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CONCLUSION

Le questionnement qui a conduit à cette recherche tire son origine de notre expérience en tant qu’enseignante auprès d’adolescents en difficulté d’adaptation socioscolaire, ainsi que des résultats issus d’une recherche expérimentale que nous avons conduite dans le cadre d’une maîtrise. La problématique qui s’est dégagée des constats que nous avions pu faire s’inscrit par ailleurs dans un contexte de réforme éducative, où la question des règles et des représentations qu’en ont les élèves ne peut échapper à notre attention, bien que, par ailleurs, nous n’ayons recensé aucune recherche portant spécifiquement sur cet objet. Pour pallier cette absence de travaux, la présente recherche tente d’apporter des éléments de réponse à la question : « quelles représentations ont les élèves des règles à l’école? ».

Cette interrogation constitue le point central de cette thèse dont le principal objectif était d’analyser les représentations qu’ont les élèves des règles à l’école. Plus spécifiquement, nous avons tenté de circonscrire les fonctions qu’ils leur attribuent ; d’identifier les règles qui à leurs yeux, sont valorisées par l’école pour réguler les rapports entre les membres de l’établissement scolaire et, enfin, de discerner les conditions qui peuvent selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école.

Les résultats des analyses nous amènent à conclure que les répondants accordent une place prépondérante aux améliorations qu’ils souhaiteraient voir à l’école en ce qui a trait aux règles; celles-ci concernent notamment leurs « raisons d’être » et leur « mise en œuvre ». Ces éléments, qui constituent par ailleurs les deux premiers objectifs, sont envisagés non plus comme ce que perçoivent les répondants (« ce qui est »), mais comme ce qu’ils souhaiteraient (« ce qui devrait être »). En ce sens on peut dire que si les deux premiers objectifs semblent apporter moins de matière que le troisième, ce dernier apporte un éclairage sur les précédents. Ainsi tous les répondants affirment qu’ils sont prêts à respecter les règles qu’ils jugent essentielles pour garantir le respect et favoriser la réussite (1er objectif spécifique) à condition que celles-ci soient effectivement mises en œuvre de façon impartiale, ce qui ne semble pas toujours être le cas (2ème objectif spécifique). C’est ce que semblent indiquer les améliorations attendues par les répondants (voir tableaux 4.60aet b, formation). Leurs attentes concernent également le rôle qu’ils voudraient pouvoir jouer dans les décisions au sujet des règles, ce qui renvoie par ailleurs à la réciprocité et la reconnaissance auxquelles ils tiennent (3ème objectif spécifique). S’agissant de la portée de ces résultats, voyons ce qu’il en est.

Portée de la présente recherche

Au terme de cette recherche, on peut poser que la légitimité de l’autorité occupe une place centrale en matière de représentations des règles à l’école. À travers les attentes qu’expriment les répondants, l’on voit se dégager un modèle relationnel basé, non pas sur des relations amicales ou affectives, mais sur une reconnaissance de leur statut de personne à part entière, comme on a pu le voir à maintes reprises (voir les tableaux 4.60b : considération des élèves et 4.60c : participer à l’élaboration et égalité / réciprocité). Les répondants voudraient voir régner un climat de confiance et de négociation qui permettrait de garantir de bonnes relations entre eux et les enseignants. La relation à laquelle ils aspirent repose sur une autorité ferme, mais librement consentie et exercée dans le respect de chacun.

Objet de débats récurrents, l’exercice de l’autorité occupe une large place sur la scène éducative, comme en témoignent nombre d’articles et d’ouvrages consacrés à cette question. Face au présumé « déclin annoncé de l’autorité », plusieurs voix enjoignent les enseignants de restaurer « l’ordre ancien » ; d’autres s’opposent à cette injonction porteuse, selon eux, de méthodes répressives, privilégiant du coup les approches centrées sur les besoins et les désirs de l’élève. En marge de ces réquisitoires, qui opposent nostalgiques d’un « âge d’or de l’autorité » et partisans de « l’enfant-au-centre », il y a place pour une réflexion à l’abri des clivages réducteurs.

