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4.2.3.11 Spyro (11)

Spyro, qui a 16 ans au moment de l’entretien, se présente comme une personne spontanée et donne à voir une personnalité enthousiaste comme semble l’indiquer l’ardeur avec laquelle elle a manifesté son intérêt à collaborer à cette recherche. D’ailleurs, son professeur de morale dit d’elle qu’elle est une élève intéressante et dynamique. Spyro, qui n’est dans cette école que depuis deux mois et demi, vivait auparavant avec son père avec lequel elle dit ne pas s’entendre. Faisant allusion à des vols qu’il aurait commis, elle affirme ne pas partager ses valeurs, ce qui a justifié son choix de venir habiter chez sa jeune tante à Montréal. Cet élément apporte un éclairage sur ses rapports aux règles, dont nous verrons qu’ils s’inscrivent dans une perspective à tendance normative. 

Soulignant à plusieurs reprises les différences qu’elle perçoit entre Montréal et ce qu’elle a connu à la campagne, elle insiste sur les changements qu’elle a dû opérer pour s’habituer.

Voyons maintenant ce qui ressort de ses propos.

Tableau 4.46
Raisons d’être des règles : Spyro

Ainsi que l’indique le tableau 4.46, le respect est la principale raison d’être des règles, aux yeux de Spyro. Dès le début de l’entretien, elle explique que les règles sont nécessaires pour que l’école puisse tout simplement fonctionner.

Faut que ça soit encadré […], pas [que ce soit] le free for all [chacun fait ce qu’il veut] t’sais. Pas que ce soit le bor… [expression familière] total pis que…Sans règles, sans discipline, sans rien [les élèves] vont faire qu’est-ce qu’ils veulent pis ça marcherait pas. (Spyro : 15).

Les règles, explique-t-elle, fixent les limites à ne pas franchir afin d’éviter les problèmes (Spyro : 99). « J’pense que les règles y servent que quand y’a un problème admettons… un élève qui dépasse les limites […]là on amène le code de vie on amène l’agenda. […] On garde une preuve, « regarde, t’as pas l’droit d’faire ça dans l’école « ». (Spyro : 770).

La limite dont elle parle s’apparente au respect car, si chacun se conformait à cette exigence il n’y aurait, selon elle, pas de problème. (Spyro : 592). De son point de vue, les règles doivent permettre à chacun de se sentir en sécurité, mais également respecté. « Une bonne règle… […] Ben ça serait une règle qui fasse en sorte que j’me sens protégée, en sécurité… correct, respectée t’sais dans mon intégrité. » (Spyro : 959).

Elle considère que le respect devrait être le fondement de toute règle. D’ailleurs, les règles n’auraient plus, à ses yeux, de raison d’être si tout le monde se respectait. « Ben les règles, moi j’me fie plus sur la base pour que ça aille bien. T’sais le respect, pas de menaces, pas d’agressions, pas rien là […] Moi juste avec ça là j’pense que […] Respecte alentour de toi pis t’es respectée. » (Spyro : 572).

Quand Spyro parle de respect, elle fait notamment allusion au respect que les élèves doivent aux adultes.

Pas trop niaiser les adultes, les respecter dans ce qu’ils sont. C’est pas parce que c’est un professeur, que c’est un adulte […] que tu peux te mettre à la niaiser. […] Dire bonjour quand tu la vois, ça c’est un minimum de respect. Même ouvrir la porte ça c’est un respect. (Spyro : 211).

Comme l’indiquent ses propos, Spyro voit essentiellement les règles comme un moyen d’éviter ou de régler des problèmes dus à un manque de respect.

Tableau 4.47
Mise en œuvre : Spyro

Comme on le voit dans le tableau 4.47, Spyro ne s’attarde pas sur la question de la mise en œuvre des règles. Elle semble dire que, dans l’ensemble, les règles sont appliquées au niveau de l’école (Spyro 660) et se fonde sur ce qu’elle a pu observer de la part la directrice adjointe qui est capable d’obtenir le silence quand elle s’adresse aux élèves.

J’pense [que les règles] sont assez bien respectées parce que j’ai vu la directrice plusieurs fois […] parler devant les élèves pis euh… quand elle dit « c’est assez c’est le silence », c’est silence pis j’pense pas qu’elle ait de problème. (Spyro : 150).

Au niveau de la classe, elle observe que certains enseignants ne parviennent pas à obtenir le respect de la part des élèves : « Y’en a qui l’ont pas, y’a des profs qui sont pas capables d’avoir le respect. […] soit qui ont soit pas d’autorité, je sais pas » (Spyro : 636).

Les suppléants seraient parmi ceux qui ont le plus de difficulté à se faire respecter et, par conséquent à faire respecter les règles, ce qui, du point de vue de Spyro, pénalise les élèves.

Moi j’comprends pas […] qu’ils réagissent pas.[…] Parce qu’il y en a qui se font niaiser, […]. Y’a des élèves qui poussent les limites avec les suppléants. […] C’est parce que souvent ça retarde le fait que ton cours avance, que t’apprennes quelque chose. (Spyro : 607).

Spyro constate que les règles varient d’un enseignant à l’autre, mais ne semble pas s’en formaliser : « y’a des profs qui l’acceptent y’a des profs qui l’acceptent pas » (Spyro : 180). D’ailleurs, elle semble bien s’accommoder de la façon dont les règles sont mises en œuvre et ce, même si elle constate quelques failles.

Tableau 4.48
Améliorations attendues : Spyro

Comme l’indique le tableau 4.48, Spyro, qui propose peu d’améliorations, insiste à quelques reprises sur la discipline indispensable dans une école accueillant un grand nombre d’élèves. « [il faut] Un minimum, minimum [de discipline], t’sais respect […], pour que ça soit propre que ça soit vivable t’sais on est […] 2000 et quelques élèves. Un minimum [de discipline]! » (Spyro : 35).

