquaces que d’autres. Dans le cas présent, seules Marie-Toutoune et Minoune étaient réservées, au point que nous avons dû les solliciter à plusieurs reprises pour qu’elles s’expriment. Tous les autres participants semblaient avoir une propension à prendre facilement la parole (Lestoil, Joe-Binette, Rimbo-Moutarde, Chico et Nikki). Les extraits de notes de terrain qui suivent apportent des éléments qui permettent de mieux saisir la dynamique qui a présidé lors des échanges.

Minoune a agité le pied tout au long de l’entretien, elle paraissait nerveuse et impatiente, se mordillant les lèvres, baillant et regardant sa montre à quelques reprises. À chaque fois qu’elle a pris la parole, elle s’est adressée à moi, plutôt qu’aux autres membres du groupe, perdant ainsi leur attention : chuchotements en aparté entre Nikki et Chico de même qu’entre Rimbo-Moutarde et Joe-Binette. Minoune regardait, sans grande expression ni réaction, les autres participants, semblant peu attentive à ce qu’ils disaient, elle m’a donné l’impression d’être absente.

Marie-Toutoune se tenait également en retrait, les bras croisés, mâchant de la gomme. Mais, à la différence de Minoune qui restait passive, elle souriait ou répondait à l’occasion à ce qui venait d’être dit.

Les autres participants ont tous exprimé leurs points de vue sans que j’aie à les solliciter, il a même fallu que j’intervienne à quelques reprises auprès de Lestoil et de Rimbo-Moutarde pour qu’ils laissent aux autres un temps de parole.

Lestoil, qui s’est montré attentif à ce qui était dit, se rongeait les ongles nerveusement lorsqu’il devait attendre son tour pour parler. Alors qu’il semblait très sûr de lui en entretien individuel, il donne l’impression de l’être beaucoup moins en groupe. D’ailleurs, il assouplit sa position au sujet de la règle d’interdiction de parler pendant un cours, sachant que plusieurs des participants font partie des élèves qui l’enfreignent, ce qui peut laisser penser qu’il veut se rallier à la majorité.

Joe-Binette a également manifesté un peu de nervosité en agitant son pied sous la table. Elle donnait, par ailleurs, l’impression d’être attentive, même, si à quelques occasions, elle s’est laissée distraire par Rimbo-Moutarde qui lui parlait et Lestoil qui la taquinait en lui mettant la main sur la tête.

Rimbo-Moutarde, qui semble occuper une place de leader dans ce groupe, est arrivé avec Joe-Binette avec qui il partage vraisemblablement une complicité. Il est vrai que tous deux sont dans un programme enrichi. On décèle également une connivence avec Chico, avec qui il a échangé des regards complices, notamment, quand Lestoil parlait de la nécessité du silence pour permettre la concentration en classe.

On peut supposer que Rimbo-Moutarde et Chico font tous deux partie des perturbateurs auxquels Lestoil fait allusion dans ses propos.

Rimbo-Moutarde est quelque peu agité pendant l’entretien ; il s’amuse avec tout ce qui est devant lui : il déchire les papiers d’emballage des gâteaux, joue avec la bouteille de jus et avec son chevalet. À plusieurs reprises il fait des apartés, visiblement, il veut rigoler avec ses voisins.

On peut également déceler une complicité entre Chico et Nikki, qui se sont offert chacun leur tour de prendre la parole : « Tu peux y aller » « non toi… ». Au cours des échanges, malgré la place qu’elle occupe autour de la table, Nikki ne s’adresse ni à Marie-Toutoune, ni à Minoune qui sont pourtant dans son champ de vision, alors qu’elle regarde Rimbo-Moutarde, Joe-Binette et Lestoil, bien que cela lui demande de se pencher.

Pendant l’entretien Nikki était un peu agitée ; elle a sorti de son sac à main une trousse contenant des crayons avec lesquels elle a joué un moment, elle s’est levée pour aller jeter quelque chose dans la corbeille à papier.