L’autorité, indispensable pour enseigner, est également requise au plan de la socialisation. Car, pour apprendre à vivre en société, il est nécessaire de respecter des règles qui contribuent au respect de la liberté des uns et des autres. Cette affirmation ne peut toutefois pas faire l’économie de l’examen critique des relations de pouvoir qui sont au cœur des tensions inhérentes à l’inégalité de statut de l’enfant et de l’adulte.

Face à l’adversité que constituent les rapports de pouvoir dans une relation qui se caractérise par l’asymétrie, le recours au droit semble prometteur. Cependant il ne faut pas tomber dans l’excès de règles qui, comme le souligne Cellier (2003), repose sur une anticipation des comportements disruptifs et s’appuie sur une vision de la jeunesse comme potentiellement à risque. Pour cet auteur, une telle conception est

difficilement compatible avec les finalités de l’éducation et notamment la construction d’une autonomie progressive. C’est l’image d’une enfance et d’une adolescence dangereuses pour l’équilibre social qui est confortée. Les violences scolaires et urbaines sont lues à travers le prisme d’une jeunesse insoumise pour laquelle l’école doit promouvoir, grâce à l’éducation à la citoyenneté, un comportement acceptant les contraintes collectives. (Cellier, 2003, p. 4).

Dans cette perspective, l’éducation à la citoyenneté « n’est envisagée que sous l’angle de la loi en éludant celui du droit, de la justice et de la réciprocité, fondamentaux en démocratie » (Cellier, 2003, p. 4). Il y a là une contradiction que ne manquent pas de relever les élèves, quand ils insistent sur la quantité innombrable de règles et dénoncent les inégalités dont ils se sentent victimes sans pouvoir intervenir d’une quelconque manière.

La question qui se pose alors est de savoir si les jeunes, privés de pouvoir et soustraits à la règle de droit, peuvent faire l’expérience de la responsabilité, attribut indispensable du citoyen. Pour notre part, nous considérons que droits et responsabilité sont étroitement interreliés. Mais plutôt que de poser qu’il n’y a pas de droits sans responsabilité (30) , ce qui dans le cas présent ne tient pas, car les mineurs ne sont pas tenus pleinement responsables de leurs actes d’un point de vue juridique ; nous avançons qu’il ne peut y avoir de responsabilité sans reconnaissance des droits, sinon une responsabilité limitée aux sphères à l’intérieur desquelles la personne dispose d’un certain pouvoir sur le cours des évènements.

Autrement dit, le non respect par les adultes des droits des élèves soustrait ces derniers à leur obligation de respecter ceux des autres ; de plus, privés de pouvoir d’intervention sur ce qui les entoure, ils ne sauraient avoir de responsabilité sur ce qui se passe autour d’eux. Dans les circonstances, il semble difficile de préparer les élèves à l’exercice de leur responsabilité ; il s’agit là d’une difficulté que l’école a à surmonter pour en arriver à former des citoyens.

Compte tenu du fait que l’école se donne le mandat de former des citoyens responsables, elle ne peut se dispenser d’interroger les pratiques et procédures qui garantissent la cohérence de la démarche en regard du droit en vigueur. Sur ce point, il est utile de rappeler les balises posées notamment par la Convention relative aux droits de l’enfant (ONU, 1989). Cet instrument international, adopté en 1989, introduit les droits-libertés en plus des droits-créances ; c’est-à-dire qu’en plus d’avoir droit à une protection particulière en raison de sa fragilité, l’enfant acquiert le statut de sujet de droits à part entière, à savoir qu’il devient titulaire des droits contenus dans les autres instruments du droit international des droits de l’homme. Toute récente dans l’histoire, cette représentation de l’enfant comme étant détenteur de droits-libertés confère à l’enseignant de nouvelles responsabilités dont celles d’éduquer les élèves à l’exercice de ces droits par la mise en acte au quotidien des principes démocratiques qui les fondent.

