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4.2.3.2 Minoune (2)

Âgée de 16 ans, Minoune donne l’image d’une jeune fille plutôt réservée. Bien que discrète, elle a semblé attentive et très présente lors de la présentation. Elle n’a pas parlé ni posé de question pendant la première rencontre au cours de laquelle il était demandé aux répondants de faire leur carte conceptuelle, qu’elle a d’ailleurs été la première à terminer.

Au cours des échanges informels que nous avons eus, Minoune, a fait part de son intention d’étudier le droit. Elle a expliqué qu’elle faisait partie du comité de financement du bal des finissants. Cette implication lui permet à l’occasion de s’absenter des cours pour suivre ce dossier ; elle bénéficie donc d’un régime de faveur.

Bien qu’elle ait confirmé par téléphone notre rendez-vous, elle l’a annulé à la dernière minute, sa mère lui ayant demandé de garder son jeune frère à l’heure que nous avions convenue. Nous nous sommes donc mises d’accord sur une autre date.

Au début de l’entretien, Minoune ne paraissait pas très à l’aise : elle n’a pas osé manger le gâteau, ni boire le jus qui lui étaient offerts. Peut-être était-ce dû au fait qu’elle avait annulé la première rencontre à la dernière minute et qu’elle avait perdu le formulaire de consentement à faire signer par ses parents. Toutefois, elle a semblé prendre de l’assurance au cours de la discussion, dont voici l’essentiel du propos.

Tableau 4.10
Raisons d’être des règles : Minoune

Comme on peut le voir dans le tableau 4.10, Minoune fait surtout allusion aux raisons d’être des règles pour dire que les règles servent « Plus à nous faire ch… [expression populaire] » (Minoune : 481). D’ailleurs elle ne définit les règles qu’en termes d’interdiction et d’obligation. « C’est ça t’as l’interdiction c’est comme… tu fais ça pis c’est ça pis ça va rester là. […] faut que tu fasses juste qu’est-ce que l’école veut, pis tu peux pas dépasser. » (Minoune : 45). De son point de vue, les règles en vigueur sont là pour servir les intérêts des adultes, plutôt que ceux des élèves. « Les règles de l’école […] c’est pas toujours des affaires qu’on aurait de besoin. C’est plus [pour] eux autres [les adultes]. » (Minoune : 63). Dans son esprit, les règles incarnent les caprices des enseignants, Minoune revient sur ce point à de nombreuses reprises. « Ça a même pas rapport avec l’école. T’sais c’est juste [parce que] vous autres [les adultes] ça vous tente que ça marche comme ça là. Pis c’est frustrant dans un sens. » (Minoune : 457).

Elle estime que plusieurs des règles en vigueur n’ont « pas rapport avec l’école », elle ne comprend donc pas ce qui les justifie. Elle donne l’exemple, des règles vestimentaires qu’elle juge stupides, parce qu’elle ne voit pas en quoi le port de la casquette ou de « camisoles » peuvent nuire à qui que ce soit.. « Comme, il me semble des casquettes pis des camisoles, ça dérange pas personne. » (Minoune : 66).

Elle reconnaît toutefois que, sans règle, il serait impossible de fonctionner. « Oui, j’me dis que si y’en avait une qui était pas là peut-être que ça serait le bor… [expression familière] dans l’école là! » (Minoune : 656).

Pour Minoune, les règles légitimes sont celles qui interdisent la violence et garantissent le respect.

Tableau 4.11
Mise en œuvre : Minoune

Comme l’indique le tableau 4.11, Minoune semble dire, à trois reprises que les règles sont effectivement appliquées, mais si les élèves s’y conforment c’est « parce qu’on n’a pas vraiment le choix sinon, on se fait sortir » (Minoune : 550).

Cependant, la plupart du temps, les enseignants n’interviennent pas pour appliquer les règles, dont la mise en œuvre serait essentiellement assurée par les membres de la direction. « Mais la plupart du temps […] c’est plus le directeur ça. Parce que les profs eux autres, ils s’en foutent là. […] C’est comme eux autres ils sont payés pour enseigner, ils sont pas payés pour faire la police. » (Minoune : 252).