Cocotte devant prendre part à une animation dans le cadre du projet de prévention de la violence auquel elle participe, elle n’a pas pu assister au premier entretien de groupe, par ailleurs, Nikki qui « reprenait » un examen n’est, quant à elle, pas venue au second. Le schéma qui suit montre la disposition des participants autour de la table.

Figure 4.2
Disposition des participants : 2nd entretien, école A

L’absence de Nikki et la présence de Cocotte lors du second entretien ont, de toute évidence, modifié la dynamique de façon notable. En effet, Nikki paraissait populaire auprès de plusieurs participants, alors que Cocotte est visiblement moins appréciée. Il faut dire qu’elle est intervenue à plusieurs reprises de façon quelque peu agressive à l’égard des autres participants et ce, en dépit des principes qu’elle défend à travers son implication dans le comité de prévention de la violence. D’ailleurs les autres répondants lui ont foit remarquer qu’elle manquait de respect pour les autres.

Cocotte - [fort] Ta gueule! J’ai pas fini. Laisse moi finir!

Marie-Toutoune - Hey les gros mots, tu manques de respect.

Joe-Binette - Ben oui.

Cocotte a également haussé le ton à la fin de l’entretien au sujet de la date des examens de fin d’année, les manifestations de son impatience dénotent une certaine agressivité mal contrôlée.

Cocotte - [Très fort] Oui dans ton examen, dans ton agenda oui mais on commence le 13, réveille là, mautadit! [...] met à terre t’es dur câlik tu vas voir que j’ai raison.

Joe-Binette - Elle doit avoir de la misère avec le respect je pense!

[…] Cocotte - Ah… Je vais le battre.

Paradoxalement, Cocotte qui est celle, parmi les répondants, qui parle le plus de respect, d’écoute et d’empathie, est également celle qui s’emporte le plus facilement, allant jusqu’à agresser verbalement ses paires. Les notes de terrain mentionnent d’ailleurs que « Cocotte intervient dans le groupe de façon négative » et qu’« elle ne donne pas l’impression de vouloir s’intégrer à la discussion, comme si elle attendait seulement le moment de pouvoir dire ce qu’elle veut dire, sans s’intéresser à ce que disent les autres ».

Voyons maintenant ce que révèlent les données issues de ces entretiens.

Nous avons voulu vérifier si tous les répondants étaient d’accord avec notre interprétation de leurs propos. Tous maintiennent que les règles sont nécessaires à la vie en société, cependant, ils soulignent dès le début de l’entretien que cette nécessité ne concerne pas toutes les règles.

V - Est-ce que les règles sont indispensables?

Plusieurs filles - Oui.

Joe-Binette- Ben ça dépend lesquelles là.

[...] Lestoil - Il peut avoir certaines règles qui sont indispensables, sauf que y’en a qui sont vraiment euh… On pourrait s’en passer.

Marie-Toutoune qui disait ne remettre en question aucune règle (RAI), est moins catégorique en groupe et conteste le bien-fondé de certaines règles, notamment, celles qui concernent la tenue vestimentaire.

Marie-Toutoune - C’est pas parce qu’on a les épaules à l’air là avec une p’tite, p’tite bretelle mince que ça veut dire qu’on veut exciter les gars t’sais on s’habille comme on veut pis on veut pas faire ch… [expression populaire] personne dans le fond là.

Contrairement à ce que laissaient penser ses propos lors du premier entretien, il semble lui arriver d’enfreindre certaines règles, tout en évitant les sanctions. D’ailleurs, elle est arrivée avec un débardeur très décolleté à fines bretelles, ce qui, nous l’avons vu, est interdit par le règlement : « Marie-Toutoune - T’sais j’en ai même pas eu [de retenue] pis j’suis rendue à trente [retards] moi avec là ». Hormis ces quelques nuances dans les propos de Marie-Toutoune, les échanges entre les répondants de ce groupe confirment ce qu’ils ont dit lors des entretiens individuels au sujet des règles qu’ils jugent comme étant indispensables.

V - Qu’est-ce que ça devrait être les priorités [des règles]?

Marie-Toutoune - Ben le respect.