Déjà, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté en 1966, énonçait en détail en son article 13 quelques principes pour la mise en œuvre du droit à l’éducation et en précisait les objectifs. Au nombre de ceux-ci, retenons que « l’éducation doit viser à l’épanouissement de la personnalité humaine du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » ; elle doit également « mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre » (Haut Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, 1999, non paginé). Comme souvent dans le domaine juridique, la question de l’interprétation de cet article est cruciale. C’est la raison pour laquelle la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, Katarina Tomasevski, a tenu à préciser que pour réaliser pleinement le droit à l’éducation, il est nécessaire de définir et d’intégrer une approche éducative qui soit fondée sur les droits de l’homme en incluant ces derniers dans le contenu et le processus de l’éducation.

Il ne suffit donc pas d’enseigner les contenus du droit pour éduquer aux droits. D’ailleurs, la mission de l’école n’est pas de former des juristes, mais des citoyens ayant des connaissances juridiques suffisantes (vocabulaire, logique des procédures) pour, en tant que justiciable, être capables de réagir en cas de violation des droits (les siens et ceux des autres) en ayant recours aux instruments juridiques disponibles. Cela suppose également de la part de ce citoyen qu’il se soit approprié les principes qui fondent le droit dans une société démocratique. Il faut pour cela « Travailler sur ces principes fondamentaux du droit en classe [afin de] permettre la construction du concept du Droit » insiste pour sa part Cellier (2003, p.6-7).

Cette façon d’aborder l’éducation aux droits s’appuie sur une vision jusnaturaliste du droit où les principes prédominent par opposition à une conception positiviste, organisée autour de l’étude des règles et de leur articulation dans une perspective procédurale du droit. « En définissant le droit comme une activité du raisonnement et non comme un catalogue de règles, on évite une centration excessive sur les énoncés des lois, règlements, codes et on ouvre la vie scolaire à l’explication et au sens des principes fondamentaux » (Cellier, 2003, p. 6). Cette démarche repose sur le postulat selon lequel l’enfant, titulaire de droits, est capable de participer à sa propre formation. Dans cette perspective, l’institution scolaire est un lieu d’émancipation et l’autorité de l’adulte est le reflet de sa compétence.

Déjà en 1907, Kerschensteiner, qui militait en faveur d’une éducation civique, considérait que les éducateurs, dont il était, devaient se laisser « guider non par la méfiance, mais par la confiance envers la jeunesse » (dans Cauvin, 1970, p.182). Toutefois, il semble opportun de rappeler, avec Cellier, que le statut juridique de l’enfant s’est considérablement transformé à la fin du XXème siècle. Ce « nouvel enfant » devient un « égal paradoxal » qui dispose désormais de droits-libertés qu’il peine à exercer dans un contexte scolaire qui reproduit des structures hiérarchiques avec une conception de l’enfance qui n’a suivi ni les avancées juridiques ni celles de la psychologie et de la sociologie contemporaines.

Ainsi, par exemple, plusieurs auteurs ont mis en évidence les contradictions de l’institution scolaire qu’ils décrivent comme un espace de « non-droit » (Defrance, 1988, 2002, 2003; Cellier, 2003) où les principes fondamentaux sont souvent mis à mal. Bernard Defrance, professeur de philosophie, a été l’un des premiers à dénoncer avec force le non respect de ces principes, à commencer par celui de l’égalité en droit : la loi est la même pour tous.

Sachant que « les rapports qu’ont les élèves avec l’institution scolaire préfigurent ceux qu’ils auront avec les grandes institutions de l’État » (Cellier, 2003, p.6), il est à craindre que les contradictions dont est porteuse l’école la place en porte-à-faux avec son mandat d’éducation à la citoyenneté en minant, par effet d’entraînement, la crédibilité des autres institutions, aux yeux des élèves.

