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4.2.3.5 Cocotte (5)

Cocotte, qui a 16 ans au moment de l’entretien, semble être une jeune fille dynamique et sûre d’elle. Elle a posé plusieurs questions d’éclaircissement avant de réaliser sa carte conceptuelle et s’est assurée qu’elle pouvait utiliser des mots « très familiers ». Nous avons eu une longue conversation téléphonique, lors de la confirmation de notre entretien. À cette occasion, elle a expliqué avec enthousiasme, qu’elle faisait partie d’un comité de prévention de la violence initié par un enseignant de son école. Dans le cadre de ce comité, dont elle parle abondamment au cours de l’entretien, Cocotte intervient auprès des élèves pour les sensibiliser aux techniques de résolution pacifique des conflits. Son engagement démontre un intérêt incontestable pour les enjeux sociaux ; elle a d’ailleurs fait part de son intention de devenir travailleuse sociale.

Le jour de l’entretien, Cocotte est arrivée vêtue d’une « camisole à bretelles spaghetti » recouverte d’un gilet, qu’elle a enlevé aussitôt. Et comme pour provoquer, elle a souhaité laisser la porte de la classe ouverte, sachant qu’elle pouvait être vue dans cette tenue interdite par le règlement.

Tableau 4.22
Raisons d’être des règles : Cocotte

À la lecture du tableau 4.22, on observe que, les raisons d’être des règles qu’elle identifie sont très diverses. Dès le début de l’entretien, elle décrit les règles, comme étant une absence de droits et un moyen pour les adultes de contrôler les élèves.

[les règles] souvent, ça va être de dire t’as pas le droit de faire ça, fait que c’est une interdiction pour moi. […] C’est tout le temps des « pas de droit » d’habitude. […] C’est tout le temps l’interdiction, fait que c’est souvent plate […]. C’est pour ça que j’ai marqué tu sais c’est ch… [expression populaire] des fois les règles. (Cocotte : 6).

Les règles de l’école, qui ne sont faites que d’interdictions, seraient toutefois à distinguer de celles en vigueur dans la société, qui confèrent aussi des droits. « Je sais qu’il y a sûrement pas juste des  « pas l’droit « , même dans des règles comme les règles de la route. […] Mais à l’école, c’est toujours t’as pas droit de ci t’as pas l’droit de ça. » (Cocotte : 26).

Cocotte est cependant, en accord avec les règles qui sont fondées sur le respect, comme c’est le cas de l’interdiction de violence et des règles de savoir-vivre. « T’sais pour qu’il y ait pas de violence, là aussi c’est important. » (Cocotte : 285). « Ben t’sais les impolitesses, c’est déjà une règle à l’école t’sais. Y’en a beaucoup. Ça je trouve qu’elle est importante, celle de respect. » (Cocotte : 231). À ses yeux, le respect devrait guider l’ensemble des règles, « parce que ça englobe pas mal tout. […] Si tout le monde se respecte, ça va déjà mieux entre tout le monde » (Cocotte : 277). Le respect de chacun, devrait conduire à une atmosphère paisible et studieuse où tout le monde travaille calmement. « Si y’en a un qui parle, ben ça dérange tout le bien de tout le monde ». (Cocotte : 626). Ultimement, les règles sont là pour que chacun se sente « bien dans sa peau » et que « tout le monde soit à l’aise » (Cocotte : 634). Et, « si on respecte pas les règles, ben ça va amener le mal. » (Cocotte : 710).

Il est cependant des règles dont la principale raison d’être est le contrôle de quelques élèves immatures qui agissent de façon réprimandable. « C’est toujours à cause de une ou deux personnes qui font quelque chose de mal, pis on a une règle pour tout le monde. […] Ça prive les autres de ça […], c’est ça qu’est plate. » (Cotte : 46).

Dans cette perspective de contrôle, Cocotte voit les règles comme étant potentiellement utiles, mais considère qu’elles sont finalement inefficaces, parce que ceux qui savent comment se comporter n’ont pas besoin de règles et ceux pour qui on instaure des règles, « ils les respectent pas plus, fait que… » (Cocotte : 53)

Dans l’esprit de Cocotte, la logique voudrait que les règles édictées soient fondées. Or, celles dont la transgression ne dérange personne ne trouvent pas de justification à ses yeux. : « Mais t’sais y’en a [des règles] qu’on se dit qui dérangeront pas. Faut y aller avec la logique là! » (Cocotte : 715).

