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4.2.3.3 Marie-Toutoune (3)

Âgée de 17 ans au moment de l’entretien, Marie-Toutoune paraît être une jeune fille calme et posée. Dans le groupe, elle est restée effacée, bien que sollicitée par les garçons de sa classe, notamment par l’un des répondants : Lestoil. Lors de la présentation du projet dans le groupe classe, elle a posé quelques questions d’éclaircissement au sujet de la recherche avant de se porter volontaire (nombre de rencontres, à quels moments?). Malgré sa discrétion apparente, ses questions témoignent de sa capacité à prendre la parole dans le groupe.

Plusieurs appels téléphoniques ont été nécessaires avant de réussir à lui parler pour confirmer notre rendez-vous. Le jeune garçon qui a très aimablement répondu a expliqué que sa sœur travaillait plusieurs soirs par semaine jusqu’à 10h30 et que pour la joindre, il fallait l’appeler tard dans la soirée. Lorsque nous avons finalement réussi à la joindre, elle attendait visiblement l’appel et a répondu avec enthousiasme « Ah Véronique! ».

Bien que nous ayons été dérangées à plusieurs reprises au cours de l’entretien, elle n’a pas semblé perturbée, reprenant sans difficulté le fil de la conversation dont voici l’essentiel.

Tableau 4.14
Raisons d’être des règles : Marie-Toutoune

Comme l’indique le tableau 4.14, le respect est pour Marie-Toutoune la principale raison d’être des règles. C’est d’ailleurs le premier élément qu’elle dit avoir mentionné dans sa carte conceptuelle. Elle présente le respect comme une nécessité fondée sur la réciprocité. « Le respect parce que dans des règles d’habitude c’est la première qu’on sort […] parce que c’est vraiment important. C’est comme, faut que tu fasses ça, faut que tu respectes le monde dans le fond si tu veux être respecté toi aussi. » (Marie-Toutoune : 26).

Marie-Toutoune associe le respect au bien-être, expliquant que quand « il y a du respect t’es bien dans cette classe là, ça apporte de la joie! » (Marie-Toutoune : 30). Elle estime que s’il ne devait y avoir qu’un principe ce serait celui de respect. D’ailleurs, à quelques exceptions près, toutes les règles en découlent. « Parce que la plupart des règles c’est ça que ça amène : le respect . Si t’as juste une règle à faire dans le fond c’est […] respect […] Ça englobe tout. » (Marie-Toutoune : 750).

Marie-Toutoune voit dans les règles un moyen de protéger les élèves contre ce qui pourrait leur nuire, ce qui justifie, à ses yeux, l’imposition de certaines contraintes.

Euh, après ça j’avais restrictions, parce que quand t’as des règles, ben y’a des affaires que t’as pas le droit, autant que y’a des affaires qui sont bonnes pour toi, mais y’en a d’autres qui sont pas bonnes. Fait que souvent ils t’enlèvent le droit comme à l’école. (Marie-Toutoune : 36)

Elle donne l’impression de ne pas remettre en question des règles souvent décriées par les élèves parce que relevant des choix personnels des enseignants. Il en va de même pour les règles découlant de convenances sociales, qu’elle associe au respect.

C’est de la façon que tu parles, que tu t’habilles, […] y’en a qui […] s’habillent comme s’ils étaient à la plage […] […] tu t’en viens à l’école, c’est comme si tu t’en allais à l’église ; tu t’habilles pas avec des gros décolletés pis tout là. Faut que tu respectes le monde, c’est une façon de respecter ça. (Marie-Toutoune : 57).

Certaines règles de l’ordre des conventions sociales, comme le vouvoiement, sont implicites et n’ont pas besoin d’être écrites.

C’est quelque chose que on savait déjà là, qui est pas écrit en quelque part. […] y’en a qui faut juste que t’en déduises. C’est juste comme le savoir-vivre que t’apprends depuis que t’es tout petit genre dire s’il vous plaît, merci, ces affaires-là (Marie-Toutoune : 125).

Pour Marie-Toutoune, le respect consiste à ne pas « envoyer promener » (Marie-Toutoune : 85) les personnes pour lesquelles on n’a pas de sympathie. « Si tu l’aimes pas tu y parles pas […] c’est comme une forme de respect […] tu le laisses vivre là, même si on s’entend pas. » (Marie-Toutoune : 90)

De son point de vue, les règles permettent de garantir un climat de sécurité « [c’est] le bon côté des règles là dans le fond » (Marie-Toutoune :168). « Ouais parce que si tu, si tu permettais n’importe quoi […] n’importe qui peut faire ce qu’il veut dans le fond, fait que tu te sens pas en sécurité. » (Marie-Toutoune : 151).

Les règles sont aussi là pour garantir un climat propice aux études : « dans une école, faut quand même qu’il y ait un certain niveau de calme là pour pouvoir étudier (Marie-Toutoune : 726).

