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4.2.3.7 Joe-Binette (7)

Joe-Binette projette l’image d’une jeune fille à la fois dynamique et posée. Préférant consacrer son temps aux études, elle n’occupe pas d’emploi. Elle est d’ailleurs vue comme une « bonne élève » par son professeur de morale qui ajoute qu’elle ne pose aucun problème. Joe-Binette est impliquée dans la préparation de l’album des finissants et jouit, à ce titre, d’autorisations spéciales pour s’absenter de certains cours, afin de s’occuper de ce dossier qui semble lui tenir à cœur. La façon dont elle parle de la gestion de cet événement laisse penser que Joe-Binette a un bon sens de l’organisation ; toutefois, elle a perdu le formulaire d’autorisation des parents que nous avons dû lui redonner.

Tableau 4.30
Raisons d’être des règles : Joe-Binette

Ainsi qu’on peut le lire dans le tableau 4.30, les raisons d’être des règles que mentionne Joe-Binette renvoient surtout à la réussite et au contrôle. Dès le début de l’entretien, elle prend le soin d’établir une distinction entre les règles dont elle saisit le bien-fondé et celles dont elle ne comprend pas la raison d’être. Les règles injustifiées à ses yeux sont celles qui concernent la tenue vestimentaire, notamment, l’interdiction ce porter une casquette une fois les cours terminés. « Y’en a qui ont pas rapport t’sais, comme quand ils disent que t’as pas l’droit de casquette. J’veux dire, dans l’école… Dans les corridors ça dérange pas. […] C’est […] pour ça que j’trouve qui ont pas d’allure! » (Joe-Binette : 27).

Parmi les règles légitimes à ses yeux, viennent, en premier lieu, celles qui favorisent la réussite « améliorent la classe » (Joe-Binette : 908) et « facilite à apprendre » (Joe-Binette : 50) en favorisant un bon fonctionnement sans lequel il devient impossible d’étudier. « Si admettons t’as pas cette règle là […] tu peux pas faire un cours, t’sais. Il faut que la classe se tienne debout! » (Joe-Binette : 52). « Si t’as pas ça [des règles], ça ne marche pas. Si tu parles en même temps que le prof, tu pourras pas apprendre […], tu pourras pas avoir des bonnes notes, ça s’enchaîne tout de même. » (Joe-Binette : 613).

Les règles qui garantissent le respect entre les personnes et la tranquillité de chacun sont à la base de toutes les autres règles parce qu’elles interdisent tout ce qui pourrait « déranger les autres » (Joe-Binette : 935). C’est le cas des règles de prise de parole en classe.

[Le respect], c’est la base des règles en fin de compte. Parce que les autres c’est comme juste des petites branches […] il faut que tu lèves la main avant de parler, faut pas que tu parles en même temps que le prof. Ça, c’est comme la base. (Joe-Binette : 901).


Tableau 4.31
Mise en œuvre : Joe-Binette

À la lecture du tableau 4.31 on constate que, pour Joe-Binette, la mise en œuvre des règles est rarement effective. Elle déplore que les règles soient appliquées différemment selon les élèves, au profit de ceux qui ont le plus de problèmes de discipline. « Ils vont être plus tolérant avec lui [celui qui niaise] qu’avec celui que c’est la première fois qu’il le fait. […] Ça n’a pas rapport, ça devrait être le contraire. » (Joe-Binette : 483).

Elle ne comprend pas pourquoi les règles changent selon que les élèves sont en classe ou ailleurs dans l’école.

Ils donnent une règle que t’as le droit pis après il dit t’as plus le droit… […] Tu traverses la porte t’as plus le droit! […] Fait que c’est un petit peu bizarre comme règle. C’est pour ça que je dis que c’est mauvais, parce que t’en mets une qui contredit une autre. (Joe-Binette : 229).

Elle explique que les règles changent d’un enseignant à l’autre et que cela crée de la confusion chez les élèves. « Y’en a qui disent pas de gomme mais y’en a qui disent de la gomme fait que là, t’arrives pis là à moment donné t’es mélangé, tu sais plus c’était quel prof qui voulait. » (Joe-Binette : 853).

