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4.2.3.8 Rimbo-Moutarde (8)

Le jour de la présentation du projet de recherche au groupe classe, Rimbo-Moutarde, qui était installé au premier rang, lisait ostensiblement une revue sur les automobiles, ne prêtant apparemment aucune attention à ce qui était dit. Le professeur l’a rappelé à l’ordre à quelques reprises avant qu’il obtempère et ferme le magazine en bougonnant. Rimbo-Moutarde, qui a 17 ans au moment de l’entretien, semble avoir un contentieux avec le professeur de morale qui le voit comme un élève intelligent, mais aussi comme un « élément perturbateur ». D’ailleurs, le jour de l’entretien individuel, il venait de se faire mettre à la porte du cours par ce même enseignant. Rimbo-Moutarde, qui est dans un « foyer enrichi », projette d’aller en génie mécanique. Il travaille de 25 à 30 heures par semaine dans un magasin, il n’a donc pas beaucoup de temps pour étudier. Malgré cela, il semble obtenir de bons résultats scolaires, aux dires du directeur de niveau.

Tableau 4.34
Raisons d’être des règles : Rimbo-Moutarde

Comme l’indique le tableau 4.34 Rimbo-Moutarde ne comprend pas toujours la raison d’être des règles et celles dont il saisit le bien-fondé concernent essentiellement la qualité de vie dans l’école.

Les règles elles sont là pour que notre environnement soit […] mieux pis qu’on ait un bien-être pis tout ça, que ça soit pas l’anarchie finalement…Sauf que dans un autre sens, oui, mais sans qu’il y ait d’exagération non plus. (Rimbo-Moutarde : 44).

Il entend par exagération l’édiction de règles qui n’apportent pas de solution à un problème qui se pose réellement : « mettre une règle [il faut] que ça soit un moyen pour éliminer un problème » (Rimbo-Moutarde : 58). Or, dans certains cas, les règles compliquent plus qu’elles ne facilitent la vie des élèves. Il donne l’exemple d’un règlement qui oblige les élèves à entrer dans l’école par la porte principale, « fait que tout le monde est obligé de faire le tour, tout ça, y’a mis un règlement pour ça. J’trouve ça un p’tit peu niaiseux. (Rimbo-Moutarde : 61).

Rimbo-Moutarde estime toutefois que certaines règles sont incontournables car, déplore-t-il, certains élèves détériorent sciemment l’environnement dans lequel ils passent pourtant une grande partie de leur temps. « Parce que si on respecte son environnement on se respecte soi-même aussi. C’est aussi simple que ça » (Rimbo-Moutarde : 280)

C’est sûr qu’il y a des règles qui sont respectables, qu’on peut respecter pis que y’a aucun problème là-dessus là […] Ben, la dégradation de l’environnement, tout ce qui a rapport à péter quelque chose dans l’école, voler des choses dans l’école, faire des graffitis ces choses là (Rimbo-Moutarde : 260).

Bien qu’il reconnaisse le bien-fondé de certaines règles, il considère que la plupart sont avant tout édictées pour servir les intérêts des adultes et non, comme ce devrait être le cas, celui des élèves « Ben ça sert aux professeurs pas à nous, dans un sens » (Rimbo-Moutarde : 395). Il voit même dans les règles un moyen, pour les adultes d’abuser de leur pouvoir. « [les règles servent] Juste, pour la discipline dans le fond. Faire la discipline pis pour montrer qu’ils ont un pouvoir sur la classe. (Rimbo-Moutarde : 401).

À ses yeux, les règles devraient avant tout garantir le respect mutuel entre les personnes et, si tel était le cas, « il n’y aurait pas de problème ». (Rimbo-Moutarde : 288).

Tableau 4.35
Mise en œuvre : Rimbo-Moutarde

Comme on le voit dans le tableau 4.35, Rimbo-Moutarde évoque très peu la question de la mise en œuvre des règles sinon pour constater des lacunes. « Y’a un problème, y’a des lacunes c’est sûr pis juste dans la façon qui sont appliquées pis tout ça, c’est sûr qu’il y a des lacunes » (Rimbo-Moutarde : 177). Il insiste sur ce point « C’est sûr que l’impression générale là, moi j’trouve que c’est pas bien géré au niveau règlement pis tout ça à l’école » (Rimbo-Moutarde : 122).

À en juger par ses propos, les règles ne sont jamais mises en œuvre de façon adéquate et les enseignants ne savent pas comment user correctement de leur pouvoir.

