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4.2.5.2 École B

Dans cette école la directrice adjointe avait réservé le local de pastorale pour les deux entretiens collectifs. Cette salle, d’une grande superficie, est très lumineuse grâce à d’immenses fenêtres qui occupent un mur complet. Nous avions regroupé huit des pupitres disséminés dans une partie de la salle, pour constituer une table autour de laquelle les participants se sont installés.

À leur arrivée, les participants à l’entretien collectif ont rapidement trouvé le chevalet à leur nom et pris place. Le schéma qui suit indique leur position autour de la table.

Figure 4.3
Disposition des participants : 1er entretien école B

Lors du second entretien tous les participants ont changé de place, mais ces changements n’ont pas changé la dynamique de façon observable.

Figure 4.4
Disposition des participants : 2nd entretien, école B

Dans ce groupe, Scarface est le seul garçon et comme il nous l’a confié lors d’un échange informel, il n’a pas l’habitude de discuter avec les filles ainsi que le recommande sa religion. Il paraît en effet, un peu mal à l’aise au début de l’entretien, à la différence des filles qui prennent volontiers la parole sans que nous ayons à les y convier. Assez rapidement toutefois, il se décontracte et prend part à la discussion.

Scarface est un peu isolé. Il garde les bras et les jambes croisés pendant la première partie de l’entretien, sa chaise est éloignée de la table. Après s’être exprimé au sujet des sanctions, il se lève, et prend un morceau de chocolat au centre de la table. Il décroise ses jambes et ses bras et semble plus décontracté.

Scarface est également le seul à défendre sa position (RL) contre les filles qui semblent se liguer contre lui, surtout lors du premier entretien. Il faut ajouter que, ainsi qu’il le dit lui-même en entretien individuel, il aime argumenter, ce qui lui est d’ailleurs reproché par la directrice adjointe. Dans le cadre de l’entretien collectif on peut penser que la position qu’il défend pourrait bien-être aussi celle de l’avocat du diable.

Aucune des filles ne semble comprendre le discours que tient Scarface en faveur du respect inconditionnel des règles, alors qu’elles constatent qu’il est de ceux qui les enfreignent. En effet, Scarface proclame haut et fort qu’il est nécessaire de comprendre et de respecter les règles, tout en reconnaissant, comme nous le verrons plus loin, qu’il ne les respecte pas lui-même. La raison qu’il invoque est que les adultes ne les respectent pas non plus.

Spyro manifeste des signes de nervosité cependant qu’elle affiche une certaine assurance.

Quand les autres s’adressent à Spyro, elle agite son pied et cesse lorsqu’elle prend la parole. Elle affiche toutefois une certaine assurance, parle fort et elle est la première à se précipiter sur les gâteaux et le jus placés au centre de la table.

Sans préjuger des liens qui unissent Dizine, Doktar-Irouni et Simran, il semble évident qu’elles partagent une certaine complicité, comme l’indiquent les notes de terrain.

Dès le début de l’entretien, on remarque la grande connivence entre Dizine et Doktar-Irouni de même qu’une complicité entre elles et Simran qui acquiesce la plupart du temps à ce qu’elles disent. Elles s’adressent des sourires, notamment quand Spyro ou Scarface ont la parole.

Simran balance sa jambe sous la table et regarde souvent ses mains. La posture de Dizine est plus décontractée que celle de Simran, qui se tient droite et n’utilise pas le dossier de sa chaise. Dizine est légèrement orientée dans ma direction.

Vers la fin de l’entretien, on observe un rapprochement : Dizine touche le bras de Spyro qui lui fait la même chose quelques secondes plus tard.

Simran qui semble très attentive à ce qui se dit, montre des signes d’incompréhension quand Scarface s’exprime. Elle intervient pour le questionner, et mettre en évidence les contradictions qu’elle voit dans ses propos. Elle procède de la même manière avec Spyro mais, n’insiste pas quand elle se rend compte qu’elle a mal compris.

Dans le second entretien, on observe un adoucissement du ton qu’emploient les filles quand elles s’adressent à Scarface. Toutefois, elles se coalisent contre lui à une occasion pour affirmer qu’il est incompréhensible quand il parle. Scarface, qui a de la difficulté à se faire comprendre, a en effet, un fort accent rendant son élocution malaisée.