[…] Lestoil - Le respect.

Rimbo-Moutarde - Le respect de tout le monde.

[…] Lestoil - Mais les règles partent toutes du respect, comme si y’avait un petit carré respect là pis ça diminue, y’a rien en haut du respect là… C’est tout en bas.

[…] Marie-Toutoune - Ça part tout du respect dans le fond.

Lestoil - Ouais.

Rimbo-Moutarde - Mais le monde entier dépend du respect là. […] Le respect ça renforce les droits.

[…] Chico - C’est la principale

Cocotte - C’est comme la base là dans le fond.

[…] Marie-Toutoune - Moi, j’pense que toutes les règles ça découle du respect genre, c’est la première règle pis y’a plein d’autres règles qui va après ça […] Si y’a pas de respect genre y’a vraiment pas de règles là.

Le respect semble être à leurs yeux le fondement de toutes les règles et ce qui en légitime l’existence. Quand tel n’est pas le cas, les élèves considèrent que les règles sont injustifiées.

Au cours des entretiens, le thème de la rigueur dans la mise en œuvre des règles est revenu à plusieurs reprises. Les échanges, dans ce groupe, laissent penser que l’absence d’intervention des enseignants pénalise les élèves qui veulent se concentrer sur leur travail.

Lestoil - Moi j’trouve que on peut communiquer, sauf que quand y’a un travail à faire comme qui est important là t’sais, […] pis tout le monde parle, c’est comme, c’est pas logique. D’un sens c’est comme t’as besoin de ta concentration à cent pour cent.

Minoune - Ben c’est quand […] des fois le monde commence à parler dans les cours pis on dirait qu’ils sont plus capables d’arrêter là. C’est comme le prof, elle parle pis ça continue, ça continue, […] pis là ils disent d’arrêter tout le monde gueule dans la classe « Arrêtez! » t’sais pis ça continue quand même là. […] C’est ça parce qu’on peut pas se concentrer…

Pour assurer la mise en œuvre effective des règles, les répondants préconisent l’application de sanctions strictes et appropriées. Ils ajoutent cependant que, même si les sanctions de nature punitive peuvent dissuader certains élèves de transgresser les règles, l’obéissance dont ils témoignent ne doit pas être confondue avec du respect. De leur point de vue, obéir par crainte des sanctions, n’est pas du respect ; et un enseignant sévère n’est pas nécessairement respecté des élèves.

Marie-Toutoune - Ben, c’est pas parce que y’est sévère que je vais vouloir le respecter. Il est cool t’sais O.K. il va être sévère mais en même temps il va être cool avec le monde […] il va dire « Ça je l’accepte pas, pis ça c’est correct ça passe ». Ça, tu vas le respecter parce que t’sais y’a des limites pis tu les trouve raisonnables ces limites là. S’il est trop sévère, tu le respecteras pas plus […] ça va juste te faire ch.. [expression populaire] dans le fond là. T’sais tu le respecteras pas plus à cause de ça.

[…] Minoune - Quand le prof est plus sévère avec toi, tu le respecteras pas plus. [mais] c’est parce qu’il est sévère que tu vas t’assoire pis que tu vas l’écouter pis que tu diras rien là. T’sais c’est ça il est sévère, tu vas rester calme pour pas te faire chiâler. [mais après] tu vas foxer ton cours là!

Même Lestoil qui, en entretien individuel préconisait comme sanctions des tâches répétitives et faisant peu appel à la réflexion -comme copier le règlement en changeant de couleur pour chaque lettre-, insiste en groupe pour dire que les sanctions doivent être éducatives.

Lestoil - Non mais en général [...] faut qu’il y ait un lien entre la punition pis le problème. [...] Comme moi mon prof d’anglais, Martine, elle fait, si tu parles, elle te garde après le cours pis elle te fait laver la classe. […] J’sais pas c’est quoi le lien entre la punition pis le fait de parler pis le fait de nettoyer la classe là.