La discipline passe notamment par l’autorité de l’enseignant qui doit faire preuve de fermeté et ne pas laisser s’installer un climat de laisser-faire. « Pas laisser [à l’élève] la chance de niaiser, de couper tout de suite quand il commence. « Tu dépasses les limites fait que arrête sinon là, j’suis plus capable. « Fait que là y’a le respect t’sais. » (Spyro : 645).

Au niveau de l’école, le maintien de la discipline nécessiterait l’intervention de tout le personnel. « Ça prend le directeur, ça prend la secrétaire, les professeurs les adultes pour ramener la discipline à la minute qu’on s’échappe, qu’on sort de l’encadrement. Ça les prend [tous]. » (Spyro : 54)

Bien qu’elle insiste sur l’importance de la discipline, Spyro n’est pas toujours d’accord avec la façon dont elle est maintenue. Tout en disant qu’elle comprend qu’il faille être strict sur les règles, elle reproche à certains enseignants d’infliger des sanctions démesurées. Elle donne l’exemple de son professeur d’éducation physique qui impose comme sanction « 50 push up » et qui va jusqu’à faire pleurer les élèves en leur « parlant fort » (Spyro : 437).

Elle semble également penser que certaines règles sont superflues et qu’il suffirait de parler avec l’élève qui commet une faute plutôt que d’instaurer une nouvelle règle (Spyro : 515).

Tableau 4.49
Rapports aux règles : Spyro

Comme cela apparaît sur le tableau 4.49, Spyro semble n’avoir aucun problème avec l’autorité et accepter volontiers que les adultes rappellent aux élèves qu’ils ont des règles à respecter. « Faut pas t’oublies qu’y a des règles […]. Ça là, j’ai pas d’problème avec ça. J’ai jamais eu de problème d’autorité de rien t’sais c’est quelque chose de naturel. » (Spyro : 58).

Pour elle, la discipline est la voie à suivre pour prétendre à une vie convenable.

Dans la vie t’sais y’a comme deux chemins t’as le droit chemin pis le mauvais chemin. Dans le mauvais chemin [on fait] à sa tête, mais moi c’est le contraire ça prend de la discipline si tu veux être correct dans la vie pis rouler à ta façon pis être encadré. (Spyro : 73).

Même si elle ne se réfère pas au code de vie pour savoir comment se comporter, Spyro se conforme aux règles qu’elle respecterait de toute façon parce qu’elles lui semblent « aller de soi » « ça s’fait automatique ». (Spyro : 104). Elle insiste pour dire que « C’est naturel » et que ça lui « vient tout seul » (Spyro : 400).

La première règle qu’elle mentionne comme allant de soi est celle du respect : « Parce que pour moi, le respect c’est supposé venir naturellement, c’est supposé quelque chose tu fasses tout de suite (Spyro : 691). Elle ajoute par ailleurs que, pour en arriver à considérer le respect comme une nécessité, il faut avoir atteint un certain niveau de maturité. « Ça prend de la maturité pour savoir quand tu dépasses les limites. […] Tu prends tes responsabilités, t’sais. » (Spyro : 701). Spyro se considère suffisamment mature pour s’imposer à elle-même les règles qu’elle juge indispensables. « J’pourrais venir à l’école sans règles, pis je ne changerais pas t’sais. » (Spyro : 751).

Spyro, qui semble accepter facilement de se conformer aux règles, dit n’avoir jamais eu de problème de discipline (Spyro : 120). Elle explique qu’il lui est cependant déjà arrivé d’être envoyée au bureau de la directrice pour avoir tutoyé un enseignant. Mais, elle venait tout juste d’arriver dans cette école et n’avait pas encore pris l’habitude de vouvoyer les adultes (Spyro : 132). On comprend, à travers ce qu’elle dit, qu’elle consent à des efforts pour changer ses habitudes. (Spyro : 192)

Spyro manifeste une volonté évidente de s’adapter aux exigences de sa nouvelle école (Spyro : 486). Quand elle considère qu’une règle est stupide, elle s’y conforme malgré tout, parce que, de son point de vue, il ne vaut pas la peine de relever ce qui est sans importance. « Souvent on va laisser faire, c’est trop stupide! [Rires] […] On la respecte. Vu qu’on se dit c’est une niaiserie. » (Spyro : 885).

À travers les propos qu’elle tient, on peut supposer que Spyro est une élève disciplinée, c’est d’ailleurs l’impression qu’ont d’elle son professeur de morale et la directrice de niveau qui, tous deux, parlent de Spyro dans des termes laudateurs.

L’entretien avec Spyro nous permet d’atteindre les objectifs spécifiques de cette recherche : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Les principales raisons d’être des règles sont pour elle d’éviter l’apparition de problèmes en posant des limites qui garantissent le respect de chacun (1er objectif).

Elle semble globalement satisfaite de la façon dont les règles sont mises en œuvre, mais elle regrette que le manque de discipline pénalise les élèves motivés. (2ème objectif).

D’ailleurs, les quelques améliorations qu’elle suggère concernent essentiellement le maintien de la discipline par un encadrement de la part de tous les adultes de l’école. Ceux-ci doivent rappeler aux élèves les limites qu’ils ne doivent pas franchir afin que ces derniers en arrivent progressivement à s’imposer la discipline nécessaire pour prétendre à une vie « correcte » (3ème objectif).

Ses propos semblent indiquer qu’elle n’a aucune difficulté à se conformer à des règles qu’elle respecterait, même si elles n’étaient pas écrites. Elle explique que, bien qu’elle trouve que certaines règles soient stupides, elle s’en accommode.