Bien qu’à la différence du groupe précédent la question de la nécessité des règles n’ait pas fait l’objet de discussions dans ce groupe, tous les répondants ont acquiescé quand nous leur avons demandé s’ils pensaient que les règles sont nécessaires à l’école. Cette affirmation ne concerne cependant pas toutes les règles, sauf pour Scarface, qui considère qu’aucune règle ne doit être remises en question. De son point de vue, les élèves n’ont pas à juger de la pertinence des règles. Ils doivent seulement les accepter et s’y conformer, ce que contestent manifestement Simran, appuyée par les autres participantes. Dans ses propos, Simran évoque les enjeux de pouvoir que soulève la production des règles. De son point de vue, le statut des décideurs ne les prémunit pas contre les décisions erronées et, trop souvent, les règles servent les intérêts des adultes.

Scarface - C’est pas pour rien si cette règle elle existe [...] C’est ça l’affaire. Tu dois le comprendre.

Simran - Oui mais si y’a personne comme pour te faire comprendre, pis toi tu peux pas le comprendre toi-même, fait que t’as tendance à penser que c’est stupide.

Scarface - C’est impossible, c’est pour ça que ça existe la règle. Qui l’a créée alors que c’est lui qui va…

Simran - [interrompant] Ok, peut-être juste que, la personne qui l’a créée cette règle, est stupide, alors la règle va être stupide. Comment tu vas expliquer ça?

Scarface - Y’a pas de règles qui sont inventées par des gens stupides. […] Et moi je pense comme y’a pas de règle stupide. Parce que, chaque règle, elle doit avoir une logique […]. C’est pas pour rien si cette règle elle existe. Alors, on doit le comprendre, on doit le savoir, comme on doit savoir c’est quoi les conséquences, c’est quoi les règles.

Simran – Mais, si tu les comprends pas, comment tu peux l’écouter? […] Tu peux pas dire que toutes les règles sont correctes. Si elle dit quelque chose qui va pas avec ce que tu penses, tu vas pas dire que la règle est correcte, juste parce que c’est une règle. C’est pas comme […] un mot sacré, comme règle ok waoh.

Les discussions qui ont eu cours dans ce groupe suggèrent d’apporter quelques nuances aux précédentes analyses. Ainsi, Spyro, qui en entretien individuel disait ne pas remettre en question le bien-fondé des règles de l’école, semble beaucoup plus critique au cours de l’entretien de groupe. Dès le début elle acquiesce quand Dizine mentionne que toutes les règles ne sont pas fondées. Elle questionne les règles qui n’existent que dans certaines écoles. « Pourquoi dans certaines écoles c’est accepté et dans d’autres non? ».

Dans ce groupe, les participants réfléchissent aux moyens qui pourraient être mis en œuvre pour que les règles qu’ils jugent essentielles soient respectées. Le premier élément qu’ils mentionnent, concerne le respect des règles par les enseignants. Il s’agirait là d’une condition pour obtenir le respect des élèves.

V - Qu’est-ce qui fait qu’un prof est capable de faire respecter les règles?

Simran - Qu’ils les respectent!

Les autres filles – Oui!

Pour ces élèves il est important d’appliquer les règles de façon impartiale. D’ailleurs cette impartialité n’est pas incompatible avec une bonne relation entre les adultes et les élèves, comme l’explique Doktar-Irouni qui obtient l’assentiment des autres répondants.

Doktar-Irouni – [L’enseignante] fait respecter les règles [...], mais on se fâche pas parce que, on sait qu’elle doit le faire, c’est les règlements, elle les respecte, on les respecte, ça n’a aucun rapport avec la relation qu’il y a entre nous. C’est pas parce qu’elle veut respecter les règles qu’on doit se fâcher contre elle, ou quelque chose.

La qualité des relations est un élément important aux yeux des répondants, comme le résume bien Doktar-Irouni : « Pis, il faut créer un rapport avec les profs pour que on puisse avoir une compréhension avec. Parce que, si y’a pas de compréhension […], pis on fait le cours pis, si y’a pas de relations, ça marchera pas. »

Pour les membres de ce groupe,  les sanctions, qui se traduisent la plupart du temps par des retenues ou par l’éviction scolaire, ne conduisent pas à un meilleur respect des règles. Ils suggèrent d’imaginer des sanctions qui soient utiles aux élèves.

