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4.2.3.4 Lestoil (4)

Lestoil, qui a 17 ans au moment de l’entretien, affiche une certaine assurance. Avant la présentation du projet de recherche, il a demandé la parole à plusieurs reprises au professeur pour demander des précisions sur un travail à remettre. Au moment de fixer une date pour l’entretien individuel, il nous a demandé s’il n’était pas possible de faire les entretiens pendant les heures de cours, arguant qu’ils ne perdraient rien et que le cas s’était déjà produit sans que cela pose problème. Finalement, l’entretien a eu lieu à la fin des cours.

Lestoil étant particulièrement loquace, l’entretien individuel, auquel nous avons dû mettre fin, car l’école fermait ses portes, a duré presque 1h30. Au cours de la discussion qui s’est poursuivie de façon informelle, il a expliqué qu’il vivait avec son père, policier et qu’il avait été éduqué de façon très stricte. Le bref échange que nous avons eu avec son père au téléphone laisse penser, qu’en effet, il suit de très près les activités de son fils.

Lestoil semble vouloir projeter l’image de quelqu’un de responsable et respectueux des règles. Lors d’un déplacement en groupe pour nous rendre à la bibliothèque rejoindre l’enseignant et le groupe classe, il a rappelé à l’ordre des élèves qui se déplaçaient un peu bruyamment, alors même qu’il chahutait avec Marie-Toutoune, la chatouillant et la faisant rire.

Tableau 4.18
Raisons d’être des règles : Lestoil

Comme on peut le voir dans le tableau 4.18, la première raison d’être des règles est, pour Lestoil, de favoriser la réussite scolaire en permettant d’instaurer le calme et l’ordre. En ce sens, les règles doivent permettre de garantir un climat propice aux études et à la concentration.

Faut que tu puisses te concentrer sur tes travaux, que tu puisses, lire un texte tranquille sans entendre […] crier dans tes oreilles pis si t’es pas concentré cent pour cent sur un texte […] Ça marche pas là. T’as ben beau vouloir réussir en même temps… tu pourras pas. (Lestoil : 384).

Lestoil établit une relation directe entre la réussite, l’ordre, la propreté, le calme et le bien-être, l’un ne pouvant exister sans l’autre, comme il l’explique à diverses reprises. « Fait que c’est ça, [la réussite] ça se rattache au bien-être. Pis d’après moi le bien-être ben c’est la propreté pis le calme. Parce que si tu peux pas étudier dans le calme pis dans la propreté... » (Lestoil : 136). L’observation du silence en classe est également une raison d’être des règles à l’école. « Pas le droit de parler. Ça ramène au calme. À la réussite. […] Si tu fais pas tes devoirs, c’est un manque de réussite, t’as des chances de couler. » (Lestoil : 563).

Viennent ensuite la ponctualité et l’obligation d’avoir son matériel. Il fait à ce sujet une analogie avec les policiers. « Avoir son matériel, être ponctuel euh ça c’est des choses […] Un policier qui s’en va travailler pas d’arme à feu ou pas de matraque […] C’est … pourquoi tu viens travailler t’sais? » (Lestoil : 770).

À la fin de l’entretien, Lestoil souligne que le respect est la condition fondamentale sans laquelle toutes les autres règles perdent leur raison d’être.

Il faut, une règle fondamentale c’est […] le respect. Pas de respect, on oublie tout ce qui s’est construit, on oublie le calme, on oublie la sérénité, on oublie le bien-être, on oublie la réussite, on oublie l’ordre, on oublie tout tout tout. (Lestoil : 1623).

Même s’il estime que les règles sont pour la plupart fondées, il considère cependant que plusieurs sont « exagérées » (Lestoil : 614). « Y’a plein [de règles exagérées], c’est l’enfer là j’pourrais vous sortir le code de vie pis on en discuterait pendant trois heures. » (Lestoil : 835). Il va même jusqu’à dire que certaines règles vont à l’encontre des droits de l’homme en prenant l’exemple de l’imposition d’un code vestimentaire. Cette confusion dénote une méconnaissance de ce que recouvrent les droits de l’homme. (Lestoil : 909).

