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4.2.3.12 Simran (12)

Originaire des Indes, Simran qui a 18 ans au moment de l’entretien, s’est montrée très discrète lors de la présentation du projet de recherche au groupe classe. Si elle a tout d’abord parue peu loquace, elle s’est finalement révélée l’être après que nous lui ayons expliqué les règles de confidentialité. Elle est d’ailleurs revenue sur ce point pendant l’entretien pour s’assurer qu’elle pouvait parler en toute liberté. « ça, ça doit pas sortir entre nous hein? »

Carte conceptuelle de Simran

Simran donne l’impression de s’être préparée à l’entretien, comme semble l’indiquer sa réponse à la toute première question dans laquelle elle reprend la plupart des éléments de sa carte conceptuelle et en fait une synthèse.

O.K. Ben je dis pour les règles on a l’obligation pis euh ben c’est les grandes, les six grandes majeurs facteurs pour suivre les règles c’est on est obligés, c’est obligation c’est pour notre sécurité, y’a le règlement pis là si on ne, […] suit pas les règles on a la punition. Pis surtout les règles c’est à l’école pour nous […] il faut être mature, assez mature pour savoir que c’est une obligation pis la comprendre pis c’est que c’est notre devoir.

Tableau 4.50
Raisons d’être des règles : Simran

Comme on peut le voir dans le tableau 4.50, Simran aborde très peu les raisons d’être des règles. Elle mentionne néanmoins le respect (Simran : 1470) la préparation des élèves à la vie en société et ajoute que ce n’est qu’avec la maturité que les jeunes prennent conscience des obligations qui seront les leurs toute leur vie durant. « C’est pour le total, notre vie totale au complet parce qu’il faut que tu sois assez mature pour dire « O.K. c’était obligation, ça va être comme ça durant toute la vie, je peux pas être sauvage partout « pis c’est là à l’école où ça commence ». (Simran : 27).

Toutefois, plusieurs fois au cours de l’entretien, elle donne l’impression qu’elle n’est pas convaincue du bien-fondé de certaines règles qui sont, à ses yeux, mises au service des adultes pour exercer leur autorité : « C’est l’autorité genre, je trouve. […] Les profs c’est surtout les profs qui font ça comme ils pensent qu’ils sont autorité » (Simran : 218). Elle revient sur ce point à la fin de l’entretien : « Comme je disais c’est surtout pour dire que on est dans une institution, pis y’a des adultes, pis nous on est des élèves on est petits. » (Simran : 1481).

Pour illustrer ce qu’elle semble considérer comme un abus d’autorité, Simran raconte qu’une élève ayant décidé de se mettre au travail après plusieurs mois de laisser-aller, s’est vu refuser le soutien de son enseignante.

Maintenant qu’elle veut écouter, le professeur dit « Non ». Moi, j’trouve pas ça juste. Comme elle montre son autorité Ok, « Avant tu voulais pas écouter, maintenant, tu vas aussi pas écouter. ». Tu comprends? J’aime pas ça. (Simran : 225).

Tableau 4.51
Mise en œuvre : Simran

Comme l’indique le tableau 4.51, la mise en œuvre des règles semble être le plus souvent à géométrie variable, même si, à quelques occasions elles sont appliquées de façon stricte par le personnel d’encadrement. Simran note que, si certains enseignants sont « vraiment sévères » (Simran : 1024), d’autres sont toutefois plus indulgents ; l’application des règles varie donc sensiblement d’un professeur à l’autre (Simran : 1272). « Ça dépend du professeur, ça c’est sûr. Comme y’a des professeurs qui sont amis avec les élèves […] c’est pas toutes les classes c’est pas la même chose.. (Simran : 593).

S’étant assurée que ce qu’elle dirait resterait entre nous Simran explique que certains enseignants agissent selon leur humeur et appliquent les règles de façon arbitraire (Simran : 1260). L’exemple qu’elle donne d’un professeur qu’elle dit d’humeur changeante illustre son propos.

Comme l’autre fois il était, je ne sais pas si c’est sa femme ou quoi là mais il était pas dans une bonne humeur. […] pis mon agenda était sur la boîte pis là il fait ça avec mon agenda [mimant], il le jette. Moi je suis comme O.K. c’est pas mon problème que t’as des problèmes chez toi ou j’sais pas, sors le pas sur nous. (Simran : 277).