Doktar-Irouni – Mais, si tu fais quelque chose de mal [la] première fois, ils te donnent une retenue, tu le refais encore. Ça veut dire que la retenue a servi à rien. Tu le fais encore, ils vont te suspendre. Tu refais la même chose, ils vont te suspendre trois jours […], une semaine, mais ça te fait rien. Il te changent d’école ; tu vas à une autre école, mais tu continues à faire les bêtises

Spyro - C’est ça, ça fait rien parce que…

Doktar-Irouni – Alors, ils doivent trouver des choses qui sont utiles, qui vont nous aider à plus les faire.

Spyro – Originales.

Doktar-Irouni - C’est ça! [...] Copier le code de vie, ça sert à rien! Comme moi, ma sœur, elle étudie pas beaucoup. Si son prof, son prof de physique spécialement, lui donnait quelque chose qui se rapporte à la physique, elle aurait compris quelque chose de plus sur la physique. […] Elle aurait appris quelque chose de plus au lieu de copier comme une machine 10 fois le code de vie.

Dizine - Ça se jette, pis ça sert à rien.

Doktar-Irouni - C’est ça.

Bien que tous les participants semblent d’accord sur la nécessité de trouver d’autres moyens de sanctionner, Spyro ne s’entend pas avec les autres sur la nature des sanctions. Elle préconise des tâches communautaires ingrates. Il est intéressant de noter que Spyro, qui dit se conformer à toutes les règles, envisage la sanction comme devant être punitive, alors que pour Doktar-Irouni, Dizine et Simran qui reconnaissent enfreindre certaines règles, les sanctions doivent avoir une visée éducative.

Spyro - Par exemple, pour une sanction qui serait intéressante, c’est que l’élève aime pas ça premièrement. Qu’il aime pas du tout la sanction. [...] Si tu lui donnes mettons une journée à ramasser les vidanges alentour de l’école…

Plusieurs voix Wou hou!

Spyro - Avec un petit piquet pis, qu’il ramasse tous les papiers. J’suis pas sûre qu’il va aimer ça.

[…] Spyro - Si par exemple, t’arrives en retard, ou je sais pas, n’importe quoi, t’insultes un professeur ; là on te dit, tu vas passer quatre midis de suite à faire le ménage dans la cafétéria […]. Pis mettons, la directrice passe pis elle fait « ah merci, tu nettoies mes tables », ou n’importe quoi qui fait que l’élève va faire « hey, regarde ça t’sais, j’ai fait quelque chose de pas correct pis là je suis entrain d’apporter du plaisir à la directrice ». Ceux souvent, qui dépassent les règles, c’est dans le but d’écœurer ceux qui mettent les règles.

Tous les membres de ce groupe semblent d’accord avec Spyro quand elle affirme que le respect ne peut être que réciproque.

Spyro - C’est comme y’a un petit jeu qui se fait, c’est si tu me respectes pas, je te respecte pas.

[...] Simran - Y’a des profs qui disent […] « vous devez nous respecter ». Mais eux […], si on parle, ils vont dire « Ta gueule » [...] Toi tu me respectes pas, pourquoi moi je dois te respecter, parce que t’es adulte? Non, c’est pas juste!

Scarface - Même quand on parle, il me répond pas.

Les participants considèrent que les règles devraient également s’adresser aux adultes.

Scarface - Je pense que les règles, elles doivent s’appliquer sur tous. Quand on dit sur tous, c’est sur tous!

Dizine - C’est ça. Sur toute l’école!

Spyro - Ouais, mais. Regarde bien. Y’a une règle qui dit que tu rentres à la bibliothèque à midi pis tu sors pas jusqu’à midi et demi. [...] Y’a un prof qui rentre à midi là, viens me dire que le bibliothécaire il va se mettre en avant de la porte pis lui dire « ben, tu sors pas, parce que tu attends à midi et demi ».

Doktar-Irouni - Ben c’est ça, tu peux pas faire respecter un prof.