Tableau 4.19
Mise en œuvre : Lestoil

Comme on le voit dans le tableau 4.19, Lestoil aborde la question de la mise en œuvre à de nombreuses reprises. Pour lui, toutes les raisons d’être qui viennent d’être évoquées n’ont plus de sens si les règles ne sont pas mises en œuvre. « La règle sert pour l’instant j’vais vous dire ben franchement, de certains profs rien, ça sert à rien. » (Lestoil :1140). Lestoil estime que, trop souvent, les règles ne sont pas appliquées, il revient plusieurs fois sur ce point pour dénoncer le manque de rigueur de la plupart des enseignants. « [les règles vestimentaires] ça se fait pas respecter non plus. [Pour ce] qui est de la ponctualité, t’arrives en retard t’as aucune conséquence. » (Lestoil : 584)

Il constate également que certains enseignants enfreignent les règles qu’ils sont censés faire respecter, ce qui inciterait les élèves à en faire autant. « Y’a des professeurs qui ne respectent pas et puis y’en a qui l’appliquent pas. » (Lestoil : 928). « Si le prof de mathématique respecte pas les règles, il [l’élève] va aller en mathématique ça va être le free for all. Il va dire lui j’peux m’en permettre. » (Lestoil : 988).

Lestoil estime que les enseignants ne devraient pas édicter leurs propres règles et décider chacun des sanctions à infliger. « Chaque professeur a ses règles à lui pis il faudrait que l’élève s’y conforme. Tandis que socialement c’est l’école qui a les règles et non les profs. » (Lestoil : 654).

À plusieurs reprises, il dénonce le favoritisme au profit de certains élèves. « Sauf que ceux [les enseignants] [qui n’appliquent pas] les règles, habituellement ils ont plus de favoritisme. Soit penchant vers les meilleures notes, ou soit penchant pour les filles. » (Lestoil : 1456). Plusieurs enseignants favoriseraient les élèves du même sexe ou inversement les pénaliseraient. Les hommes seraient plus intransigeants avec les garçons (Lestoil : 1487), les femmes le seraient plus avec les filles (Lestoil 1497).

Il arrive toutefois, explique-t-il, que des enseignants parviennent à instaurer dans leur classe un climat « sain, calme », dans lequel il est possible d’étudier. Les professeurs, qu’il cite en exemple, ont en commun d’intervenir systématiquement en cas d’infraction et d’être stricts.

J’vais vous donner un exemple, mon prof de l’année passée. […] Si tu parlais, elle te sortait. Si t’écoutais pas, elle te faisait venir en récupération. […] Si tu faisais pas tes devoirs, appel aux parents. […] C’est tout ça qui fait au bout de compte que c’est une belle note. (Lestoil : 442).

Un prof qui se sert de sa règle, sans frapper les élèves, il frappe sur le bureau. Il peut être tellement plate le prof, sauf que, le monde est tellement […] comme, en admiration […] sont tous réveillés parce que c’est le seul prof qui est capable de mettre ses culottes (Lestoil : 1388).

Tableau 4.20
Améliorations attendues : Lestoil

Comme cela apparaît clairement dans le tableau 4.20, Lestoil suggère de nombreuses améliorations, dont le plus grand nombre concerne l’encadrement. Ainsi que l’on vient de le voir à travers le portrait des enseignants qu’il donne en exemple, Lestoil souhaiterait plus de fermeté de la part des adultes. On sent même dans ses propos, de l’admiration pour les professeurs capables d’imposer leur autorité. Pour lui, il est essentiel de faire respecter les règles de façon constante ; à défaut de quoi, elles n’ont plus de raison d’exister. Il explique que, si un enseignant tolère qu’un élève enfreigne une règle, il doit s’attendre à ce qu’il en transgresse d’autres. « S’ils le font pas [appliquer, les règles] c’est foutu! C’est ça, ça sert plus à rien. C’est, tu vas en faire respecter une mais pas l’autre. […] Ça joue aussi contre le professeur. (Lestoil : 1159).

Partant du principe qu’un enseignant devrait être impartial, Lestoil estime que, si celui-ci accepte qu’un élève contrevienne au règlement, tous les élèves sont autorisés à en faire autant. En ce sens, le manque de constance dans l’application d’une règle, invalide celle-ci. « Si c’est bon pour un, c’est bon pour les autres. C’est une loi phénoménale. Tu peux pas dire « oui toi va boire de l’eau, non toi j’veux pas, j’t’aime pas la face. » » (Lestoil : 1440).

De son point de vue, si des règles existent elles doivent être mises en œuvre, même s’il les juge stupides.

[Certaines règles sont] Barjo [stupides]. Oui, sauf que, […] vu qu’elles sont déjà décidées, pourquoi pas les faire respecter? Au moins pour cette année. Si on réussit à les faire enlever du code de vie, là on va pouvoir dire « Hey, c’était tu barjo hen ça! ». (Lestoil : 944).