Même si Marie-Toutoune ne comprend pas toujours ce qui justifie certaines règles, elle pense qu’elles ont sûrement une raison d’être. D’ailleurs, elle considère que les règles imposées à l’école sont celles qui prévalent dans la société ; en ce sens, l’école prépare les élèves à leur futur vie d’adultes (Marie-Toutoune : 735). « J’pense qu’y ont toutes une raison d’être les règles là. Si tu y penses là, peut-être que quand tu les regardes de même ben c’est stupide ; mais quand tu y penses, tu dis ben finalement ça sert à quelque chose. » (Marie-Toutoune : 182).

Tableau 4.15
Mise en œuvre : Marie-Toutoune

Comme on peut le voir sur le tableau 4.15, pour Marie-Toutoune, les règles ne sont pas souvent mises en œuvre et que les élèves peuvent les transgresser en toute impunité. « Comme à l’école t’as pas le droit de fumer à l’intérieur […] mais à toutes les récréations y’a du monde dans l’école qui fume. Pis même si les profs ils passent à côté, ils font rien là, ils les laissent faire. » (Marie-Toutoune : 262).

Dans plusieurs cas, l’absence d’intervention de l’enseignant est vue comme pénalisante pour les élèves qui voudraient travailler. « Comme […] y’a des profs… [les élèves] y’ont pas le droit de parler, t’es dans la classe pis tu parles, ça fait rien là. Elle te laisse faire […] Fait que c’est comme, ça aide pas les autres alentour! » (Marie-Toutoune : 270).

Marie-Toutoune décrit longuement le désordre qui règne dans un cours où l’enseignant n’est pas capable de se faire respecter et où personne n’écoute ; pour en arriver à cette conclusion : « Fait que finalement c’est le bor… [expression familière] dans cette classe-là là tout le monde parle » (Marie-Toutoune : 571). Néanmoins, dans certaines classes, il règne tel un climat de respect, qu’il n’est pas nécessaire d’imposer des règles strictes pour que chacun s’écoute.

Tout dépendant de la classe où est-ce que t’es y’en a qui disent t’es pas obligé de lever la main parce que c’est assez respectueux dans la classe fait que quand quelqu’un parle, les autres attendent, après ça ils vont répliquer. […] T’sais y’a pas personne qui s’embarque un par-dessus l’autre. (Marie-Toutoune : 819).

Marie-Toutoune observe, sans toutefois s’en plaindre, que chaque enseignant instaure ses propres règles (Marie-Toutoune : 320), celles-ci pouvant même aller à l’encontre des règles de l’école. « Presque tous les profs, ils refont un peu leurs règles pis ça transgresse qu’est-ce qui est écrit dans le code de vie là. » (Marie-Toutoune : 334). L’application des règles dépendrait également de l’âge des élèves, les adultes étant plus strictes avec les plus jeunes (Marie-Toutoune : 466).

Tableau 4.16
Améliorations attendues : Marie-Toutoune

Comme on peut s’y attendre d’une personne qui n’émet que peu de critiques sur le fonctionnement actuel, Marie-Toutoune propose peu d’améliorations, si ce n’est en matière d’encadrement, ainsi que l’indique le tableau 4.16. Elle appelle les enseignants à faire preuve d’inflexibilité pour ne pas pénaliser les élèves qui veulent travailler.

Souvent le monde vont en prendre plus que ce que tu donnes. Fait que, faut que tu sois sévère pis que t’aies de l’autorité là. Faut que tu dises « Quand j’te dis que c’est comme ça que ça marche, c’est comme ça que ça marche. C’est pas un p’tit peu plus ou un p’tit peu moins là, c’est vraiment comme ça. » (Marie-Toutoune : 241).

On comprend dans ses propos que de son point de vue, pour « tenir sa classe » (Marie-Toutoune : 284) l’enseignant doit, dès le début, faire preuve d’inflexibilité et garder une certaine distance, car les élèves saisissent tout de suite à qui ils ont à faire.

Ben quand t’arrives t’sais, tu fais pas juste comme faire le clown en avant. « Bon, moi j’m’en vais de telle, telle façon pis si marche pas, ben t’es dehors » […] Pis d’habitude, quand il arrive pis qu’on sait cette introduction là, la classe est tranquille […] tu le vois tout de suite là dans sa manière d’être là si elle est lousse ou si elle est sévère. Tu vas savoir comment t’adapter immédiatement là. (291)

Marie-Toutoune considère, par ailleurs que, pour avoir un effet, les sanctions doivent être conséquentes ; or, la retenue n’est pas, à ses yeux, suffisante pour dissuader les élèves de récidiver.