Les participants mentionnent l’absence d’égalité en droits et insistent sur ce point, comme nous le verrons à propos du lien qu’ils voient entre les règles et les droits. Cette question occupe également une place non négligeable dans les discussions, au cours desquelles Dizine prend à témoin les autres membres du groupe pour relater son expérience. Ceux-ci confirment que Dizine est souvent mise à la porte du cours de morale dès qu’elle ouvre la bouche alors que tous les élèves de la classe bavardent.

Dizine - Ben vous êtes les témoins dans la classe non? [rires...] Dans la classe. […] Qu’est-ce que j’ai fait moi?

Doktar-Irouni - C’est parce que tout le monde parle, pis elle, elle parle ,pis là le prof, paf dehors.

Dizine - Ouais, première! [Rires]

[Rires]

Doktar-Irouni - C’est comme ça, tout le monde parle, pis on parle, on parle pis là, il la voit parler, comme toi Hein Dizine, c’est ça?

Dizine - Juste moi! Même si tout le monde est entrain de parler, c’est juste moi!

Simran - Oui, c’est vrai.

Spyro - Parce qu’il pense qu’en sortant une personne ça va faire arrêter de jaser les autres.

Doktar-Irouni - Mais c’est toujours elle!

Simran - C’est toujours elle qui sort!

L’abolition des privilèges des adultes, leur impartialité et leur rigueur sont, avec la qualité des relations qu’ils entretiennent avec les élèves, au nombre des conditions que doit remplir un enseignant pour être en mesure de faire respecter les règles.

La question de la participation des élèves a suscité de nombreuses discussions dans ce groupe ; tous les participants n’étant pas d’accord sur ce point. Dizine, Doktar-Irouni et Simran insistent pour dire que les élèves doivent être associés au processus d’élaboration des règles ; tandis que Scarface et Spyro estiment que, s’il fallait demander leur avis aux élèves, ceux-ci aboliraient toutes les règles.

Spyro - […] c’est comme si on discuterait chaque loi, pis que tout le monde nous dirait « non, moi j’aime pas cette loi-là, je trouve ça stupide, quand même on a le droit, c’est notre liberté d’expression, notre liberté de parole », blablabla ; ben on finirait par pas avoir de règle.

Pour Spyro et Scarface, les élèves ne devraient pas être consultés sur les « choses importantes », mais seulement sur les « règles secondaires » ; alors que pour Dizine Doktar-Irouni et Simran, c’est sur les règles « importantes » que doivent porter les consultations. Après avoir affirmé que les élèves n’avaient pas à être consultés sur les règles « importantes », Spyro et Scarface assouplissent leur position et rejoignent progressivement celle des autres participantes. Ils expliquent que c’est aux adultes que reviennent les décisions, mais que ceux-ci doivent tenir compte de l’opinion des élèves.

Spyro - Moi, je dis qu’ils devraient pas nous consulter.

Dizine - Pour aucune règle?

Spyro - Regarde, ils devraient pas nous consulter, mais ils devraient tenir compte de notre opinion.

Doktar-Irouni - Mais comment ils vont le savoir notre opinion, si ils nous consultent pas?

[…] Spyro - C’est pour savoir l’impact, que si ils imposent cette règle là, qu’est-ce que ça va faire? Je pense que, si mettons ils veulent mettre une règle pis que ils ont ton opinion […], ben, si l’opinion est négative, je pense pas qu’ils vont la mettre, ou ils vont essayer de la mettre, pis là il va y avoir une grève, pis là, ils vont l’enlever.

Malgré leurs divergences initiales, les répondants finissent donc par se mettre d’accord sur le principe et sur la nature de la participation souhaitée. Celle-ci renvoient au fonctionnement des systèmes électoraux des sociétés démocratiques, qui doivent fonder les décisions sur les choix de la majorité des citoyens.

Simran - On va voir en général ce que le monde pense. Y’a toujours des exceptions. Y’a quelqu’un qui va dire « j’veux pas du tout de règles ». [...] Tu peux pas te baser sur cette personne pour dire « ok je vais abolir toutes les règles »!

Doktar-Irouni - [interrompant] C’est la majorité. [...] C’est comme un vote pour un pays, ou quoi que ce soit.

