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4.2.3.6 Chico (6)

Chico, qui a 17 ans au moment de l’entretien, ne s’est pas manifesté et est resté discret lors de la présentation du projet de recherche au groupe classe. Il a hésité à se porter volontaire et, ce n’est qu’après que nous ayons distribué une enveloppe à ceux qui avaient manifesté leur intérêt, qu’il en a demandé une, se disant prêt à collaborer. Il a échangé quelques mots avec Nikki pendant qu’ils faisaient leur carte conceptuelle, mais il est parti seul après avoir terminé, alors que les autres se sont attendus pour s’en aller ensemble.

Lorsque nous l’avons appelé chez lui pour confirmer notre rencontre du lendemain, c’est son père qui a répondu. Au cours de notre échange, il nous a appris que son fils était en probation, puis nous l’a passé. Quand nous lui avons demandé si notre rendez-vous tenait toujours, il a manifesté de l’enthousiaste et ajouté « Je ne veux pas vous manquer ».

À la suite de l’entretien, il a tenu à ce que nous allions ensemble jusqu’à la station de métro, pour qu’il me montre des graffitis dont il était l’auteur. Pendant tout le chemin il a parlé des problèmes qu’il avait avec la justice et de ses « bonnes résolutions ».

Chico, qui est d’origine salvadorienne, souligne à plusieurs reprises qu’il est un « cas spécial ». Il est d’ailleurs un des rares élèves de cette école à être issu de l’immigration. « Ben j’suis un cas spécial! [Rires] Dans toutes les écoles j’suis un cas spécial » (Chico : 879).

Il se présente comme une personne ayant l’expérience de la rue et se distingue, en cela, des autres élèves de sa classe. C’est d’ailleurs à ce titre, qu’il a tenu à participer à cette recherche, pour donner un point de vue différent.

Moi j’suis une personne […] qui a vu tout ce qui se passe dehors là dans la rue. […] Tout ce qui se passe, tout ce qui est bas, qu’est-ce que le monde en haut de la société genre qu’ils voient pas. [Je voulais] donner mon point de vue parce que […] on appelle ça chez nous, ben dehors, on appelle ça ghetto. (Chico : 2100).

Cette entrée en matière permet de situer un tant soit peu Chico qui a indéniablement un parcours atypique, ce qui donne une tonalité particulière à ses propos.

Tableau 4.26
Raisons d’être des règles : Chico

Le tableau 4.26 indique que, pour Chico, les principales raisons d’être des règles sont le respect - en particulier celui des enseignants - et la qualité de l’environnement. « C’est ça il faut que tu respectes les professeurs, le monde qui travaille ici. Faut que tu respectes les gens autour. » (Chico : 610). L’environnement est, de son point de vue, un élément important pour créer un climat de bien-être : « Pour que l’environnement à l’école tout qu’est-ce qui fait que le monde soit bien, [que] ça soit propre, [que] ça soit agréable […] Qu’on se sente bien là. » (Chico : 1848).

Il estime que les règles d’encadrement en lien avec les études, comme la ponctualité, l’assiduité, l’obligation de « faire ses devoirs », sont également justifiées (Chico : 1521).

Certaines règles, dont on comprend qu’elles le dérangent comme celle de l’accès aux casiers, auraient pour but de contrôler les élèves qui utilisent ces espaces pour faire des graffitis ou fumer. « Pis tu peux pas rentrer dans les cases parce que y’a trop, du monde qui font des, des graffitis […] y’a trop de monde qui fume des cigarettes en dedans pis on peut pas rentrer entre les deux périodes. Juste le matin, le midi, pis le soir. » (Chico : 228).

Chico ne comprend pas le bien-fondé de certaines règles, notamment les règles vestimentaires, dont nous verrons qu’il les transgresse ostensiblement. Certaines règles, comme l’interdiction de manger, vont même à l’encontre du bon sens, puisque, selon lui, quelqu’un qui a faim n’est pas capable d’attention. Or, explique-t-il, « il arrive qu’un élève qui travaille n’ait pas eu le temps de manger avant d’arriver en classe, dans ce cas, il doit pouvoir se nourrir. Faut être logique! » (Chico : 1421).