Ben des fois y sont appliquées en outrance pis des fois y sont pas appliquées quand y devraient être appliquées. Ça dépend des situations, mais y’a des professeurs qui font des abus de pouvoir pis y’en a qui savent pas comment utiliser le pouvoir pis qui font rien. (Rimbo-Moutarde : 196).

Tableau 4.36
Améliorations attendues : Rimbo-Moutarde

Ainsi qu’on peut le lire dans le tableau 4.36, les améliorations attendues par Rimbo-Moutarde concernent essentiellement la participation des élèves à l’élaboration des règles. Dès le début de l’entretien, il se plaint de l’absence de consultation des élèves en ce qui a trait aux règlements qui sont sensés servir leurs intérêts.

Ben, par rapport aux règlements […] les élèves y’ont pas grand chose à dire. C’est le directeur et les professeurs qui décident les règles. C’est sûr que c’est pour les élèves sauf que en tant que tel […] si c’est pour qu’on soit mieux dans notre école pis qu’on soit bien […] pourquoi on pourrait pas dire notre propre opinion aussi? C’est comme mis à notre écart pis c’est « vous faites ça pis c’est ça ». (Rimbo-Moutarde : 28).

Il estime que toutes les personnes concernées devraient être associées au processus d’élaboration des règles

Ben faudrait que tout le monde s’assit, pas juste les professeurs, les parents, le directeur et les élèves, pis qu’il y ait un consensus pis que tout le monde décide qu’est-ce qu’ils veulent pis qu’est ce qu’ils veulent pas. (Rimbo-Moutarde : 129).

Si les élèves pouvaient participer aux décisions au sujet des règles, ils les respecteraient. Rimbo-Moutarde insiste sur ce point à plusieurs reprises, considérant que « les règles seraient pas stupides si tout le monde pouvait participer » (Rimbo-Moutarde : 134). « Si la plupart des personnes ont leur mot à dire, il va au moins avoir plus que le trois quart du monde qui vont respecter parce qui vont dire « Ah c’est cool, on a eu notre mot à dire pis là dedans « » (Rimbo-Moutarde : 614).

De son point de vue, certains règlements sont incohérents, ce qui pourrait être évité. Il souligne, par exemple des incohérences dans l’application des sanctions qui peuvent encourager les élèves à s’absenter pour éviter une retenue.

Comme le règlement par rapport aux retards et retenues. Si on arrive en retard on a une retenue, mais si on est absent mettons une dizaine de fois, on n’aura jamais rien pis c’est juste des absences. Alors je trouve ça c’est comme y’a une lacune à ce niveau là. Si j’veux pas avoir de retenue, moi j’suis ben mieux de pas me présenter à mon cours pis y’aura aucune conséquence. (Rimbo-Moutarde : 87).

S’il accepte l’idée selon laquelle les règles sont avant tout destinées aux élèves, c’est, comme nous venons de le voir, dans la perspective d’une prise en compte de leur intérêt mais, même si les élèves sont les premiers destinataires des règles, cela ne devrait pas dispenser les adultes de les respecter, tel que cela semble être le cas. « [les règles] Sont placées pour que les professeurs puissent agir de cette façon là dans tel cas, pas pour que les élèves […]. Fait que c’est comme faites pas ça mais […] les professeurs peuvent le faire. » (Rimbo-Moutarde : 384).

À travers ce que dit Rimbo-Moutarde, on devine un sentiment d’impuissance face aux décisions relatives aux règles.

Comme j’disais les élèves sont pas consultés pis tout ça fait que y’ont pas leur mot à dire […] Même si moi j’ai quelque chose à me plaindre sur les règles de l’école pis j’vais voir le directeur pis j’dis « ça l’a pas d’allure » […] on peut en parler au directeur pis tout ça mais même à ça, ça changera rien (Rimbo-Moutarde : 339).

Ce sentiment d’impuissance et de fatalisme, qu’il manifeste également à l’endroit des enseignants, pourrait bienêtre à l’origine de son ressentiment à l’égard des adultes qui, à ses yeux ont tout pouvoir. « Parce que même que l’élève fasse n’importe quoi, si le professeur décide quelque chose, c’est ça qui va se passer. C’est comme le patron de la classe. Tu peux pas décider » (Rimbo-Moutarde : 503).

En effet, même si les élèves peuvent s’expliquer en cas de conflit avec un enseignant, Rimbo-Moutarde pense que les adultes finissent toujours par leur donner tort (Rimbo-Moutarde : 520). Ce constat d’impuissance s’accompagne d’une demande de reconnaissance qu’il réitère. « Franchement c’est les professeurs qui dirigent les élèves, tandis que ça devrait plus être un… pas moitié-moitié mais comme en harmonie » (Rimbo-Moutarde : 828) Cette demande de reconnaissance passe par la prise ne compte de la maturité psychologique des élèves qui, à cet âge, aspirent à l’autonomie.