[...] Dizine - Je pense qu’on est dans un pays comme démocratique. Tout le monde a le droit de penser […], comme la liberté de choisir et je pense que la direction de l’école, avant de faire telle ou telle règles, doivent nous en discuter par rapport à des règles qu’ils vont mettre dans l’école. Parce que, si ils suivent pas la liberté de choix, c’est comme une petite forme de dictateur qu’on sent ici.

Si tous les répondants sont finalement d’accord pour dire que les élèves devraient être consultés et que leur opinion devrait être prise en considération, ils estiment par ailleurs que certaines règles sont indiscutables et ne doivent en aucun cas être remises en question.

Même les répondantes, qui disaient que les élèves devaient être consultés sur « les choses importantes », semblent considérer malgré tout que certaines règles ne sont pas discutables.

Doktar-Irouni – [Les règles vandalisme, violence], c’est des grandes règles t’sais. Y’a des élèves qui vont dire « Non, on a le droit de venir, on a le droit de liberté, on peut amener des armes à l’école » Mais ça marche pas comme ça. Donc, les grandes comme, les vraiment grandes règles [ne sont pas discutables].

[…] Doktar-Irouni - La violence ou le port d’arme, comme ils ont dit, la drogue ou le port d’armes à feu. Ça, ça se discute pas!

[…] Scarface – C’est comme, même s’ils l’écrivent pas dans l’agenda c’est connu.

Ces règles intangibles sont, notamment, celles qui sont inscrites dans le code criminel. En ce sens, les répondants semblent avoir intériorisé le fait que, les règles de l’école doivent obéir à des règles qui leur sont supérieures (ici les dispositions du code criminel).

V – Alors, est-ce que vous avez des exemples de règles qu’on ne doit pas discuter?

Scarface - Pas vraiment, mais je sais comme les règles qui sont principales.

Spyro - Agression, vandalisme, vol, tout ça là. Ce qui est quasiment dans le code criminel là.

Doktar-Irouni - Amener une arme à l’école.

[...] Spyro - Ce qui est du code criminel.

[...] Simran - La drogue à l’école.

[...] Dizine - La même chose qu’eux autres.

V - D’accord […] Quand tu dis les règles principales, Scarface, est-ce que c’est les règles qu’elles viennent de nommer?

Scarface - Ouais, ouais…

[…] Spyro - tu disais : les règles, les grandes règles qu’on doit pas être concernés [consultés]. Mais moi je pense que c’est les mêmes règles que dans la société en général t’sais. C’est le code de loi, c’est le même que quand tu sors de l’école [...] Pas le droit de graffitis, pas le droit d’agressions, bla, bla, bla, t’sais. […] c’est pour ça que je dis ça. C’est eux autres [ces règles-là] on doit pas être concernés [consultés] parce que anyway sont là ces règles-là.

Au fil des échanges, les participants précisent les règles sur lesquelles ils devraient pouvoir se prononcer, à savoir celles qui sont propres à chaque école et qui les concernent directement.

Doktar-Irouni - Y’a d’autres [règles] qui sont soumis [imposées] par le système, fait que encore on peut pas y toucher. C’est pas juste notre école, c’est toutes les écoles. [On ne veut pas être consultés sur toutes les règles, seulement sur] celles qui nous touchent, pis celles qu’on veut en parler…

Spyro - (Interrompt) Ben c’est ça, la plupart du temps celles qui nous touchent plus personnellement comme la gomme, comme courir…

Doktar-Irouni - C’est ça oui, oui, oui… c’est celles de l’école.

Spyro – Ouais mais, c’est pas celles de la CSDM [commission scolaire de Montréal], c’est pas celles de la société là t’sais.

Doktar-Irouni - Non, non, non, non, non.

Spyro - C’est ça.

Scarface - Comme l’affaire du cellulaire, baladeur ; ça c’est ici. Comme si dès que t’arrives dehors, c’est normal, comme.

Au cours du deuxième entretien collectif, les répondants de ce groupe ont longuement discuté du rapport qu’ils voyaient entre les règles et les droits ; un point qui n’avait pas été abordé précédemment. Si les répondants établissent un lien entre les règles et les droits, celui-ci s’exprime presque toujours par la négative : une règle équivaut, dans leur esprit, à l’absence de droits (t’as pas le droit), comme en témoignent les extraits suivants.

V - Est-ce qu’il y a un rapport entre les règles et les droits?