D’ailleurs, des sondages successifs (31)relatifs à l’abstention des jeunes aux processus électoraux ont révélé que la désaffection de cette tranche d’âge à l’égard de la politique (au Canada, comme ailleurs dans le monde) était souvent associée à une perte de confiance en les institutions publiques.

Notre intention n’est pas ici de dresser un tableau pessimiste de la situation, mais plutôt de proposer des axes de réflexion et de donner une vision réaliste des contraintes structurelles qu’imposent à la fois le cadre scolaire et le cadre juridique dans la perspective d’une éducation à la citoyenneté.

L’éducation serait une piste de solution à la faible participation politique et électorale des jeunes conclut Élection Canada à la suite d’un « sondage des non-votants » réalisé en 2003 qui révèle un appui massif à la suggestion selon laquelle « les écoles devraient en faire davantage pour éduquer les enfants en matière d’élection et de participation politique » (Élection Canada, 2003, p.53-54). Cette solution potentielle, note le rapport, « découle logiquement du diagnostic de « manque d’éducation » noté auparavant : le manque d’intégration des jeunes dans le système politique, et […] des attitudes fondamentales d’apathie ou de méfiance des jeunes envers la politique. » (Élection Canada, 2003, p.50).

Néanmoins, on ne peut affirmer que les jeunes sont dépolitisés. Leur intérêt pour des questions d’ordre politique est bien réel, comme en témoignent les propos des répondants au sujet de l’égalité, de la justice et de leur participation aux décisions entourant les règles. C’est également ce qui ressort de plusieurs travaux qui se penchent sur les intérêts politiques des jeunes (Muxel, 2001 ; Affaires étrangères Canada, 1995). Le stéréotype des jeunes désabusés qui se désintéressent de tout ne serait qu’un mythe. Si ceux-ci marquent peu d’intérêt « pour ce qu’on pourrait considérer comme les questions traditionnelles de politique […] ils semblent s’intéresser davantage à des questions telles que l’environnement, la paix et les droits de la personne » (Affaires étrangères Canada, 1995, non paginé).

Il y aurait donc chez les jeunes un terreau propice à une éducation à la citoyenneté démocratique qu’il reste à ensemencer et à cultiver. Mais le fait de vouloir développer chez les élèves leur propension à défendre des principes qu’ils jugent fondamentaux, comme l’égalité, le respect d’autrui, suppose une mise en œuvre de ces principes et impose un examen critique des relations de pouvoir en jeu dans la relation pédagogique, même si nombre d’enseignants y voient une menace à leur autorité (32) .

Depuis les précurseurs de l’École nouvelle dans les années 20 (Ferrière, Decroly), puis dans les années 70, ceux de la pédagogie institutionnelle (Oury, Vasquez), plusieurs expériences ont montré qu’il était possible d’instaurer, en classe, des rapports fondés sur le respect des élèves sans que l’autorité de l’adulte soit remise en question. Au contraire, le partage d’un certain pouvoir, celui « d’inter-dire », donne aux élèves l’occasion de prendre part aux décisions au sujet de ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas et de faire l’expérience de la délibération, premier pas vers l’intériorisation de sa responsabilité dans le fonctionnement quotidien de l’école.