Elle note toutefois que certains enseignants sont capables de faire respecter les règles. « T’sais comme en musique nous autres le prof il fait « Tu fais ça, tu fais ça pis si t’es pas content, sors! « là, c’est clair. Pis y’a pas personnes qui niaisent, on est tous correct. » (Joe-Binette : 95). L’application des règles dépendrait donc avant tout des adultes et de leur capacité à se faire respecter.

À en juger par les propos de Joe-Binette, les règles qu’elle estime être importantes, parce que sensées garantir un fonctionnement approprié pour étudier, ne sont pas respectées la plupart du temps (Joe-Binette : 59). Or, il ne suffit pas qu’il y ait des règles, encore faut-il les appliquer. « Parce c’est bien beau qu’elles soient là, mais faut qu’il y ait quelqu’un qui les fasse appliquer! » (Joe-Binette : 368). Plusieurs enseignants semblent incapables de faire régner la discipline dans leur classe qui devient un lieu de désordre. « On a une couple de cours, on s’pitchait [jetait] des papiers pis des effaces, pis y’en a qui faisaient un débat sur euh, en tout cas c’est des affaires pas rapport. » (Joe-Binette : 97).

Elle déplore le fait que certains professeurs n’interviennent pas auprès d’élèves qui dérangent les autres, au motif qu’ils ont de bons résultats. Cette absence d’intervention pénalise, selon elle, ceux qui veulent réussir.

Il [un élève] parle tout le temps pis le prof, on lui a dit « Hey! Dis lui! Nous on y dit d’arrêter de parler, ça marche pas! Fait quelque chose avec! ». Elle dit « C’est pas grave […] y’a des bonnes notes pareil ». Lui y’a des bonnes notes, mais nous autres, on n’a pas des bonnes notes parce qu’on n’est pas capable d’écouter. (Joe-Binette : 450).

Elle reproche également au directeur de ne pas prendre les mesures nécessaires pour empêcher les élèves de faire des graffitis, ce qui représente, à ses yeux, une invitation à la transgression. Si des élèves peuvent enfreindre les règles impunément, les autres se disent qu’ils peuvent en faire autant : « On a bien le droit de le faire nous autres aussi » (Joe-Binette : 531).

Elle explique que quand les élèves se rendent compte que les transgression n’entraîne pas de conséquences, ils sont incités à enfreindre règles. « Là c’est rendu qu’il y a plus de règles pantoute! » (Joe-Binette : 411).

Elle insiste à plusieurs reprises sur le manque de constance : à mesure que les mois passent, les enseignants deviennent plus permissifs. Les élèves, comptant sur ce relâchement prévisible, ont vite tendance à ne plus tenir compte des règles (Joe-Binette : 318). « À la fin de l’année, les règles sont moins serrées, c’est tout lousse pis tout le monde fait qu’est-ce qu’il veut. » (Joe-Binette : 328).

Parce que les élèves, comme quand ça fait la première année que t’es là tu le remarques pas trop mais t’sais, quand ça fait cinq ans que t’es à la même école, là tu le vois tu fais « Hey! O.K. Après Noël on peut faire ça […] ça marche » là t’sais. Fait que c’est stupide dans ce sens là. (Joe-Binette : 358).

Tableau 4.32
Améliorations attendues : Joe-Binette

Le tableau 4.32 indique clairement que les principales améliorations suggérées par Joe-Binette, concernent l’encadrement qu’elle souhaiterait voir plus rigoureux : « Faut que le prof il la tienne, sa classe » (Joe-Binette : 115). Pour elle, des règles sans discipline « ça marche pas. » (Joe-Binette : 463).

Parce qu’il faut qu’il y ait un certain ordre, faut que le prof il gère la classe […] qu’il mette juste un p’tit peu de discipline, pas crier la police, mais […] plus qui leur montre que c’est ça qu’il faut faire. Pis si ils font pas ça, ben ils vont s’en aller, ou qui va arriver quelque chose. Parce que sinon, y’a personne qui va écouter. (Joe-Binette : 82).