Tableau 4.27
Mise en œuvre : Chico

Les quelques fois où il aborde la question de la mise en œuvre des règles, il semble dire que, la plupart du temps, elles ne sont pas appliquées par les enseignants, ainsi qu’on peut le voir dans le tableau 4.27. « Y’a du monde, c’est sûr qui aime ça niaiser, niaiser, niaiser […] On les laisse faire la plupart du temps. » (Chico : 670). « S’ils voient un graffiti eux autres [les adultes] ils pensent « Ah c’est juste des graffitis qui barbouillent dans l’école « , […] c’est dans leurs yeux pis ils font rien. (Chico : 342). D’ailleurs, comme nous le verrons plus loin, Chico a su profiter de l’absence de contrôle pour faire des graffitis sur les murs, de même que pour « foxer » [manquer] l’école. Le directeur serait toutefois plus rigoureux que les enseignants dans l’application des règles : « Mais le directeur, c’est lui qui [fait respecter les règles] c’est parce que t’sais il va pas laisser faire. Il vient tout le temps, il se laisse jamais faire! » (Chico : 352).

Chico observe que l’application des règles dépend, avant tout, de l’interprétation que font les enseignants du terme de respect. « Les professeurs qui veulent le laisser [les élèves porter la casquette] qu’ils le laissent. Mais si y’a des profs que genre, c’est comme un non respect pour eux autres. […] Des fois il faut que t’enlèves le chapeau vu que c’est un non-respect. » (Chico : 701).

Tableau 4.28
Améliorations attendues : Chico

Comme on le voit dans le tableau 4.28, Chico propose peu d’améliorations et celles-ci concernent l’encadrement et la qualité des relations. Il estime que l’encadrement devrait être plus strict et suggère de recourir à des sanctions plus sévères, pour dissuader les élèves d’enfreindre les règles.

Si moi je serais le directeur […], je serais là tout le temps [....] Je mettrais deux profs là pis, chaque personne qui fumerait une smoke en dedans, ben j’y mettrais comme une retenue, une suspension, des affaires de même. Comme ça, le monde à la fin, il comprendrait là. (Chico : 550).

Citant en exemple son ancienne école, il plaide en faveur d’une meilleure connaissance des élèves de la part les surveillants, ce qui permettrait d’exercer un « contrôle plus serré » (Chico : 564) et empêcherait du même coup les transgresseurs de se soustraire aux sanctions (Chico : 581).

Il explique que, chez lui, contrairement à l’école, il ne s’avise pas d’enfreindre les règles sachant que les conséquences seraient lourdes à supporter.

La différence avec mon père, pourquoi je respecte plus avec mon père qu’à l’école? Ben […] si je le respecte pas, moi j’vais avoir des vraies conséquences. […] Pis ici, si quelqu’un me dit […] t’as une retenue à soir, même pas besoin d’y aller, ils vont même pas savoir le lendemain. (Chico : 760).

Chico, qui a commis des infractions à plusieurs reprises, insiste par ailleurs, sur l’importance de connaître les lois pour être conscient des conséquences auxquelles on s’expose en les enfreignant. « Faire, faire, montrer aux jeunes que c’est les lois là, ça, faut que ça soit respecté t’sais c’est pas juste […] écrit sur papier pour rien. » (Chico : 597).

Considérant qu’une plus grande compréhension entre les élèves et les enseignants permettrait d’éviter les conflits, il en appelle à une meilleure communication entre eux.

Que les profs avec les élèves il faudrait qu’ils s’entendent comme du monde, il faudrait qu’ils se connaissent […] Plus que tu connais un professeur […], plus tu t’entends bien [avec lui]. Si tu le connais pas […], il vont tout le temps s’haïr pis ils vont pas se comprendre. (Chico : 1613).

Une meilleure compréhension passe, notamment, par plus d’écoute de la part des enseignants : « Qu’ils comprennent qu’est-ce que nous autres on pense. » (Chico : 2322). De son point de vue, les membres de la direction sont disposés à écouter les élèves. D’ailleurs, l’une de ses attentes est en voie d’être satisfaite, par le biais du projet de murale auquel il est associé et dont il parle avec enthousiasme. C’est pour lui, le moyen de faire « qu’est-ce que t’aimes, pis c’est beau, pis c’est légal ».

Les moyens qu’il suggère pour inciter les élèves à respecter les règles, consistent, notamment, à responsabiliser les jeunes et à leur aménager des espaces de manière à éviter leur désœuvrement (Chico : 1587).

Il propose également que, comme dans son ancienne école, un fumoir soit mis à la disposition des élèves, pour que ceux-ci ne soient pas « obligés » de transgresser l’interdiction de fumer (Chico : 1373).

Rapports aux règles

Tableau 4.29
Rapports aux règles Chico

Comme l’indique le tableau 4.29, Chico a un rapport aux règles qui oscille entre la volonté de se racheter et la transgression. Il a déjà à son actif un passé chargé qui lui a valu plusieurs problèmes avec la justice. Les précisions qu’il apporte au sujet des plaintes qui ont été déposées contre lui donnent à voir un adolescent peu soucieux des règles. « J’ai comme sept, j’ai six accusations de graffitis, ça c’est méfait de cinq, six mille dollars […] j’ai deux voies de fait sur une personne […] Pis les autres ça a été des vols à l’étalage. » (Chico : 2200).