Mais à la différence des autres institutions qui, dans une société démocratique, évoluent à l’aune des débats, à l’École, ceux-ci sont en quelque sorte biaisés en raison même de l’inégalité de statut des acteurs. C’est, en leurs propres mots, ce que disent les élèves interviewés. Même si souvent, ils ne maîtrisent pas les concepts et le vocabulaire requis pour faire valoir leurs points de vue, leur sensibilité démocratique paraît indéniable. C’est ce qui appuie la thèse selon laquelle l’autorité des enseignants est pleinement justifiée en raison de la responsabilité qui leur incombe d’introduire progressivement les élèves dans le débat démocratique en leur fournissant les outils requis pour que celui-ci advienne. Car le débat démocratique ne s’improvise pas et pour favoriser l’émergence de la parole et sa régulation, il ne suffit pas de laisser libre cours à l’expression des élèves. Ceux-ci doivent apprendre à dialoguer, c’est-à-dire à argumenter les uns contre les autres à partir de l’analyse qu’ils font des propos exprimés, afin d’enrichir le débat citoyen par une rigueur de pensée dans l’argumentation, le sens d’une vérité partageable par la discussion. Ainsi perçue, la liberté d’expression des élèves n’exclut en rien le rôle déterminant de l’enseignant dans l’exercice d’une autorité légitimée par ses rôles de référent, de détenteur de connaissance et de garant de la loi.

Plusieurs écoles de pensée et mouvements pédagogiques prônent, depuis le début du siècle dernier, une initiation à la vie démocratique, notamment, par le biais de « conseils » d’élèves. Le but étant de donner à ces derniers l’occasion d’« éprouver que la parole a un sens, qu’on peut négocier et convaincre autrui, que le rapport à l’autre n’est pas systématiquement rapport de force et finalement violence, qu’on peut élaborer des règles sur lesquelles un accord se fera et qui permettront de régir les relations mutuelles. » (Rey, 2004, p.53).

Il importe toutefois que les élèves comprennent que les règles ne s’établissent pas sur un simple accord d’un groupe de participants, insiste Audigier.

Les règles de vie obéissent à des règles qui leur sont supérieures, extérieures et antérieures : la Loi, à travers les règles de l’école, des principes : les Droits de l’Homme et le respect de la personne humaine […] Il convient de ne pas faire croire aux élèves qu’ils les inventent [les règles], mais d’en faire un travail d’explicitation. Enfin se pose la question du pouvoir que l’institution scolaire, à travers les enseignants, souhaite accorder aux élèves. (Audigier, 2005, p.18).

Nous touchons là un enjeu tout autant stratégique que sensible dans un contexte où les enseignants voient s’émousser l’autorité qui jusque-là leur était dévolue par leur seul statut ; les discours alarmistes ne manquent pas sur le sujet. Proposant une lecture moins pessimiste, Prairat et Andrieu (2003) inscrivent cet affaiblissement de l’autorité traditionnelle dans un processus de désacralisation de l’ordre scolaire qui a pour conséquence un déplacement de la légitimité de l’institution, appelée à devenir procédurale. Se référant aux travaux de Dubet, ces auteurs expliquent que le sentiment d’injustice qu’éprouvent les élèves renvoie à leur expérience de l’arbitraire (des notes, des exclusions, des sanctions…) et que « Dès lors une école juste, ou perçue comme telle, est une école où les actes et les décisions apparaissent lisibles, justifiés et partiellement détachés des prérogatives personnelles des adultes » (Prairat. et Andrieu, 2003 , p.87).

La légitimité, dont nous avons vu qu’elle était centrale dans les représentations des règles chez les élèves, pourrait bien être une solution au malaise qui entoure le « déclin de l’autorité ». Une légitimité appelée à reposer désormais sur l’adhésion à des principes mis en acte au quotidien dans des procédures clairement définies.

Retour sur des considérations méthodologiques

Rappelons qu’en l’absence de travaux théoriques qui auraient permis d’explorer plus à fond les représentations qu’ont les élèves des règles, nous avons fait le choix d’une démarche inductive et fait appel à une approche de type qualitatif. Tout au long de notre cheminement, nous avons emprunté à la théorisation enracinée l’idée qui veut que la découverte de perspectives théoriques émerge de la réalité telle qu’elle est vécue sur le terrain. Dans cette optique, nous avons eu recours à plusieurs modes d’investigation tels le journal de bord, la carte conceptuelle, l’entretien individuel semi-dirigé et l’entretien collectif centré. L’ensemble du corpus a été soumis à des analyses successives qui ont progressivement permis d’en faire ressortir l’essentiel.