Elle enjoint aux adultes d’identifier les fauteurs de trouble, expliquant que « quand il y’en a un qui conte une joke, pis que tout le monde part à rire », les enseignants punissent ceux qui rient au lieu de sanctionner le « leader » alors que « c’est celui là qui a conté la joke, c’est pas les autres. » (Joe-Binette : 763). « Tout le monde parle dans la classe, pis là il va pogner n’importe qui, pis il va le renvoyer, juste parce qu’il veut renvoyer quelqu’un […] Au lieu d’envoyer la personne qui niaise le plus. » (Joe-Binette : 753).

Elle insiste sur la nécessité de constance dans la mise en œuvre des règles, à défaut de quoi les élèves sont incités à les ignorer. En effet, si des règles que personne ne respecte sont néanmoins maintenues dans le règlement, cela indique qu’il est acceptable de transgresser les règles en vigueur (Joe-Binette : 261). Ce constat la conduit à des suggestions d’amélioration en matière de stabilité : « On dirait les règles sont tout le temps plus lousses, faudrait qu’elles soient tout le temps pareilles, tout le long de l’année! » (Joe-Binette : 354).

À l’échelle de la classe, elle estime que c’est à l’enseignant que revient la responsabilité de faire régner la discipline et, pour asseoir son autorité, le recours à la menace d’exclusion peut être un moyen efficace. « Il dit si tu le fais pas, j’te sors de mon cours, si y’a quelqu’un que ça fait pas son affaire il dit « arrête de faire ça ou tu sors, tu t’en vas, pis tu reviens plus de l’année ». T’sais fait qui y’a personne qui veut sortir, pour toute l’année. » (Joe-Binette : 170).

C’est également à l’enseignant que reviennent les décisions quant au fonctionnement de la classe. Il ne doit, en aucun cas, céder une partie de cette responsabilité aux élèves, à défaut de quoi, il lui sera impossible de se faire respecter.

Ben c’est ça il faut qu’il montre que c’est lui le prof pis que c’est lui qui décide. […] faut que tu saches que c’est lui […] Pas qu’il soit supérieur, mais c’est juste que c’est lui qui dirige, sinon, tout le monde veut lui embarquer sur la tête pis ça fera rien (Joe-Binette : 124).

Joe-Binette, qui réitère plusieurs fois sa demande de rigueur, ne souhaite pas néanmoins que les sanctions soient plus sévères en cas de manquement aux règles, mais que celles qui sont prévues soient vraiment appliquées. (Joe-Binette : 404). Cependant, la conformité aux règles ne devrait pas reposer sur la crainte des sanctions, mais sur le respect qu’inspire l’enseignant : « Avant de respecter les règles il faut que le prof se fasse respecter. Fait que si tu respectes pas le prof tu respecteras pas les règles du prof. Fait que ça a toujours rapport avec le prof. » (Joe-Binette : 179)

Elle décrit l’enseignant qui se fait respecter des élèves comme étant à la fois ferme dans les décisions qui lui reviennent, et respectueux des élèves qu’il ne considère pas comme des êtres inférieurs. En d’autres termes, l’adulte doit se mettre à la hauteur des élèves sans pour autant démissionner devant ses responsabilités d’éducateur.

Le prof s’il se pense plus supérieur aux autres […], c’est sûr y’a personne qui va le respecter […] Pas qu’il soit trop haut, ni égal parce que si il dit qu’il est égal à tous les élèves « O.K. si t’es comme nous autres, on peut faire, on peut décider à ta place ». (Joe-Binette : 196).

On comprend dans ses propos que l’enseignant qu’elle donne en exemple pour sa capacité à « tenir sa classe » fait, par ailleurs, preuve d’une certaine souplesse tant que les élèves ne dérangent pas le déroulement du cours. (Joe-Binette : 143). Du reste, pour avoir des chances d’être respectées, les règles ne doivent pas être trop sévères et tenir compte de la réalité des élèves (Joe-Binette : 273). Elle estime que, si les règles sont trop nombreuses, plus personne n’en tient compte, alors qu’il suffirait de s’en tenir aux grandes lignes : « Tu checkes juste les grosses lignes, genre violence » (Joe-Binette : 659).