Doktar-Irouni - Pas à l’école! [...] C’est toujours, on n’a pas le droit de faire.

[...] Simran - Y’a jamais une règle […] que tu as le droit de porter des manches courtes, ou il y a une règle où tu as le droit de porter ton baladeur.

Spyro – Ouais, parce que je pense que le nombre de règles il serait infini dans ce cas-là ; si on disait ce qu’on a le droit de faire avec une règle là, y’en aurait plein t’sais.

Quand les règles sont associées aux droits, c’est en termes de « droit d’enfreindre », comme l’explique Doktar-Irouni, appuyée par Dizine.

Doktar-Irouni – Mais, si il y a quelque chose que nous on ne doit pas faire, les profs n’ont pas le droit de le faire non plus. Fait que, si les profs ils le font, […] c’est comme un droit pour nous pour… de dire que si vous…

Dizine - C’est, comme notre modèle.

Doktar-Irouni – […] Si vous nous dites de pas faire quelque chose, c’est la même chose pour eux ils doivent pas le faire.

Ce « droit d’enfreindre » une règle parce que « les adultes ne la respectent pas » renvoie à l’inégalité en droit que relève également Simran.

Dizine - Ouais. C’est, on voit ce que les profs font pis, c’est par rapport à ça qu’on fait ce qu’on ne doit pas faire.

Simran - Oui mais, c’est pas toujours comme ça.

V - Qu’est-ce que tu veux dire?

Spyro - Ben non. Y’a certains profs, il faut pas [les] suivre du tout parce qu’eux autres aussi ils ont un côté délinquant si je peux oser dire…. Dans le sens que les règles ils s’en foutent t’sais.

[...] Simran - Mais il doit y en avoir des conséquences pour eux aussi, [et] y’en a pas.

Tous les répondants de ce groupe sont d’accord pour dire que les règles pourraient équivaloir à des droits, à condition qu’elles soient respectées par tout le monde, y compris les adultes. Même Spyro, qui disait au cours du premier entretien de groupe que, les mêmes règles ne pouvaient pas s’appliquer aux adultes et aux élèves, acquiesce.

Doktar-Irouni - Quand le prof dit quelque chose et moi je l’écoute ; quand moi je parle le prof devrait m’écouter [aussi] fait que, c’est comme du respect qu’il a envers moi. Fait que, c’est un avantage pour moi […] de pas parler en même temps que lui, pour que lui il apprenne aussi que quand […] moi je lui parle il doit m’écouter pas parler aux autres. Fait que c’est comme un avantage pour moi.

[…] Spyro - On te donne pas le droit d’agresser le monde parce que, d’un autre côté, ça te donne le droit d’être en sécurité dans ton école.

[…] Dizine - Je suis d’accord.

Les droits qu’ils considèrent comme étant parmi les plus importants sont ceux qu’ils disent ne pas avoir : pouvoir s’exprimer, être écoutés et se sentir respectés au même titre que les adultes.

V - Est-ce que vous pourriez m’en nommer des droits, qui sont pour vous très importants?

Scarface – Vraiment, c’est se faire écouter par le prof [...] C’est quelque chose de respect.

Simran - Le respect ouais. Comme genre…

Spyro – Mais, le droit aussi que si tu te fais agresser, ou si tu te fais pas respecter justement, que t’as le droit de contester pis de faire le suivi de ça.

Quand un adulte manque de respect aux élèves, ceux-ci se sentent, dans bien des cas, agressés et ils estiment qu’ils sont en droit de réagir. Ce raisonnement s’apparente à ce qui conduit en droit, à reconnaître la légitime défense, qui permet à un individu qui n’a pas d’alternative, de réagir à une attaque (physique ou symbolique) contre sa personne, à condition que la défense soit proportionnelle à l’attaque.

Les principaux éléments issus de l’analyse des entretiens collectifs centrés étant présentés, il s’agit maintenant de les confronter. La vue d’ensemble qui suit, procède pour ce faire par comparaisons successives. D’abord, entre les entretiens individuels et les entretiens collectifs (ce qui doit être nuancé et ce qui se confirme), puis, entre les groupes des deux écoles (ce qui est commun et ce qui varie d’un groupe à l’autre) ; cette démarche permet de dégager la complémentarité des points de vue exprimés.