Bien que nous ayons tout mis en œuvre pour contrôler les biais et assurer la scientificité de cette recherche, sa portée se voit limitée par les contraintes avec lesquelles nous avons dû composer.

En premier lieu, les limites imposées par l’approche méthodologique elle-même. Tout d’abord, la contrainte du temps a représenté une limite importante. En effet, les délais nécessaires pour d’obtenir toutes les autorisations administratives ne nous ont pas permis d’entreprendre la collecte de données avant le printemps. Compte tenu des périodes d’examens et de préparation à ceux-ci, les élèves de cinquième secondaire n’étaient plus disponibles dès la mi-mai, ce qui n’a laissé qu’un mois pour conduire l’ensemble des entretiens. Il eût peut-être été possible de ne débuter la recherche que l’année suivante, mais le risque était grand de devoir recommencer toute la procédure administrative avec de nouvelles personnes, puisque des changements de personnel devaient avoir lieu entre temps. Compte tenu de cette contrainte, il n’a pas été possible de mettre entièrement en pratique la théorisation enracinée (TE) qui aurait exigé une présence sur le terrain tout au long de la démarche d’analyse. Bien qu’il soit difficile d’évaluer les conséquences de ces écarts par rapport modèle de la TE, l’on peut penser que si nous avions suivi la démarche de la TE à la lettre, nous serions probablement arrivée à une analyse plus fine. Cependant, les quelques retours sur le terrain et la masse de données accumulées nous permettent d’avancer que les résultats auraient été fondamentalement les mêmes.

En faisant le choix de recourir à des entretiens semi-dirigés, nous savions que les instruments utilisés pour le recueil des données ne permetttraient pas la standardisation de celles-ci et qu’il ne serait pas possible d’uniformiser le corpus. Mais, compte tenu de l’information que nous recherchions, un instrument qui aurait fourni un corpus « standardisable » n’y aurait pas donné accès. Le fait d’avoir opté pour une conduite souple des entretiens laissant place aux interactions, comportait le risque d’orienter les réponses des répondants. C’est la raison pour laquelle nous avons pris soin d’intervenir le moins possible sinon pour valider leurs propos par des reformulations et des synthèses au cours des échanges, puis lors des entretiens de groupe.

La non représentativité de l’échantillon, au sens statistique du terme, peut être vue comme une autre limite propre aux méthodologies qualitatives. Dans cette perspective, le but poursuivi pour le choix des répondants étant avant tout d’élargir le champ d’investigation en fournissant le maximum d’informations par rapport à l’objet de la recherche, une sélection moins représentative que significative a semblé davantage pertinente.

Compte tenu de nos choix épistémologiques et méthodologiques, nous avons effectivement pris en compte un nombre restreint de répondants. Cette façon de procéder inévitablement quelques limites en ce sens qu’elle n’autorise pas de conclusion généralisable. Cette limite, bien que contrariante, découle également des choix épistémologiques et méthodologiques qui ont plutôt orienté nos préoccupations vers la saturation théorique des données.

Enfin, le fait que l’objet même de cette recherche nous amène à analyser des représentations dont le sujet n’a pas conscience et qui ne sont posées comme telles que parce qu’elles deviennent un objet d’étude, représente en soi une limite. En effet, on ne peut pas demander à une personne ce que sont ses représentations, mais seulement tenter de les découvrir indirectement à partir de l’étude de ce qu’elle nous dit.

Perspectives

Les résultats de cette recherche, apportent un éclairage sur un objet qui n’a pas été étudié comme tel, malgré l’intérêt qu’il pourrait présenter aux yeux des chercheurs qui se questionnent sur le rapport des jeunes au droit. Ainsi, par exemple, Costa-Lascoux regrette de n’avoir jamais vu traité des sujets comme « le droit imaginé, la justice rêvée, les aspirations des jeunes en matière de droit » on pourrait ajouter « les règles idéales ». Ce thème « constitue un volet ignoré, et dont pourtant nous pouvons vérifier la pertinence en permanence » (Costa-Lascoux, 2001, p.46), insiste-t-elle.