Simran dénonce également la partialité de plusieurs enseignants qui privilégient les élèves ayant de bons résultats scolaires. « Ils ont des chouchous. […] Comme genre eux y’a des professeurs qui ont des, comme y’a des élèves qui sont juste parce qu’ils ont des bonnes notes, sont tout le temps en faveur de ces élèves-là. […] Mais c’est pas juste. » (Simran : 1320).

Tableau 4.52
Améliorations attendues : Simran

Comme on peut le voire dans le tableau 4.52, Simran propose de nombreuses améliorations qui concernent tant l’encadrement et la qualité des relations que l’élaboration et la mise en œuvre des règles. Sur ce dernier point, elle observe que plusieurs règles imposées aux élèves ne sont pas respectées par les enseignants ; ce qui l’amène à questionner l’inégalité face aux règles et à souligner l’importance de la réciprocité.

C’est comme ils disent « Suivez les règles » mais eux-mêmes ils suivent pas les règles […] ils nous disent toujours « Respectez les profs » […] mais, ils disent jamais aux professeurs. Comme y’a les règles pour des élèves mais, est-ce qu’il y a les règles pour les profs? Je pense pas. Y’a pas les règles qui disent « Il faut respecter l’élève ». (Simran : 384).

Elle donne l’exemple de l’interdiction de fumer qui ne s’adresse qu’aux élèves et insiste pour dire : « C’est les règles, c’est pour l’école c’est pas juste pour les élèves y’a des profs aussi dans l’école. […] le prof a toujours comme priorité genre pis je ne sais pas pourquoi c’est comme ça. J’aime pas ça. » (Simran : 413).

Elle interprète cette inégalité face aux règles comme une marque de pouvoir de la part des adultes qui s’autorisent à enfreindre des règles qu’ils imposent par ailleurs aux élèves. « Mais ils veulent faire leur adulte genre.[…] Comme genre « Nous on peut […] mais pas vous ». Tu comprends? C’est comme « vous êtes encore petits » t’sais. Pour moi c’est ça, […] C’est l’autorité genre, je trouve. » (Simran : 200).

On comprend en effet par le ton qu’elle emploie, que Simran vit comme un abus de pouvoir l’asymétrie dans la relation enseignant / élève. « Lui [l’enseignant] il peut taquiner les élèves mais l’élève peut rien dire à lui. […] Il montre une autorité que « toi, t’es juste un élève pis moi je peux faire ce que je veux parce que […] tu es MON élève « ». (Simran : 300).

Elle associe cet abus de pouvoir à une injustice à laquelle s’ajoute un sentiment d’impuissance : « nous on n’a aucune possibilité [de nous expliquer] c’est « Oui, vous avez raison, c’est pas grave, disez [sic] ce que vous voulez, on est des élèves » C’est pas juste! » (Simran : 348).

Pour elle, une bonne règle s’adresse à tout le monde et sa transgression entraîne, pour tous, les mêmes conséquences. « Ça c’est une bonne règle. Tout le monde le suit pis tout le monde a les mêmes conséquences » (Simran : 1519). Elle martèle son message d’appel à la justice jusqu’à la fin de l’entretien. « Soyez justes! Ça c’est, […] que je vais leur dire. Soyez justes avec tout le monde, appliquez les mêmes règles pour tout le monde… C’est surtout ça. » (Simran : 1544).

De son point de vue, il ne sert à rien d’essayer de se défendre en cas d’abus de pouvoir de la part d’un enseignant, car les adultes finissent toujours par dire qu’ils ont raison. « c’est pas la voix de l’élève qui va compter contre la voix du prof. Le prof a toujours raison » (Simran : 314). Elle souhaiterait que les élèves puissent donner leur avis et être entendus. Elle insiste sur ce point à plusieurs reprises expliquant qu’il est impossible pour un élève ayant enfreint une règle, de se justifier, car « le prof l’écoute pas » (Simran : 1217). « Tout ce que l’adulte dit, il a raison pis tout ce que tu dis, t’as pas raison parce que tu es plus petit pis tu sais pas, pis euh l’adulte sait plus que toi. Donc tu le respectes c’est tout. » (Simran : 1497).

