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INTRODUCTION

Face à la recomposition annoncée des lieux d’intégration et de construction de liens sociaux, l’école est en présence de nouvelles demandes de la société quant à son rôle d’agent de renforcement de la cohésion sociale. C’est ainsi que l’éducation des jeunes à la citoyenneté active et responsable s’inscrit désormais au nombre des objectifs de formation de la plupart des systèmes éducatifs de par le monde. Aux États-Unis d’Amérique, par exemple, l’éducation à la citoyenneté participe de l’importance qu’accordent les autorités à renforcer auprès des jeunes la connaissance des institutions, à lutter contre la violence à l’école, à promouvoir l’égalité des sexes et à œuvrer à l’inclusion des minorités ethnoculturelles. Pour promouvoir une telle éducation, les méthodes participatives actives sont encouragées (Center for Civic Education, National Assessment of Educational Progress, 1998). Au Canada anglais, certaines réformes provinciales de l’éducation invitent désormais l’école, dans son ensemble, à promouvoir l’éducation à la citoyenneté tout en réservant, comme en Ontario, un temps spécifique à cette éducation par le biais d’un cours obligatoire en 10ème année (Héber et Sears, 2005) ou, comme au comme au Manitoba où le ministère de l’Éducation de cette province soutient financièrement des projets scolaires axés notamment sur « la voix de la jeunesse dans les décisions ou la régie des collectivités. » (ministère de l’Éducation du Manitoba, 2005, non paginé).

Les approches délibératives figurent au nombre des choix pédagogiques à privilégier par les enseignants dans le cadre de cette éducation. Mentionnons également le Rapport de la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle, connu sous le nom de Rapport Delors, qui insiste, dans ses recommandations, sur le fait que : « C’est à l’école que doit commencer l’éducation à une citoyenneté consciente et active » (UNESCO, 1996, p.69). Ce rapport met un accent particulier sur l’un des quatre « piliers » [1] qui devraient fonder l’éducation, soit l’apprentissage du « vivre-ensemble ». :

En 2001, la Conférence internationale de l’éducation (CIE), qui consacrait sa quarante-sixième session à « L’éducation pour tous pour apprendre à vivre ensemble », mentionnait que « le développement de la capacité de devenir citoyen à travers la participation à la vie politique et aux institutions publiques au sens large »  (Bureau international d’éducation, 2001, p.16) était au nombre des besoins éducatifs pour mieux vivre ensemble. La réforme de l’éducation au Québec se fait d’ailleurs l’écho de ce postulat en en en insistant sur l’éducation à la citoyenneté dans les programmes de formation

Convaincu que l’apprentissage de la citoyenneté et du « vivre-ensemble » joue un rôle essentiel dans la société actuelle, le Conseil de l’Europe (COE) a, pour sa part, proclamé 2005 « Année européenne de la citoyenneté par l’éducation » (AECE) en conclusion du projet « Éducation à la citoyenneté démocratique » qui s’est déroulé entre 1997 et 2004 (COE, 2002).

La vie en société suppose le consentement à des règles qui régulent les rapports entre les membres d’une collectivité donnée. Sans règles, une société est anomique au sens propre du terme ; tout corps social, toute institution se donne donc des règles pour assurer sa viabilité. Respectées, parfois transgressées, appliquées, souvent contestées, les règles sont l’objet de bien des tensions tant leur interprétation prête à débat et aux échanges d’idées et, c’est précisément cette dynamique de la communication qui préside au consentement démocratique aux règles édictées.

Mais, lorsqu’il s’agit de l’institution scolaire, qui vit de rapports d’autorité enfant-adulte, les choses se compliquent sensiblement, car l’École n’est pas la société en miniature et les règles qui lui sont propres ne participent pas de la même logique. En effet, à la différence d’une société démocratique où tous les citoyens sont égaux devant la loi, à l’école, l’élève se trouve sous l’autorité des adultes en raison de son âge, même s’il demeure un sujet de droit.

Dans la perspective de l’éducation à la citoyenneté, les règles prennent une importance toute particulière et on s’attend à ce que l’école en permette l’apprentissage. En effet, en tant que référent pour vivre en société, le rapport aux règles s’inscrit d’emblée dans la dynamique d’ensemble de l’éducation à la citoyenneté. D’ailleurs, le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), devenu depuis lors le ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport [2], cible « la valorisation des règles de vie en société et des institutions démocratiques » comme « Premier axe de développement du domaine général de formation Vivre-ensemble et citoyenneté » (MEQ, 2002, p.28).