S’agissant des règles scolaires, Chico les a de nombreuses fois transgressées, notamment, en profitant de l’absence de contrôle qui lui permettait de manquer impunément l’école : « Pis c’était vraiment c’était facile là le principe » (Chico : 788). « Parce que j’ai, à chaque fois que je suis pas allé à mes cours au début de l’année là, j’ai jamais eu de retenue. » (Chico : 853).

Toutefois, dans les propos qu’il tient, on comprend qu’il a décidé de se racheter. Il vient à l’école tous les jours depuis les quatre derniers mois (Chico : 823) : « C’est ça j’essaie de me rattraper parce que… J’veux pas aller plus pire que ça ; j’en ai déjà assez fait. » (Chico : 2261).

Il semble en effet, avoir concrétisé son intention de se réhabiliter depuis quelques mois et être déterminé à respecter toutes les règles qui lui sont imposées pour rétablir l’estime à son endroit. « T’sais, j’me promène plus, je reste chez nous à tous les jours. Fait que, je vais plus faire de co… [expression populaire], je fais plus ces affaires-là. » (Chico : 2270). Il reconnaît néanmoins, avoir des difficultés à se conformer aux exigences de ponctualité : « J’suis tout le temps en retard pour la classe. » (Chico : 1559).

On sent, dans ses propos que, bien qu’il dise regretter avoir commis des infractions, il tire une certaine fierté d’être « connu », dans son quartier, de « quasiment tous les prof » et des policiers « Ils savent tous je suis qui ». Il semble également fier d’appartenir à un groupe de graffiteurs, qu’il considère comme des artistes et il insiste pour dire qu’il connaît personnellement « un des plus grands […] un des meilleurs à Montréal ».

Ses rapports aux règles, on l’aura compris, sont très marqués par ses démêlées avec la justice. D’ailleurs, il fait référence à la police à diverses reprises, expliquant qu’il ne réagit plus à ce qu’il voit comme de la provocation de la part des forces de l’ordre, préférant invoquer ses droits (Chico : 2049).

Chico entretient des rapports paradoxaux aux règles. D’un côté, il manifeste à différentes reprises son intention de se racheter en respectant les règles qui lui sont imposées, d’un autre côté, il semble ne pas toujours se conformer aux règles en vigueur à l’école. D’ailleurs, il enfreint ostensiblement les règles vestimentaires, qui interdisent le port du débardeur (Chico : 1757) et du bandana. Chaque fois que nous l’avons vu, il en portait un, expliquant que, comme il se le faisait régulièrement confisquer, il en avait toujours plusieurs sur lui. « On est dans une école euh on n’est pas dans une école privée ici. Fait qu’on peut s’habiller comme on veut. C’est ça l’affaire. Peut pas t’obliger à changer ton style! » (Chico : 1479).

Bien qu’une partie importante de l’entretien n’ait pas porté sur notre objet, les éléments que nous en retirons permettent de répondre aux objectifs spécifiques de cette recherche : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Chico semble considérer que le respect des adultes et la qualité de l’environnement sont les principales raisons d’être des règles (1er objectif).

Il aborde peu la question de la mise en œuvre, sinon pour constater l’absence d’intervention des enseignants. On comprend dans ses propos que, s’il avait bénéficié d’un encadrement plus strict, il n’aurait peut-être pas commis les actes qui lui ont valu tant de problèmes (2ème objectif).

De son point de vue, les enseignants devraient exercer plus de contrôle sur les élèves qui ne se conforment pas aux règles, en appliquant des sanctions plus sévères. Il pense par ailleurs, qu’il y aurait moins de conflits si la communication était améliorée entre les jeunes et les adultes. Ces derniers devraient pour cela, essayer de comprendre les élèves (3ème objectif).

Comme nous venons de le voir, Chico a un passé chargé de transgressions des règles et d’infractions aux lois. Il raconte, avec un brin de nostalgie et une certaine fierté, l’époque où il faisait partie d’une « bande » de graffiteurs. Désireux de se racheter, Chico se dit prêt à se soumettre aux règles ce qu’il a, de toute évidence, du mal à mettre en pratique.

L’enveloppe contenait les lettres de consentement (voir appendice F) ainsi qu’une fiche de renseignements.

Cet extrait, comme les suivants qui n’apparaissent pas dans le tableau, ne sont donc pas référencés, mais nous les avons conservés parce qu’ils permettent de mettre en perspective les reste des propos.