Tableau 4.23
Mise en œuvre : Cocotte

Comme l’indique le tableau 4.23, Cocotte estime que les règles ne sont pas mises en œuvre. Elle souligne l’inutilité des règles, si elles ne sont pas appliquées. « Actuellement, elles servent pas à grand chose. Comme je te dis, personne les respecte. La plupart du monde les respecte pas ça, fait que ça sert à rien! » (Cocotte : 933). Elle n’aborde la question de la mise en œuvre des règles que pour constater des manques. D’ailleurs, elle pense que personne, ou presque, ne prend connaissance du règlement de 24 pages inscrit dans l’agenda. « Elles [les règles] sont peut-être marquées [dans l’agenda], mais qui c’est qui lit le code là? T’sais, le code il a 24 pages. » (Cocotte : 678).

À travers ce que dit Cocotte, on peut penser que les quelques fois où les règles sont respectées ce n’est pas parce que les adultes les ont appliquées mais, parce que les élèves s’y sont conformés d’eux-mêmes. « Mais ceux qui les appliquaient [respectaient] pas, ben ils les appliquaient [respectaient] pas plus aujourd’hui, la plupart. » (Cocotte : 61). À ses dires, on peut penser que les enseignants ont renoncé à mettre en œuvre les règles en vigueur. « Mais là, ils ont arrêté [d’appliquer les règles], seulement qu’elles sont dans l’agenda là, mais la plupart des profs là il laissent maintenant lousse. [relâché]. » (Cocotte : 39).

D’ailleurs, même si des sanctions sont prononcées, les élèves ne s’y soumettent pas et ne semblent pas en être inquiétés. « La plupart du monde : « ah ok, j’ai une retenue  », pis ils viennent pas à la retenue. Tu sais […] y’en a plein de monde, ils ont des retenues, je les connais là, pis ils en ont à peu près 10 d’accumulées pis, ils y ont jamais été. » (Cocotte : 74).

Les élèves dont parle Cocotte, contournent, apparemment sans trop de difficultés, les dispositifs de contrôle mis en place pour appliquer les sanctions. « Ils sont rares ceux qui reprennent leurs retenues » (Cocotte : 82).

Cette apparente abdication aurait des répercussions sur le climat de violence que Cocotte dit constater. Elle mentionne des « batailles » fréquentes (Cocotte : 326) : « Y’a du racisme, y’a de la violence, y’a tout dans l’école » Cocotte : 301).

Les enseignants ne tiendraient pas compte du règlement de l’école, par contre chacun d’entre eux imposerait ses propres règles, ce qui ne peut qu’engendrer la confusion chez les élèves. « Dans le fond, les profs ils font tous leurs règles à eux-mêmes dans le fond […] Ils compliquent leurs règles […] tu sais plus où t’as l’droit. » (Cocotte : 913).

Tableau 4.24
Améliorations attendues : Cocotte

Ainsi qu’on peut le voir dans le tableau 4.24, Cocotte qui propose des améliorations dans différents domaines, insiste tout particulièrement sur le recours à la parole pour réguler les rapports entre les personnes. Elle est convaincue qu’il est toujours possible de régler les problèmes et les conflits en se parlant et que la punition ne peut qu’envenimer les choses. « C’est-u vraiment une solution de le punir? Moi je dis que c’est de parler avec ces personnes-là […], c’est toujours en parlant. T’sais, tu vas le punir pis il va être encore plus fâché contre toi pis il va vouloir encore plus le faire. » (Cocotte : 488).

Le plus important est de faire réfléchir les élèves à ce qui les a conduits à commettre une infraction. De son point de vue, un élève qui a des problèmes disciplinaires, a avant tout besoin de soutien et d’écoute, car il vit sûrement des difficultés dont il n’a pas forcément conscience. « Y’a juste besoin que quelqu’un l’aide. » (Cocotte : 423). Pour elle, il importe de comprendre les raisons qui poussent ces élèves à transgresser les règles. Dans cette perspective, l’écoute active et l’empathie sont de toute première importance dans la résolution des problèmes et des conflits (Cocotte : 478). « C’est juste de trouver pourquoi elle est comme ça, la personne. Pourquoi elle est pas bien dans sa peau? » (Cocotte : 446).