En dernier recours, la menace d’éviction peut inciter les élèves à se conformer aux règles ; toutefois, s’ils n’en comprennent pas le bien-fondé, ils ne les intérioriseront pas ; tout au plus, s’y soumettront-ils pour ne pas être inquiétés.

Rimbo-Moutarde - O.K. Ça sert à rien peut-être, sauf que crois moi que […] N’importe quel élève qui se fait parler par le directeur là. Je pense pas que personne aime ça se faire dire genre « Je vais te foutre en dehors de l’école ».

[…] Marie-Toutoune - Quand tu respectes quelque chose c’est parce que […] tu comprends que faut que tu fasses ça. C’est comme tu dis « ça c’est bien de faire ça », donc tu respectes ça. Si tu te dis j’vais juste me faire punir, si j’fais pas comme ça, t’sais c’est pas du respect, j’aurai quelque chose après là, j’vais avoir une punition, tu respectes pas pantoute.

[…] Minoune - Ben c’est ça t’sais mettons un prof il est sévère pis tu le sais que si tu niaises dans son cours tu vas te faire punir, même si tu l’aimes pas le prof tu vas le faire quand même […] mais tu le respecteras pas plus là. […] c’est juste parce que t’as peur d’avoir une retenue ou quelque chose de t’sais tu vas rester tranquille.

La menace de sanction pour obtenir des élèves qu’ils se conforment à ce qui est exigé d’eux est vue comme une forme de conditionnement qui ne conduit en rien au respect.

Rimbo-Moutarde - On n’est pas des animaux. C’est vrai, ton chien tu veux pas qu’il fasse quelque chose, quand ton chien il fait quelque choses, une tape sur le museau.[…] c’est de la psychologie là […] c’est du conditionnement.[…]. On n’est pas des animaux […] On dit qu’on est une race plus évoluée mais montrons-le un peu là.

[...] Minoune - C’est ça j’ai dit que c’est pas parce que la personne elle va être sévère avec toi que tu vas plus la respecter parce que t’as peur des conditions là.

Joe-Binette - Ouais, ouais c’est ça. Parce que les profs la plupart du temps ils vont te dire quoi faire. Mais toi, [...] tu vas faire par rapport à toi. [...] tu vas penser à toi, TOI qu’est-ce qui va t’arriver [comme conséquence] si ça te dérange ou si ça te dérange pas. Si ça te dérange pas tu vas le faire pareil.

Nikki - Ben j’trouve ça c’est pas du respect parce que genre il me semble si tu lui joues dans le dos t’sais [...] c’est comme si tu jouais l’hypocrite devant lui [...] Mais c’est juste parce que dans le fond y’a des sanctions. Mais, si y’avait pas de sanctions pis toi tu tournes le dos ben je vais aller niaiser de mon côté t’sais. Fait que c’est pas du respect, le respect c’est genre tu fais quelque chose parce que ça te fait plaisir de le faire pour quelqu’un t’sais, ça c’est du respect.

[…] Lestoil - Non moi je trouve que derrière, avec le respect y’a toujours un petit peu d’hypocrisie qui vient avec [...] Tu vas être respectueux de même avec ton prof […] pour le fait que c’est un professeur. Sauf que en dedans, d’un autre côté dans le fond t’sais, « va ch...[expression vulgaire], mange d’la m… [expression populaire]! ».

Finalement, on comprend dans cet extrait que, chacun défend ses propres intérêts en utilisant diverses stratégies au nombre desquelles, l’hypocrisie semble occuper une place importante. Dans cette perspective, le thème de la vie en commun et de la règle scolaire n’est plus pertinent et le respect cède la place à la duplicité.

Le respect dont nous parlent les répondant est par essence réciproque, tous se rejoignent sur ce point, y compris ceux qui n’avaient pas abordé cette question en entretien individuel. Pour eux, il ne peut y avoir de « respect à sens unique » ce qui passe par la prise en considération des élèves.

Nikki - pas juste comme le respect, que c’est juste le prof là qui a droit au respect

[...] Joe-Binette- Mais t’sais comme elle disait Nikki, le respect ça commence avec les profs pis tout, parce que si eux autres n’ont pas de respect envers toi, t’aurais pas envie de les respecter.