Lestoil ne comprend pas pourquoi les adultes s’obstinent à maintenir des règles qu’ils n’appliquent pas. « Si vous êtes pour mettre des règles, faut les suivre! Faut les faire respecter! » (Lestoil : 646). « Mais, si vous êtes pas pour le faire respecter, ce code-là, pourquoi vous vous battez avec les élèves pour qu’ils soient dans le code de vie? » (Lestoil : 953).

Il constate avec regret que les règles de respect, qu’il juge de toute première importance, sont inexistantes à l’école. « Sauf que, c’est le respect qu’il faut qui entoure tout dans, dans une école […]. Pis pourtant, y’en n’a pas de règles de même. […] Y’a pas de règles de respect, en tant que telles, dans l’école. » (Lestoil :1652).

Pour appuyer son propos, il donne l’exemple d’enseignants qui sanctionnent le comportement des élèves qui leur adressent une critique ; mais qui n’interviennent pas quand ils sont témoins de scènes d’intimidation dans les couloirs de l’école. « Le prof va le sortir parce qu’il a été irrespectueux envers lui, [en lui disant que son exposé était mauvais] ; sauf que si deux élèves sont irrespectueux [l’un envers l’autre], en tout cas s’ils se respectent pas, il s’en fout. » (Lestoil : 1712).

Il blâme les enseignants qui n’assument pas leurs responsabilités en matière de mise en œuvre, leur reprochant de faillir à leur mission. Car, « C’est sa job de faire respecter…les règles! » (Lestoil : 660). Et « C’est pas à l’élève à faire la discipline, mais bien au professeur. » (Lestoil : 477). La discipline qu’il voudrait voir régner, commence par l’observation du silence en classe, une règle qui devrait être appliquée de façon rigoureuse. Lestoil qui veut réussir, se sent pénalisé par l’absence d’intervention des enseignants.

Pas parler durant les cours, j’trouve ça primordial. Ça dérange tout le monde ça… ceux qui veulent réussir sont pas capables […], parce que l’autre parle [...] Ou, parce que le prof veut plus enseigner parce que l’autre l’a insulté […] ça pénalise tout le monde. (Lestoil : 752).

L’établissement d’un climat studieux dépend de l’implacabilité des enseignants, qui se doivent d’être sévère pour favoriser la réussite des élèves (Lestoil : 489). « J’vais vous dire ben franchement, les profs […] devraient être plus autoritaires. […] Quand j’étais au primaire, les professeurs étaient beaucoup plus sévères que ça. Pis les règles, ça se respectait » (Lestoil : 416). Il considère que le seul moyen de faire respecter les règles réside dans l’imposition du pouvoir des adultes, qui doivent « tenir le bout du bâton » (Lestoil : 1052) pour garder le contrôle sur sa classe. Lestoil, qui utilise l’analogie aux animaux à trois reprises pour parler des élèves, affirme que ceux-ci « se domptent » (Lestoil : 1210). Ce pouvoir de l’enseignant passe notamment par l’éviction de quelques élèves (Lestoil : 566). « Si il dit « c’est assez! », c’est assez! Comme je vous disais, avoir le contrôle, c’est pas dur. […] Si vous voulez pas arrêter de parler, je vais en envoyer trois autres au retrait, les autres vont se taire. » (Lestoil : 1298).

Si les enseignants ne sont pas capables d’imposer le respect des règles, les élèves s’en rendent compte et en profitent. « Sauf que, dès que vous mettez pas en marche vos règles, vous êtes foutus, les profs sont foutus! Parce que, les élèves sont pas fous, ils voient quels profs qui font respecter les règles, pis quels qui le font pas. » (Lestoil : 982).

Pour que les élèves se conforment aux règles, les sanctions doivent être significatives (Lestoil : 1249). Prenant un exemple fictif, il suggère d’infliger des punitions qui importuneront suffisamment les élèves pour les dissuader de récidiver.