Les règles ne devraient pas, comme elle juge que c’est le cas, être édictées pour contrôler quelques élèves, à qui il suffirait de parler pour régler le problème : « Qu’ils aillent pas mettre une règle pour un ou deux élèves qui agissent de même là.. Qu’ils aillent les voir ces élèves-là, pis qu’il leur parlent. » (Cocotte : 950). Cocotte considère que, si chacun contribuait à sa manière à inciter au dialogue, cela pourrait favoriser une prise de conscience chez ceux qui transgressent les règles, en particulier celles qui touchent au respect. « Si tout le monde accepte de mettre son petit grain [accepte de se parler], ben ça va venir que ça va toujours s’améliorer » (Cocotte : 400).

Plusieurs des améliorations attendues concernent le bien-fondé d’un certain nombre de règlements, qui devraient, selon Cocotte, porter sur l’essentiel. Or, elle souligne la futilité de certaines règles, qui occasionnent des conflits entre enseignants et élèves comme l’interdiction de porter une casquette (Cocotte : 195). « Ben qu’ils mettent des règles sur l’essentiel, là![…] T’sais qu’ils mettent des règles sur qu’est-ce qui est vraiment pas respecté. » (Cocotte : 949).

Pour Cocotte, l’essentiel est le respect des droits pour tous, ce qui implique en retour l’interdiction pour chacun de porter atteinte aux droits des autres : c’est le principe de réciprocité. « Ben c’est comme je disais, t’as pas le droit, mais t’sais t’as aussi les droits de la personne. » (Cocotte : 518). « Ben, c’est comme quand tu as le droit de faire ça, ben t’as aussi le côté que t’as pas le droit. C’est toujours [ça] la règle. » (Cocotte : 555).

Au principe de réciprocité, s’ajoute celui d’égalité en droit. « Tout le monde a les mêmes droits, fait que pourquoi on respecterait pas tous les droits des personnes t’sais? » (Cocotte : 525). Elle propose également, à plusieurs reprises, des améliorations au sujet de la participation des élèves aux décisions entourant la question des règles. « C’est les élèves, qui faut qu’ils la suive les règles. Fait que, si tu les impliques pas, ben ils seront pas… Moi je dis qu’on devrait impliquer les élèves […] pour construire le code de vie. » (Cocotte : 828).

Dans son argumentation, on comprend que, de son point de vue, les élèves ne respecteront pas des règles à l’élaboration desquelles ils n’ont pas été associés. « Si t’en impliques, t’en a déjà plus qui vont y prêter attention. Ça va être leurs règles, […] elle va être appliquée de la façon que eux ça leur plait. » (Cocotte : 851). Cocotte fait des suggestions concrètes en ce sens, telles que procéder à des sondages, voter l’adoption des règles (Cocotte : 857), installer des « boites à suggestion » pour connaître le point de vue des élèves (Cocotte 870).

Plusieurs des améliorations suggérées par Cocotte concernent la mise en œuvre, qui devrait être plus rigoureuse. « Faudrait trouver un moyen pour qu’on respecte. Je sais pas, qu’on y pense mieux là! » (Cocotte : 961). Il faudrait, en premier lieu, que les règles soient constantes d’un enseignant à l’autre à défaut de quoi les élèves ne s’y retrouvent plus. « T’sais, tout le monde sait, ben, si on commence à faire des règles pour toi, des règles pour toi, ben il va y avoir trop de règles, pis tout le monde va être mélangé. » (Cocotte : 894).

Tableau 4.25
Rapports aux règles : Cocotte

Comme on peut le voir à la lecture du tableau 4.25, Cocotte se présente comme quelqu’un d’autonome, capable de s’imposer à elle-même les règles qu’elle considère comme étant indispensables. Elle explique qu’elle sait se comporter et qu’elle n’a pas besoin d’un règlement pour lui indiquer quoi faire (Cocotte : 177). « Même moi je l’ai pas lu le code de vie ; il m’intéresse pas plus que ça. Je sais comment vivre là, je sais comment me conduire dans l’école » (Cocotte : 786).