Sans utiliser le ton de la revendication, Joe-Binette regrette que les élèves n’aient pas davantage de poids dans les décisions relatives aux règles. Elle explique que, même si deux élèves siègent au Conseil d’établissement, ils ne peuvent pas vraiment influencer les choix faits par les adultes. (Joe-Binette : 683). Pour contrer le déséquilibre qu’elle observe, elle suggère la parité au sein du Conseil d’établissement.

Ben faudrait au moins qu’il y ait la moitié du conseil d’établissement que ce soit des élèves, pour que ce soit plus équitable. […] Mais, t’sais faut que ce soit plus juste, faudrait que ce soit égal entre les deux partis. (Joe-Binette : 822).

À la fin de l’entretien, elle exprime le souhait de pouvoir s’exprimer sans subir de censure, comme cela est déjà arrivé aux rédacteurs du journal étudiant : « le directeur a retenu la sortie du journal parce que y’était pas d’accord avec qu’est-ce que des élèves disaient dedans. » (Joe-Binette : 1101).

J’trouve que c’est l’fun de pouvoir parler de ce que tu penses j’veux dire on te demande pas souvent ce que tu penses des affaires qui sont déjà établies t’sais. Ils vont dire que ça c’est de même pis t’as rien à dire t’sais. (Joe-Binette : 1090).

Tableau 4.33
Rapports aux règles Joe-Binette

Comme on le voit dans le tableau 4.33, Joe-Binette fournit peu d’éléments nous renseignant sur le rapport qu’elle entretient avec les règles. On comprend toutefois dans ses propos qu’elle se distingue de ceux qu’elle considère comme des « rebelles » et qui refusent toute règle (Joe-Binette : 437). D’ailleurs elle dit n’avoir jamais été « convoquée chez le directeur » pour avoir transgressé une règle (Joe-Binette : 720). Elle explique néanmoins que quand l’enseignant n’est pas capable de contrôler les quelques élèves qui dérangent la classe en parlant, les autres, y compris elle, finissent par se mettre de la partie.

C’est sûr que quand tout le monde niaise, tout le monde parle c’est sûr que le prof est pas capable […] À moment donné, on s’est écœuré, on s’est dit ça donne rien, pis là on commence à niaiser nous autres aussi. (Joe-Binette : 1006).

Comptant sur le relâchement prévisible dans l’application des règles, elle s’autorise à enfreindre les règles vestimentaires.

T’sais t’as pas le droit de chandail bedaine sauf que moi depuis le début de l’année j’en portais pareil pis là, au début de l’année je me faisais avertir, pis là rendu après Noël là, Ah! Plus un prof m’avertit!. (Joe-Binette : 341).

L’entretien avec Joe-Binette a permis d’atteindre les objectifs spécifiques que nous nous étions fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Pour elle, les règles existent avant tout pour permettre un fonctionnement propice aux études. Dans cette perspective, le respect des autres, qui constitue la règle de base, consiste à ne pas les déranger afin qu’ils puissent se concentrer sur leur travail. Il est toutefois des règles dont elle ne comprend pas la justification (1er objectif).

Elle insiste longuement sur le manque de rigueur des enseignants dans la mise en œuvre des règles qui pénalise les élèves qui veulent étudier (2ème objectif).

D’ailleurs, les améliorations qu’elle suggère vont, pour la plupart, dans ce sens. De son point de vue, l’enseignant, qui a la responsabilité de garantir un bon fonctionnement en imposant ses décisions, doit avant tout gagner le respect des élèves, ce qui passe par un juste dosage d’autorité et de souplesse. Fermeté et constance devraient finalement guider la mise en œuvre. Elle souhaiterait également que les élèves puissent faire valoir leur point de vue au sujet des règles, mais elle ne fait pas de ce point une revendication (3ème objectif).

Joe-Binette, qui ne semble pas avoir de problème de discipline, explique que quand un professeur n’est pas capable de se faire respecter par quelques perturbateurs, tous les élèves y compris ceux qui, comme elle, aspirent à un climat de travail, finissent par se joindre au groupe pour chahuter.