Minoune considère que les enseignants qui appliquent les règles sont rares (Minoune : 274). Elle mentionne plusieurs exemples de règles qui sont inscrites dans l’agenda, mais ne sont pas mises en œuvre.

Comme dans l’agenda y’a une règle c’est « pas le droit de sortir », aucun élève a le droit de circuler dans les corridors pendant les cours. Mais, y’a plusieurs profs qui le laissent quand même faire pis qui acceptent les baladeurs, pis la gomme, pis toutes sortes d’affaires. (Minoune : 219).

Les propos de Minoune peuvent sembler contradictoires : d’un côté, elle dit que des professeurs recourent à une batterie de moyens pour faire respecter les règles ; d’un autre côté, elle considère que peu d’enseignants s’impliquent dans la mise en œuvre. On comprend dans la suite de ses propos que chaque enseignant applique les règles à sa manière. « Je le sais pas ça dépend de quoi, mais je sais que y’a pas un prof qui les applique de la même façon. » (Minoune : 790). Pour Minoune, l’application des règles « ça dépend des profs » (339) et de leurs préférences pour tel ou tel élève. Elle dénonce le favoritisme qu’elle perçoit chez nombre d’enseignants.

Si admettons, le prof il préfère un élève plus qu’un autre, il va lui laisser plus de chances. Tandis qu’un autre, celui qu’il lui déteste la face depuis le début de l’année, lui il va toujours être sur son dos pis il va le faire ch… [expression familière] carrément jusqu’au bout là. […] Y’a des profs qui sont égal pour tout le monde mais y’a beaucoup de profs qui font ça. (Minoune : 805).

Ce constat entraîne un sentiment de frustration, qu’elle exprime nommément. « [le favoritisme ça provoque] Plus de frustration parce que […], tu fais pas exprès de pas te faire aimer par le prof, qu’il soit toujours sur ton dos. » (Minoune : 825).

Tableau 4.12
Améliorations attendues : Minoune

La frustration qu’exprime Minoune face au favoritisme qu’elle constate s’accompagne d’attentes qui renvoient à des améliorations en matière d’égalité vis-à-vis des règles, comme l’indique le tableau 4.12. Elle insiste également sur la réciprocité qui est, pour elle, une condition nécessaire pour instaurer le respect entre les personnes. « Il me semble que [si] tu veux te faire parler comme il faut, tu parles comme il faut à l’autre personne aussi, parce que sinon je pense pas qu’elle te respecte si tu la respectes pas. Ça se joue à deux! » (Minoune : 685).

L’égalité face aux règles, est également une attente qu’elle exprime à diverses reprises. Tout le monde, y compris les adultes devrait se conformer au règlement.

Il faut […] que la personne qui t’oblige à faire quelque chose, qui te donne une règle, il faut qu’elle soit capable de la tenir jusqu’au bout. Sinon ben l’élève il va laisser faire pis va dire « si elle, elle le fait pas, pourquoi moi je le ferais? » (Minoune : 241).

Minoune estime que les priorités ne sont pas mises là où elles devraient l’être et que les règles les moins importantes à ses yeux, sont celles qui sont appliquées avec le plus de rigueur, ce qu’elle résume en disant « T’sais, donne des retenues au moins pour des bonnes raisons! » (Minoune : 178).

Par ailleurs, Minoune explique qu’il y a trop de règles, qu’il serait préférable qu’il y en ait moins, mais qu’elles soient justifiées et vraiment appliquées (Minoune : 472). « Qu’ils en mettent moins [de règles] pis qu’ils pensent avant d’en appliquer une parce qu’il y en a vraiment qui ont pas rapport dans l’agenda. » (Minoune : 913).

Chaque enseignant ayant ses propres exigences, Minoune dit se sentir « pognée » (coincée) face au nombre considérable de règles. « En plus des règles qu’on a déjà, ils nous en donnent d’autres pour leur classe. Fait que c’est ça qui fait qu’on se sent tout pognés. [...] Parce que sinon si y’aurait juste les règles de l’école, qui seraient plus sévères, pis eux autres y’auraient pas de règles pour leur classe là ça serait correct. » (Minoune 524).