Pour elle, « ce qui compte c’est que ça dérange pas » (Cocotte : 722) et elle se fie à sa « logique ». « Elle vient toute seule la logique moi […] je regarde pis je dis « oh c’est bien stupide ça, que je la fasse ou que je la fasse pas ça dérangera pas personne. » C’est un clic qui se fait. » (Cocotte : 731).

On comprend dans ses propos que Cocotte ne respecte que les règles dont elle comprend le bien-fondé. « Y’en a que je vais respecter, mais y’en a que j’trouve stupides, fais que je respecterai pas. » (Cocotte : 149). La logique qui devrait dicter les règles repose, à ses yeux, sur le mieux-être de chacun (Cocotte : 620), ce qui provoque un effet d’entraînement dont tout le monde bénéficie (Cocotte : 752).

Même si elle observe qu’il est possible d’éviter les sanctions, la plupart du temps, elle se soumet quand même aux règles pour éviter tout problème, ne « pas avoir de trouble » (Cocotte : 88). C’est sans difficulté qu’elle se conforme aux règles qu’elle voudrait voir respectées par les autres, soulignant par là la nécessaire réciprocité. « C’est comme, elle [toute personne] a le droit d’avoir le respect de toi, pis elle le donne » (Cocotte : 519). « Tu veux pas te faire déranger, ben dérange pas l’autre à côté! » (Cocotte : 526).

Bien qu’elle insiste sur l’importance de se comporter avec les autres comme on souhaiterait qu’ils se comportent avec nous, il lui arrive de ne pas respecter ce principe. « Tu sais, moi aussi je dérange en classe. Ben, pas tout le temps, mais, on se laisse influencer par les autres. » (Cocotte : 790). Elle reconnaît également, s’être déjà adressée à un enseignant dans des termes irrespectueux : « je lui ai dit « tu nous fais ch… [expression populaire]! « » (Cocotte : 117). Elle explique que, si parfois les élèves s’emportent, il peut s’agir d’une réaction à un manque de respect d’un professeur à leur endroit (Cocotte : 234).

À part quelques rares conflits avec les enseignants, Cocotte ne semble pas avoir de « problème de discipline », si ce n’est le « bavardage » (Cocotte : 975). En effet, elle se dit incapable de rester silencieuse et immobile pendant toute la durée d’un cours et « d’écouter un prof parler pendant une heure et quart, sans parler, sans rien faire, là rester assis » (Cocotte : 798).

L’entretien avec Cocotte apporte des réponses aux questions de recherche et permet d’atteindre les objectifs spécifiques : circonscrire les fonctions que les élèves attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Pour elle, les règles à l’école sont le plus souvent des interdictions, ce qui les distingue des règles de vie en société, qui consacrent les droits de la personne. Elle estime que souvent, les règles sont instaurées pour contrôler un ou deux élèves qui se comportent de façon inadéquate (1er objectif).

De toute façon, les règles n’étant pas appliquées, elle ne servent à rien, et ceux à qui elles étaient initialement destinées ne les respectent pas davantage quand elles sont inscrites dans l’agenda. (2ème objectif).

Regrettant que les règles qu’elle considère comme étant indispensables soient aussi peu respectée, Cocotte estime qu’il faudrait trouver une solution à ce problème. Elle pense que, si les élèves étaient associés à l’élaboration des règles, ils les respecteraient davantage. Elle insiste à de nombreuses reprises sur l’importance du dialogue et de l’écoute à l’endroit des élèves indisciplinés, la sanction n’étant pas un moyen de conscientiser, au contraire (3ème objectif).

Cocotte donne l’impression de n’avoir aucune difficulté à se conformer aux règles dont elle comprend le bien-fondé; c’est-à-dire les règles qui favorisent le respect entre les personnes et dont la transgression pourrait nuire à quelqu’un. Cependant, les règles qui portent sur des détails ne sont pas justifiées et ne méritent pas, à ses yeux, qu’on en tienne compte.