Chico - Parce que c’est les profs qui, c’est eux autres qui sont supposés de donner le cours, l’éducation ; fait que nous autres on, […] on prend l’exemple. T’sais si eux autres nous gueulent après pis nous parlent mal, on va pas avoir de respect avec lui pis c’est notre prof.

[…] Minoune - Ben moi je trouve que si tout le monde se respecterait [sic] dans une classe, ça irait super bien t’sais [...] Parce que [...] la personne t’sais elle va nous respecter pis on va être plus porté à l’écouter vu qu’elle nous respecte.

[…] Cocotte – J’suis d’accord avec ça là le respect c’est important ; t’envoie pas ch... [expression vulgaire] quelqu’un de même à tour de bras si tu respectes. Tu y dois respect là mais, ce que je trouve injuste c’est qu’il y en a qui manquent de respect, mais toi t’aurais pas le droit d’y manquer de respect, t’sais

L’absence de réciprocité pourrait être à l’origine de l’irrespect que manifestent les élèves à l’égard de certains enseignants. Rimbo-Moutarde explique que quand un enseignant manque de respect à un élève, il se met toute la classe à dos.

Rimbo-Moutarde - Le prof, il est tout seul en avant contre trente personnes O.K. […] Pis, si le prof il manque de respect envers quelqu’un, ben tout le monde va vouloir manquer de respect envers le prof t’sais il est trente contre un là.

Le respect attendu passe notamment par la façon dont les enseignants s’adressent aux élèves, qui n’est, semble-t-il, pas toujours adéquate.

Nikki - On n’est pas des animaux je veux dire! « Assis, assis pis la ferme là » […] Y’a des profs, première journée d’école O.K. « Ça c’est mes règles, c’est soit ça ou c’est rien tu prends la porte ». C’est pas une manière de parler à des jeunes t’sais!

Lestoil - Ouais, mais y’a toujours une manière de dire.

Joe-Binette- C’est ça, dire…

Lestoil - Tu peux dire n’importe quoi à quelqu’un, c’est de la façon que tu vas le dire. […] Si tu y vas agressif, la personne elle va le prendre personnel.

[…] Chico - C’est vrai, y’en a que c’est pas de respect. […]. Il m’avait traité de c... [expression vulgaire] pis genre j’étais comme… J’ai rien dit, je suis allé voir la secrétaire, j’ai dit y’a un prof qui me traite de c..., pis c’est pas la première fois que ça arrive, ça arrive à d’autres élèves aussi. […] Pis je pouvais plus travailler avec le prof qui m’avait traité de c.., je pouvais pas lui donner mon respect.

On comprend dans les échanges autour de cette question que les élèves seraient prêts se conformer aux règles s’ils sentaient que les enseignants usent de leur autorité pour les faire réussir, ce qu’ils jaugent très rapidement.

Nikki – J’aime pas mon prof de math […], mais […] je le sais qu’elle veut que tout le monde passe son année fait que, quand c’est le temps d’écouter […] j’essaie de me la fermer pis j’écoute t’sais. […] Ben, c’est pas une question d’aimer le prof là, mais c’est juste comme une question que essayer de comprendre où qu’elle veut en venir.

Joe-Binette - C’est comme y’a des profs là, autoritaires, quand ils arrivent dans la classe, juste la première journée, tu vois qu’eux autres ils aiment qu’est-ce qu’ils font, pis y’aiment ça travailler, y’aiment ça être avec les élèves. Mais y’en a qui rentrent, pis tu vois que y’aiment pas qu’est-ce qu’ils font c’est juste pour gagner de l’argent.

Fille - C’est vrai.

Joe-Binette - Excuse le mot là, mais ils s’en câlissent [fichent] des élèves.

Tous les répondants de ce groupe, y compris ceux qui ne suggéraient pas d’améliorations en matière de participation, semblent penser que, si les adultes faisaient quelques concessions pour prendre en compte le point de vue des élèves, ceux-ci seraient également disposés à en faire et tout le monde serait satisfait.