Simran s’insurge contre le fait que les règles de l’école soient décidées sans que les élèves aient été préalablement consultés. « [Nous,] on n’avait rien à dire, […] il a juste dit la règle comme ça. C’est pour ça on a dit « Wo là! C’est pas vrai, ça marche pas comme ça! » Il a même pas demandé notre avis. » (Simran : 517).

Pour elle, l’absence de consultation des élèves marque un manque de volonté de la part de la direction ; car il ne serait pas difficile de demander leur avis aux élèves. « On prend cinq minutes, on écrit notre opinion, on le remet au prof. » (Simran : 1140).

Une autre attente que Simran exprime avec insistance concerne la rigueur dans l’application des règles qui passe par des sanctions cohérentes et conséquentes. Or, la retenue qui est fréquemment employée n’est pas de son point de vue, une sanction dissuasive : « moi, je trouve que c’est pas assez sévère » (Simran : 69). Loin d’être dissuasive, la suspension qui est également utilisée, peut même aller jusqu’à représenter un attrait pour les élèves qui y voient un moyen de s’absenter l’école, sans avoir à s’en justifier. « Tu dis « O.K. T’es suspendu tu viens pas à l’école pour une semaine « « Wo! cool! Une semaine de congé même pas à motiver! C’est bon pour moi! « Ça c’est pour moi c’est pas quelque chose de sévère! » (Simran 1070).

Pour être dissuasive, la sanction devrait exiger un effort important de la part de l’élève : « quelque chose comme vraiment sévère » (Simran : 95). Simran suggère d’imposer une présence plus longue à l’école, assortie de tâches réparatrices, ce qui aurait un impact plus grand chez les élèves (Simran : 1087).

À ses yeux, une interdiction devrait être une interdiction. Or, elle considère que la façon dont les règles sont énoncées n’est pas assez stricte et donne trop de latitude, comme dans le cas des bagarres qui sont interdites dans l’établissement scolaire, mais pas sur le trottoir devant l’école. Elle interprète ce règlement comme voulant dire « Fais-le mais fais-le quelque part d’autre pas […] sur le territoire de notre école » (Simran : 689). À ses yeux, le manque de fermeté peut même être compris comme une incitation à faire ailleurs ce qui est défendu sur le territoire de l’école. « « Non, tu fais pas ça, tu fais pas ça c’est tout! ». Je trouve que c’est comme ça que ça doit se passer mais c’est pas comme ça que ça se passe. » (Simran : 744).

Simran considère qu’il devrait y avoir des règles précises et strictes interdisant la violence en quelque lieu que ce soit. Cependant, elle proteste contre l’interdiction des batailles de boules de neige qui ne sont pourtant qu’un jeu inoffensif à ses yeux. « Pis ce que je veux dire c’est pour des petites choses comme ça [batailles de boules de neige] ils vont concentrer tellement comme Ils vont focusser sur ça, mais les grandes choses ils vont laisser faire. » (Simran : 700).

Elle estime que si dans certains cas les règles ne sont pas assez strictes et les sanctions trop légères, il en est où les règles sont trop sévères (Simran : 112). Insistant sur la question de la hiérarchie des règles, elle revient sur la violence, qui semble faire moins l’objet d’attention de la part des adultes que la ponctualité, ou la tenue vestimentaire, par exemple. « Ils forcent sur ça, [la ponctualité] Je comprends, il faut être sévère mais pas au point comme ; pourquoi c’est pas comme ça pour la violence? » (Simran : 787).

Pensez aux grandes choses en premier. […] Comme ici, c’est pas vraiment concentré sur ne pas faire la violence. […] si t’es en retard, […] ils courent après toi […] Pourquoi ils font pas ça lorsqu’il y a des batailles pis des choses comme ça? (Simran : 675).

De son point de vue, l’école a une responsabilité dans la lutte conte la violence et, à l’instar de la police, elle devrait recourir à des moyens drastiques pour dissuader les élèves de transgresser les règles qui actuellement ne font pas l’objet de beaucoup d’attention. Elle conclut sur ce point en déplorant « Mais, l’école, y’a des petites choses qui font des extrêmes mais quand il faut être extrême sont pas extrêmes. » (Simran : 975).