Parce que si tu donnes comme une retenue, ça donne rien là. […] c’est quoi là, une demie heure dans notre vie là, c’est rien là t’es assis, t’attends, t’as le droit de faire ce que tu veux […]. Fait que t’sais c’est comme pas vraiment une punition là! (Marie-Toutoune : 513)

Elle suggère d’imposer des sanctions en lien avec l’infraction commise et qui permettent de réparer les dommages causés.

Si t’as dessiné sur les bureaux, ben tu laves tous les bureaux d’une classe. T’sais quelque chose de consistant […] quelque chose que, qui dit bon ben r’garde, t’as fait telle affaire, c’est ça le résultat. Ça je pense que c’est une bonne punition (Marie-Toutoune : 526).

Elle ne voit pas d’autre solution que les sanctions pour « convaincre » les élèves de respecter les règles ; les explications ne suffisant pas à elles seules. « Fait que faudrait peut-être […], essayer de leur faire comprendre, pis en plus, mettre genre une punition, parce que sinon ça rentre pas là. Ça fait vraiment rien! » (Marie-Toutoune : 549). On peut comprendre à travers ce que dit Marie-Toutoune, qu’il ne sert à rien de sermonner les élèves indisciplinés et de leur dire que leur comportement n’est pas acceptable. Il faut plutôt, avec les moyens appropriés, les toucher émotivement en vue de leur faire prendre conscience des conséquences de leurs actes. (Marie-Toutoune : 663).

Marie-Toutoune porte un regard positif sur le fonctionnement de son école. Elle considère que les élèves ont la possibilité de donner leur point de vue en cas de conflit avec un enseignant, et que le directeur parvient, la plupart du temps, à trouver des moyens pour régler les problèmes de façon satisfaisante pour tout le monde.

[Le directeur] il va essayer de rencontrer les deux [l’adulte et l’élève en conflit] pis essayer de comprendre qu’est-ce qui est arrivé vraiment. Fait qu’il va essayer de régler le problème le plus qu’il peut. […] Pour essayer de trouver un terrain d’entente (Marie-Toutoune : 404).

D’ailleurs, elle estime que si les élèves voulaient induire des changements au niveau des règles, ils pourraient le faire.

Tableau 4.17
Rapports aux règles : Marie-Toutoune

Comme on le voit dans le tableau 4.17, Marie-Toutoune ne semble pas avoir de difficulté à respecter les règles, qui ont toutes, à ses yeux, une raison d’être. Même si à l’occasion elle trouve certaines règles un peu strictes, elle s’en accommode, considérant que les exigences de l’école sont proches de celles de la société en général et qu’il faut s’y habituer, parce que « c’est comme dans n’importe quelle place » (Marie-Toutoune : 732). « Si t’as une camisole, faut que t’aies une veste pis […], ça me dérange là mais c’est quand même minimal. » (Marie-Toutoune : 205).

Même si les règles varient d’un enseignant à l’autre, Marie-Toutoune donne l’impression de s’adapter aux exigences de chacun. « C’est pas trop dur [de s’adapter ] parce que […] C’est juste que tu le sais si, comme dépendamment si il est sévère ou pas […]. Fait que tu le sais à peu près qu’est-ce qu’il va te permettre ou qu’est-ce qu’il te permet pas. » (Marie-Toutoune : 361).

Ses propos indiquent qu’elle fait partie des élèves qui veulent réussir. Elle blâme ceux qui, bien qu’étant en secondaire 5, n’ont pas la maturité pour comprendre que le respect des règles est indispensable pour travailler dans de bonnes conditions. « On est en secondaire 5 là y’en a une gang de bozos [clowns] que, il s’en foutent. Ils pensent qu’avec un miracle ils vont réussir à passer leur année. […] c’est pas comme ça que ça marche! » (Marie-Toutoune : 501).

Au terme de cet entretien, les objectifs spécifiques visés ont, selon nous, été atteints : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Marie-Toutoune semble avoir une représentation positive des règles qui toutes sont justifiées à ses yeux parce qu’elles permettent de garantir le respect. Pour elle, les exigences de l’école sont semblables à celles de la société, il est donc important de s’y conformer (1er objectif).

Elle note que chaque enseignant édicte ses propres règles, mais semble s’en accommoder. Par ailleurs, elle constate avec regret que la mise en œuvre n’est pas toujours effective ce qui nuit aux élèves qui veulent réussir (2ème objectif).

D’ailleurs, les améliorations qu’elle suggère concernent essentiellement un encadrement plus strict. Elle souhaiterait que les enseignants soient plus sévères, qu’ils administrent des sanctions conséquentes et qu’ils fassent preuve de constance (3ème objectif).

Marie-Toutoune, qui estime que les élèves ont la possibilité de donner leur point de vue au sujet des règles, donne l’impression de n’avoir aucune difficulté à les respecter ; elle semble d’ailleurs les avoir intériorisées. Elle fait preuve d’une capacité d’adaptation qui lui permet de composer sans difficulté apparente avec les diverses attentes des enseignants.