Mais, il existe bien des manières d’envisager les règles et les moyens à mettre en œuvre pour les faire respecter, qui correspondent à autant de façons de voir le rapport à l’autre, le rapport à l’autorité et, partant, jettent les bases d’une certaine conception qu’on a de l’éducation à la citoyenneté. Souvent au cœur de nombreuses tensions, la question des règles à l’école n’a, à notre connaissance, toutefois pas été étudiée comme telle, sauf à travers d’autres thèmes qui ne nous éclairent pas nécessairement sur la question même des règles. Pourtant, à l’heure où les incivilités et la violence à l’école inquiètent bon nombre d’autorités scolaires de par le monde, le questionnement sur les règles de conduite à l’école refait surface. La réaction des autorités éducatives à ce sujet traduit cependant des attitudes qui paraissent ouvrir la voie à une nouvelle compréhension de la chose dans son économie générale. Ainsi, comme ailleurs en occident, les orientations générales de la réforme québécoise s’inspirent largement d’approches de type socioconstructiviste.

L’apprentissage nécessite une démarche d’appropriation personnelle de l’apprenant, démarche qui prend appui sur ses ressources cognitives et affectives […]’ l’apprentissage y est donc considéré comme un processus à la fois cognitif, affectif et social. Ce processus implique une modification des acquis antérieurs de l’élève et une réorganisation de sa structure cognitive qui rendent possibles de nouvelles acquisitions (MEQ, 2000a).

Si l’on se réfère à ces orientations, il serait contradictoire d’imposer une certaine conception des règles et de leur application sans tenir compte des représentations qu’en ont les élèves.

Ces orientations du MEQ ne sont pas sans liens avec l’esprit de changement et les réformes qui les ont précédées et par lesquels la participation des élèves à la vie de l’école et la promotion de leurs droits et obligations sont devenues, au fil du temps, des enjeux importants au sein du système scolaire québécois.

Cela dit et au-delà des intentions affichées, dans quelle mesure cette volonté correspond-elle à la réalité scolaire? Comment, ceux qui doivent se soumettre aux règles, se les représentent-ils? Malgré la prégnance des orientations socioconstructivistes mises de l’avant par le MEQ et l’intérêt grandissant pour les représentations des élèves ou des adolescents, aucune des recherches répertoriées ne traite de cet objet. Les quelques travaux qui y font référence traitent de sujets plus ou moins connexes alors que c’est précisément la connaissance de leurs représentations des règles qui permettrait d’apporter un éclairage sur les principes et les valeurs qui, aux yeux de ces mêmes élèves, sont véhiculés à l’école.

Pour tenter de mieux appréhender les représentations qu’ont des règles ceux qui doivent s’y soumettre, cette recherche propose de s’attacher à ce qu’ont à dire les élèves sur le sujet et d’en analyser le contenu à la lumière des théories existantes. Mais avant cela, il importe de préciser le cadre contextuel dans lequel s’inscrit la problématique qui conduit à la question de recherche.

C’est ainsi que le premier chapitre s’emploie : à préciser le contexte historique qui a précédé l’actuelle réforme pour mieux en saisir les antécédents (1.1) ; à exposer les différentes conceptions du rôle de l’école dans la société et l’éducation à la citoyenneté qui en découle (1.2) ; avant d’exposer la problématique et les questions de recherche (1.3).

Par la suite, le deuxième chapitre, consacré aux fondements théoriques, précise la posture épistémologique qui a présidé à l’ensemble de la démarche (2.1) puis, présente les repères conceptuels sur lesquels nous nous sommes appuyée (2.2). En premier lieu, nous exposons le concept de représentation, à travers son évolution et les différents courants qui composent le paradigme constructiviste (2.2.1). Dans un deuxième temps, le concept de règles est examiné dans ses dimensions éducative et juridique (2.2.2). Finalement, c’est sous l’angle des représentations qu’en ont les élèves, que les règles sont considérées (2.2.3).

Le troisième chapitre expose les orientations méthodologiques, précise la démarche et décrit tour à tour les différentes phases, au demeurant interreliées, de ce processus : l’échantillonnage (3.1), la collecte des données et les modes d’investigation retenus (3.2) et, enfin, l’analyse du corpus (3.3).

Le quatrième chapitre énonce dans le détail les catégories qui ont émergé des données collectées (4.1), avant de présenter l’essentiel des propos recueillis et d’en faire l’analyse (4.2). Les entretiens individuels sont analysés répondant par répondant (analyse verticale), puis comparés les uns aux autres (analyse horizontale) (4.2.3). Suivent les groupes focaux qui font, à leur tour, l’objet d’une analyse comparative (4.2.4).

Au terme de ce processus d’analyse, le cinquième chapitre, consacré à l’interprétation des résultats obtenus, énonce les principes autour desquels s’articulent les représentations qu’ont les élèves des règles à l’école. La discussion qui accompagne cette théorisation puise dans des études relatives à chacun de ses principes dont la mise en exergue comporte des retombées, notamment en ce qui a trait à l’éducation à la citoyenneté. La portée et les limites de cette recherche font l’objet de la conclusion de cette thèse.


[1] La Commission n’a « pas négligé, pour autant, les trois autres piliers de l’éducation [apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à être] qui fournissent, en quelque sorte, les éléments de base pour apprendre à vivre ensemble ». (UNESCO, 1996, p.18).

[2] Pour éviter les confusions, nous conserverons l’appellation MEQ qui était en vigueur lors de la parution de la plupart des documents cités, tout au long de cette thèse.