Simran, qui, nous l’avons vu, dénonce le favoritisme, estime que lorsque les règles sont appliquées de façon arbitraire, les élèves peuvent s’autoriser à les enfreindre. « [Si les règles ne s’appliquent pas à tout le monde] ça va jamais marcher. Parce que moi je vais te dire « Non, c’est pas juste, pourquoi lui il a le droit pis moi j’ai pas le droit » Il va, il va toujours avoir des chicanes. » (Simran : 1360).

Tableau 4.53
Rapports aux règles : Simran

À la lecture du tableau 4.53, on observe que si Simran conteste à quelques occasions les règles en vigueur, elle s’y conforme la plupart du temps (Simran : 15) Elle explique qu’il faut être assez mature pour comprendre qu’on a l’obligation de respecter les règles, à défaut de quoi « on a la punition » (Simran : 11). Elle insiste beaucoup sur la maturité qu’elle semble associer à la capacité d’anticiper les conséquences en cas de transgression.

Pis c’est ça il faut comprendre […] là je comprends que je suis mature pis je vais obéir pis […] il faut obéir pis il faut être responsable […] Comme genre quand ils disent […] « Il faut que tu viennes à tous tes cours ». Il faut qu’on vient à tous nos cours sinon, on va subir des conséquences comme la punition, la copie, la suspension. (Simran : 47).

Cependant, elle raconte qu’elle a déjà fait l’école buissonnière plusieurs fois depuis qu’elle est arrivée au secondaire où « c’est un peu plus lâche » qu’au primaire. « Pis ici […] je peux foxer alors en morale, arts plastiques, des cours que j’aime pas je venais pas je foxais pis j’allais avec mes amis. J’allais magasiner, j’allais partout. » (Simran : 1614).

Si elle a pu manquer l’école impunément pendant un certain temps, ses absences répétées ont fini par alerter la directrice qui a envoyé une travailleuse sociale chez elle. Elle raconte longuement cet épisode au cours duquel elle s’est sentie presque humiliée à l’idée que la directrice ait pu penser qu’elle avait des problèmes familiaux.

Les propos qu’elle tient au sujet de la maturité sont teintés de volontarisme et on peut penser qu’ils reflètent une prise de conscience de l’ampleur des conséquences que peuvent entraîner certaines transgressions. Hormis ces absences non motivées, elle dit n’avoir pas eu de problèmes de discipline. Simran, qui semble respecter les règles, n’accepte pas pour autant qu’un adulte lui manque de respect. « S’il me dit « Ah, ta gueule, t’es stupide », je vais pas … tu peux-tu rester là? Je vais dire « Wo, vous, vous aussi vous êtes stupide « you know. Je vais pas juste rester là! » (Simran : 364).

Les éléments qui ressortent de l’entretien avec Simran permettent d’atteindre les objectifs spécifiques fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Après avoir expliqué que les règles à l’école permettent de préparer les élèves à se conformer aux exigences de la vie en société, Simran insiste pour dire que dans plusieurs cas, elles servent à légitimer le pouvoir des adultes (1er objectif).

En ce qui a trait à la mise en œuvre des règles, Simran retient qu’elle dépend essentiellement des enseignants ce qui confirme à ses yeux et l’arbitraire avec lequel ceux-ci usent de leur pouvoir. (2ème objectif).

La rigueur et l’impartialité sont d’ailleurs des améliorations qu’elle propose avec insistance à diverses reprises. Elle estime que les sanctions en cas de transgressions devraient être plus conséquentes tout en rappelant la nécessité de tenir compte des élèves. Elle revient sur ce point pour affirmer le principe d’égalité dont elle fait sa principale revendication. Pour elle, une « bonne règle » est une règle qui s’applique à tout le monde. De plus les élèves devraient pouvoir participer à leur élaboration. Elle questionne la hiérarchie des règles en soulignant que la violence devraient faire l’objet d’une attention particulière. Or, ce point est négligé des adultes de l’école alors qu’ils s’attardent à faire respecter des règles de moindre importance, comme la ponctualité (3ème objectif).

Simran, qui a fait l’école buissonnière à plusieurs reprises, semble désormais décidée à respecter les règles. L’insistance avec laquelle elle revient sur la nécessité d’être mature pour comprendre l’obligation d’obéir semble cependant indiquer que sa soumission aux règles est teintée de volontarisme.