Ben t’as pas voulu faire ton devoir, c’est une copie. Sauf que sa copie est originale. Elle fait écrire les mots, une lettre rouge, une lettre jaune, une lettre bleue, une lettre verte, une lettre rouge, […] Donc l’élève sait que si il fait pas ses devoirs, la copie qu’il va faire va lui prendre peut-être trois heures. (Lestoil : 1203)

Bien qu’il prône le retour à plus d’autorité de la part des adultes, Lestoil estime que ceux-ci devraient davantage considérer les élèves. D’ailleurs, à la fin de l’entretien, à la question : « qu’est-ce que tu aurais à dire à la direction? » Lestoil exprime explicitement le souhait d’être écouté et considéré. « Écoutez plus les élèves. C’est primordial. Les élèves, c’est eux qui les font vivre, d’un sens. Sans élèves là, sont pas là. Pis j’trouve que ils portent pas assez attention aux élèves. » (Lestoil : 1905)

Il regrette que les élèves ne puissent pas prendre part aux décisions, notamment, en ce qui a trait aux règles (Lestoil : 188). « Comme plusieurs fois, on a voulu changer des règles. Sauf que, le directeur a déjà le dernier mot. Donc, si il trouve ça pour lui primordial entre guillemets, il l’enlève pas. Pis, c’est plate. » (Lestoil : 853). Voyons maintenant le type de rapports qu’il entretient avec les règles et les personnes chargées de les mettre en œuvre.

Tableau 4.21
Rapports aux règles : Lestoil

À la lecture du tableau 4.21, on observe que Lestoil fait partie des élèves qui obéissent par principe aux règles. Dès le début de l’entretien, il témoigne de sa volonté de réussir sa scolarité, ce qui ne peut se faire, à ses yeux, que dans le respect inconditionnel des règles en vigueur. Il affirme n’avoir aucune difficulté à s’y conformer, arguant qu’il a été éduqué dans un milieu familial strict. « J’ai pas de problème avec ça [à respecter les règles], parce que j’ai été élevé dans un climat sévère et puis respectueux. Y’a quelque chose qui t’est interdit? [Si] Tu le suis pas, c’est ça qui va t’arriver. » (Lestoil : 1252).

Bien qu’il dise respecter scrupuleusement les règles, il reconnaît qu’il lui est arrivé de manquer de respect à un enseignant qui lui refusait de sortir de la classe pour aller aux toilettes, alors qu’il souffre d’énurésie.

Écoute j’avais […] une maladie pis il fallait que j’aille aux toilettes j’pouvais pas me retenir […] et puis le professeur m’a dit « Non. Tu sors pas de la classe ». […] pour lui, c’était dans un examen pis il voulait pas. J’ai dit « Ben regarde, f… [expression ordurière] où je pense ton examen, moi je m’en vais ». J’suis sorti. (Lestoil : 1803).

Lestoil qui avait un certificat médical, a obtenu le soutien de la direction ce qui lui a permis de ne pas être inquiété. Il lui est également arrivé de répliquer à un enseignant qui s’adressait à lui en le sifflant « comme un chien » (Lestoil : 1840). Malgré ces incidents, Lestoil projette l’image d’un élève discipliné, dont les résultats scolaires semblent satisfaisants ; ce qu’a confirmé son professeur de morale lors d’échanges non formels. « C’est à peu près les seuls troubles que j’ai eus, à part de ça, tous mes profs que j’ai eus m’ont toujours donné des compliments ou des bonnes notes. » (Lestoil : 1847).

Lestoil porte un jugement négatif, teinté de mépris, sur les élèves qui transgressent les règles, voyant dans leur attitude une preuve d’immaturité (Lestoil : 1335). Pour lui, ces élèves sont incapables d’anticiper les conséquences de leurs actes.

Le contenu de l’entretien avec Lestoil nous permet d’atteindre les objectifs spécifiques que nous nous étions fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Pour lui, la principale raison d’être des règles est de favoriser la réussite scolaire, qui est sa préoccupation première. La qualité de l’environnement est directement reliée à l’atmosphère qui devrait régner dans une école pour favoriser l’étude (1er objectif).

Tout au long de l’entretien, il insiste sur le climat de laisser-faire qui pénalise les élèves désireux de travailler. Il en appelle à plus de sévérité de la part des enseignants, dont il attend qu’ils imposent leur autorité en infligeant des sanctions dissuasives telles que l’éviction scolaire (2ème objectif).

En même temps qu’il demande plus de sévérité, il regrette que les élèves ne soient pas associés à l’élaboration des règles et que leur point de vue ne soit pas pris en considération (3ème objectif).

Lestoil affirme que la plupart des règles sont justifiées, mais au fur et à mesure que se déroule l’entretien, on sent qu’il est de plus en plus critique vis-à-vis de celles qu’il juge stupides. Il considère néanmoins que dès, lors qu’elles sont en vigueur, toute les règles, doivent être appliquées. D’ailleurs, il fait montre d’un sens du devoir, de l’ordre et de la discipline.