Elle en appelle à plus de compréhension de la part des adultes et exprime avec virulence son sentiment de frustration. « Ben j’trouve ça trop serré pour nous autres parce que nous autres t’sais on est jeune, on a besoin quand même de lousse [souplesse]. » (Minoune : 61). Ils nous mettent trop emprisonnés là pis ils les enferment. […] C’est ça pis […] ça c’est frustrant pis ça fait ch… [expression familière]. » (Minoune : 513).

En même temps qu’elle demande plus de souplesse de la part des adultes, Minoune exhorte les enseignants à faire preuve de plus de rigueur dans la mise en œuvre des règles qui favorisent un climat propice aux études. « Ben que les profs s’impliquent pis […] que ce soit plus sévère. Comme qu’il y ait des sanctions plus sévères si on respecte pas. […] les élèves y’écouteraient plus dans leurs cours pis y’auraient plus de possibilités de passer. » (Minoune : 410).

Minoune, qui considère que les élèves n’ont pas leur mot à dire au sujet des règles, estime qu’ils devraient pouvoir participer à leur élaboration. Elle explique que s’ils étaient associés à ce processus, ils respecteraient les règles.

Tableau 4.13
Rapports aux règles : Minoune

Comme on peut le lire sur le tableau 4.13, Minoune fait partie des élèves qui se soumettent aux règles et, malgré le mécontentement qu’elle exprime parfois de façon virulente, elle dit n’avoir jamais eu de problème de discipline (Minoune : 881) ; elle se distingue en ce sens des autres élèves dont elle dit qu’ils enfreignent les règles qu’ils trouvent stupides (Minoune : 714).

On peut penser, à travers les propos qu’elle tient, que Minoune obéit parce qu’elle n’a pas le choix si elle ne veut pas être sanctionnée. « Admettons tu fais quelque chose de croche, tu vas te faire taper sur les doigts c’est sûr fait que […] tu fais ça pis c’est ça, pis ça va rester là. » (Minoune : 48).

Cette forme de résignation s’accompagne d’un sentiment de frustrationqu’elle exprime à plusieurs reprises. Tout d’abord, dans sa carte conceptuelle puis, dans les propos qu’elle tient au sujet des règles qu’elle ne comprend pas. « Ben ça m’énerve, ça me purge. À cause que toi ça te tente pas toujours de faire ce qu’ils te demandent, pis des fois tu te dis, « ça n’a pas rapport ce qu’ils me demandent, pourquoi qu’ils demandent ça justement? […] Pis c’est frustrant! » (Minoune : 451).

L’entretien avec Minoune a permis d’atteindre les objectifs spécifiques que nous nous étions fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Pour elle, les règles qui devraient avant tout garantir le respect et interdire toute forme de violence, existent dans les faits pour servir les intérêts des adultes qui s’attachent à des détails insignifiants à ses yeux, comme la tenue vestimentaire (1er objectif).

Au chapitre de la mise en œuvre, elle constate qu’à l’exception de quelques enseignants qui appliquent les règles de façon stricte, la plupart d’entre eux n’en tiennent pas compte ou les appliquent de façon partiale. (2ème objectif)

Les améliorations attendues concernent en premier lieu l’impartialité des enseignants qui devraient traiter tous les élèves sur un pied d’égalité. Elle souhaiterait également que les règles s’appliquent de la même manière aux adultes et aux élèves. En même temps qu’elle appelle à plus de rigueur dans la mise en œuvre, elle se plaint du manque de souplesse des adultes. Mais, on comprend que l’inflexibilité qu’elle souhaiterait ne concerne que les règles qu’elle juge légitimes. (3ème objectif).

Bien qu’elle emploie un ton virulent tout au long de l’entretien et qu’elle ne cache pas son opposition aux règles qu’elle considère comme étant « stupides », Minoune s’y conforme pour éviter les sanctions.