Nikki - Il faudrait faire des règles que tout le monde fasse des concessions t’sais comme faut trouver un point, un point milieu genre.

[…] Rimbo-Moutarde – Ouais, moi je dis que c’est vrai.

Joe-Binette - C’est ça.

Rimbo-Moutarde - C’est pas juste à une partie d’en souffrir des règles. Comme on dit, tu peux mettre de l’eau dans ton vin, pis tout le monde va être content. Ça sert à rien de faire ch… [expression populaire] un bord pour que l’autre soit content.

Marie-Toutoune - Ça a ben de l’allure ça.

Tous estiment qu’il est important que les élèves soient associés à l’élaboration des règles et que cette participation ne se limite pas à deux représentants des élèves au conseil d’établissement. Plusieurs propositions vont dans le sens d’une consultation de tous les élèves.

Nikki - Participer d’un sens, pas le conseil étudiant parce que, des fois, ça représente pas la majoritaire de l’école. Parce que, des fois un conseil étudiant, ben c’est comme, la personne [qui nous représente], moi je la connais même pas c’est qui t’sais.

[…] Marie-Toutoune -Ça représente pas toute l’école…

Nikki – [Interrompt] Ouais, ça représente pas toute l’école deux personnes! Qu’est-ce qu’ils devraient faire, c’est pogner [prendre] mettons cinq, dix minutes pendant une classe mettons, au début de l’année […], pis savoir genre un petit peu l’opinion de tout le monde genre faire un p’tit sondage ou quelque chose comme ça. Comme ça, ça va au moins plus représenter toute l’école pas juste les deux personnes qu’est-ce qu’ils pensent.

Au cours de cet échange, les participants abordent concrètement la question de la représentativité en démocratie et semblent opter pour un système de démocratie directe.

Joe-Binette - Comme quand ils choisissent les élèves pour être au conseil d’établissement ou juste le conseil étudiant, fait que les élèves qu’ils prennent, c’est pas nécessairement des élèves qui ont des idées pis qui veulent ou qui écoutent qu’est-ce que les autres vont penser. […] T’en as juste deux ; tu vas pas avoir l’opinion de la majorité. À moins qu’elle parle à tout le monde, mais ça arrive pas t’sais.

Nikki - Pis même à ça, c’est pas parler à tout le monde…

[…] Rimbo-Moutarde - Ça devrait être tout le monde qui décide. Sauf que, O.K., on est trois groupes de personnes qui vit dans l’école O.K., pis y’a la direction, les profs pis les élèves. Pourquoi que ce serait à la direction et aux profs de décider pour tout le monde? Je m’excuse, mais on vit dans un environnement, on veut tous participer, on veut tous que la joie règne et le respect règne O.K. Fait que, si on veut que tout ça fonctionne ensemble, pourquoi qu’on pourrait pas se mettre tous ensemble pour former quelque chose qui durerait genre?

Chico soulève, quant à lui, la question de la prise en compte des minorités dans les prises de décision.

Chico - Parce que, vous êtes en train de parler que l’affaire étudiant là ; ils sont deux qui parlent pour tout l’école nan, nan, nan, nan. Vous êtes en train de parler de le nombre de personnes qui parlent. Faut aussi voir […] la classe sociale [des] personnes qui vivent t’sais. Moi, je suis sûr que je suis différent de tout le monde. Je vis pas pareil comme tout le monde […]. Fait que je vais avoir un point de vue différent de tout le monde, que n’importe qui ici. Parce que la personne qui représente au conseil étudiant, ça va être quelqu’un, sûrement, qui est vraiment intégré à l’école […]. Mais elle sait pas, moi j’suis pas comme lui, moi j’suis pas comme la personne là-bas, moi je m’intègre pas beaucoup à l’école ; mais j’ai peut-être d’autres affaires différents à dire.

Au cours du second entretien, une partie de la discussion a porté sur la négociabilité des règles. Toutes les règles ne sont pas discutables aux yeux des répondants. D’ailleurs il serait inutile de discuter des règles qui font consensus.