En effet, il serait utile d’examiner les dispositifs d’encadrement de même que les choix pédagogiques des enseignants à la lumière des représentations des élèves, dont nous avons vu qu’elles s’articulent autour de la légitimité de l’autorité et qu’elles sont sous-jacentes aux attitudes et aux connaissances qu’elles contribuent à déterminer.

Les résultats de cette recherche mettent en évidence les implications, au plan éducatif, de la prise en compte des représentations des élèves. Ils mettent par ailleurs en exergue un point névralgique pour l’école qui doit maintenir l’ordre nécessaire à la vie collective tout en respectant les principes démocratiques qui consacrent les droits et libertés de chacun. Les analyses des propos des élèves ayant participé à cette recherche permettent l’ébauche de réponses qui tiennent compte de leurs attentes et rencontrent à la fois les exigences de rigueur d’un établissement d’enseignement et les principes démocratiques du droit. On peut résumer ces esquisses de réponses par quelques propositions.

Ces résultats nous semblent dignes d’intérêt en regard de l’insuffisance de connaissances actuelles sur le sujet qui nous préoccupe. Cependant, ils demeurent fragmentaires et d’autres recherches mériteraient d’être développées pour élargir le spectre de nos connaissances dans ce champ encore en friche.

Ainsi, par exemple, il serait intéressant de voir dans quelle mesure les déterminants de la légitimité de l’autorité que nous avons identifiés chez les répondants de cette recherche se retrouvent dans d’autres contextes scolaires en Occident du Nord.

Il pourrait également être utile de connaître les représentations des enseignants au sujet des règles et de leur légitimité et les comparer à celles des élèves, afin d’apprécier la distance qui sépare ces deux univers en vue de jeter les ponts d’une meilleure compréhension.

Les contradictions du système éducatif, que les résultats obtenus mettent en lumière, mériteraient d’être analysés dans le cadre de recherches complémentaires, non plus du point de vue des élèves, mais de celui de l’observateur de la chose scolaire.

Enfin, dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme à l’école secondaire, il serait intéressant de voir si, d’ici quelques années, celle-ci a, de fait, induit un climat plus démocratique dans les établissements scolaires. L’institution de lieux de discussion où la parole des élèves est prise en considération et l’incitation des élèves à prendre part au processus d’élaboration des règles ne sont que des exemples de manifestation de la vie démocratique d’une école. On pourrait aussi mentionner l’existence de procédures garantissant un recours pour les élèves accusés d’avoir transgressé les règles, ou encore, l’interdiction, pour les enseignants de recourir à la punition collective (33), ou d’infliger des sanctions qui compromettent la dignité de l’élève.

Tous ces éléments, qui sont à considérer comme des indicateurs de la vie démocratique à l’école, témoignent du chemin à parcourir pour réduire le décalage entre les intentions des nouveaux programmes et les représentations que nous avons mises à jour. Mais, nous laissons à d’autres le soin d’aller plus avant dans les recherches qui visent à ouvrir des voies vers cette ambition de faire de l’instrument social que représente l’école un lieu privilégié d’apprentissage de la lente construction qu’est la démocratie.

 


(30) Il s’agit de l’un des points de la réforme disciplinaire de juillet 2000 en France

(31)Cette assertion est utilisée dans le discours contre les politiques de discrimination positive.

(32)CRIC - Centre de recherche et d'information sur le Canada, Affaires étrangères Canada, Élection Canada (2003).

(33)Le mouvement de contestation qu’a provoqué chez de nombreux enseignants la réforme sur les procédures disciplinaires en France en (2000) qui introduit quelques principes juridiques à l’école, illustre bien cette crainte des enseignants qui y voient une atteinte à leur autorité déjà vacillante (Prairat, 2004, p.83).