V - Est-ce que toutes les règles sont discutables, ou il y en a qu’on ne peut pas négocier?

Chico – [Interrompt] Ben oui comme le respect.

[…] Cocotte – J’suis d’accord avec ça là, le respect c’est important.

[…] Rimbo-Moutarde - Les règles peuvent toutes être discutées, sauf qu’il y en a certaines qui ont pas besoin d’être discutées tout le monde va les appliquer.

V - Lesquelles, par exemple?

Rimbo-Moutarde - Ben le respect! C’est tout là, c’est la grosse règle. […] Y’a aucune règle comme ça qui me vient en tête. […] Je pense que tout le monde va être d’accord, que ce soient les parents, les professeurs ou les élèves là. Ils vont dire, même si ils discutent, que ça servirait presque à rien à discuter.

V – Donc, toutes les règles qui tournent autour du respect. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça?

Gars/Filles - Oui.

Pour les répondants de ce groupe, le lien entre les règles et les droits semble évident : les règles devraient permettre de garantir les droits.

Joe-Binette - Dans le fond, quand ils te disent « T’as pas le droit de faire ça », c’est comme, c’est pour l’autre, fait que […] ça se retourne dans le fond. Comme t’as pas le droit de, admettons d’envoyer ch… [expression poplaire], l’autre, c’est comme c’est irrespect pour lui.

[...] Marie-Toutoune - T’sais, quand elle se revire de bord, donc t’as pas le droit, mais pour lui [l’autre] genre c’est un droit.

Rimbo-Moutarde n’est pas en désaccord, mais il considère que la façon dont les règles sont énoncées pourrait être plus positive en mettant l’accent sur les droits plutôt que sur les interdictions comme c’est actuellement le cas, ce qui, ajoute-t-il, éviterait l’attrait de l’interdit.

Rimbo-Moutarde - C’est beau dire « t’as pas le droit », sauf [...] au lieu que ce soit « il est interdit de » ou « t’as pas le droit de » ça serait genre […] essayer de mettre ça positif pour tout le monde.[…] Les règles seraient peut-être plus respectées […], à cause que les personnes essaient toujours de dévier les règles, […] j’sais pas pourquoi là, mais c’est comme ça.

Bien qu’en théorie, les règles soient sensées garantir les droits, plusieurs exemples démontrent le contraire aux yeux des participants. Il en est ainsi des règles vestimentaire qui iraient à l’encontre du droit à l’identité.

Chico - Tout le monde a le droit à une identité genre.

Joe-Binette - Y’en a c’est sûr qu’il dit le droit […] à l’identité, là y’a d’autres règles qui compromettent celles-là par exemple.

Chico - Ouais c’est ça.

V - Tu peux euh tu peux m’expliquer un petit peu?

Joe-Binette – Ben, comme qu’est-ce que lui il disait à la dernière fois là. Son foulard qu’il se promène sur sa tête, t’sais pour lui c’est comme une identité là non? [...] J’veux dire, c’est propre à toi là. C’est comme toi, qu’est-ce que tu veux faire comment tu veux t’habiller, les autres ont pas d’affaire [ça ne les regarde pas].

[…] Chico - On n’est pas dans une école privée, on est dans une école publique! Ça le dit, publique. Publique : tout le monde c’est libre, c’est libre de choix [...] tu vas à l’école, tu respectes qu’est-ce qui est là, mais t’sais, viens pas me dire que ça change de quoi là à l’enseignement!

Toujours à propos des règles vestimentaires, une discussion s’engage sur le respect de l’identité culturelle. Rimbo-Moutarde donne l’exemple d’une élève à qui il avait été interdit de porter des tresses ; alors que dans le même temps, une autre élève, noire, ayant une coiffure semblable n’avait pas été inquiétée.

S’en suit toute une discussion sur la question des particularismes culturels, notamment le port du hijab chez les Musulmans et du kirpan chez les Sikhs. Ils reviennent sur ce sujet lors du second entretien collectif.

Voyons maintenant ce qui ressort des entretiens avec les répondants de l’autre groupe.