Ben moi, j’vois mon évolution psychologique que j’aie eue de secondaire I à secondaire 5 pis j’trouve [que] t’as plus de responsabilités fait que t’es plus capable de décider pour toi-même en vieillissant. Pis ça ça fait que tu ne veux pas vraiment que le monde te dise quoi faire. (Rimbo-Moutarde : 676).

À la fin de l’entretien, Rimbo-Moutarde conclut en lançant un appel au changement.

Faut que ça change! […] N’importe quoi pour que ça change. Pas tout là y’a des choses qui sont quand même là pis qui peuvent rester, mais les autres choses qu’il faudrait ajuster, pis vraiment. (Rimbo-Moutarde : 843).

Tableau 4.37
Rapports aux règles : Rimbo-Moutarde

À la lecture du tableau 4.37 on voit clairement que Rimbo-Moutarde entretient des rapports d’opposition vis-à-vis d’un certain nombre de règles, qu’il trouve, par ailleurs, « faciles à contourner » (Rimbo-Moutarde : 531). Il est intéressant de revenir sur les éléments de sa carte conceptuelle qui sont évocateurs de la façon dont Rimbo-Moutarde voit les règles à l’école : « Dictature, stupide, contradictoire, enlève du bien-être aux élèves, irréfléchie, sans le consentement des élèves, échappatoire, donne toujours raison aux professeurs, mettent des balises (faciles à briser) ». On comprend aisément à travers ses propos qu’il a développé des stratégies de contournement pour enfreindre les règles sans être inquiété.

Trouver des façons de contourner les règles. C’est super facile. Pis n’importe qui va vous l’dire. […] De même, c’est sûr que n’importe quel élève peut trouver une façon de contourner la règle pis d’avoir qu’est-ce qu’il veut sauf que […] il défie l’autorité aussi. (Rimbo-Moutarde : 446).

Il illustre son propos par plusieurs exemples, comme cacher son manteau pour ne pas le mettre au vestiaire ainsi que cela est prescrit : « Le manteau dans la classe, [tu as] juste [à] mettre le manteau dans son sac ou bien le cacher » (Rimbo-Moutarde : 476) ; ou feindre un mal de ventre pour obtenir une autorisation de quitter l’école. « T’as un papier signé du professeur, tu t’en va au secrétariat, le secrétariat te signe un papier pis tu t’en vas chez toi. Pis c’est aussi simple que ça. » (Rimbo-Moutarde : 464).

Rimbo-Moutarde dit avoir beaucoup de mal à respecter ce qu’il appelle « la règle du silence » (Rimbo-Moutarde : 557).

J’ai toujours parlé beaucoup pis que n’importe quel professeur me l’dise, j’vais continuer à parler tout le temps c’est comme ça que j’suis, pis j’ai toujours été comme ça. Fait que cette règle-là est très difficile pour moi à respecter. (Rimbo-Moutarde : 541).

De toute évidence, Rimbo-Moutarde n’est pas un élève docile; il dit d’ailleurs avoir eu beaucoup de problèmes de discipline : « J’ai été renvoyé d’une école, d’un collège, à cause de ça [des problèmes de discipline] » (Rimbo-Moutarde : 720). Il raconte que, pour échapper à des règles trop strictes, il a provoqué les enseignants pour se faire renvoyer d’un établissement scolaire.

J’aimais plus cette école là justement à cause de la discipline qui régnait là bas. C’était une discipline assez dictatatoriale [Rires]. […] Fait que moi j’trouvais que ça me convenait pas, […] Fait que j’ai décidé de changer d’école pis vu que j’avais des assez bonnes notes à l’école, j’ai décidé de me faire un p’tit peu de fun […] pis ils m’ont renvoyé pour ça. [Rires] (Rimbo-Moutarde : 740).

À en juger par le ton qu’il emploie, on peut supposer que Rimbo-Moutarde fait partie des élèves qui expriment haut et fort les revendications qu’ils veulent adresser à la direction. En effet, de son point de vue, pour que les demandes des élèves soient prises en considération, ceux-ci doivent exercer des pressions, notamment par le biais du journal étudiant (Rimbo-Moutarde : 353).

Les éléments contenus dans les propos de Rimbo-Moutarde permettent d’atteindre les objectifs spécifiques fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Bien qu’il considère plusieurs règles comme injustifiées, il estime que certaines sont incontournables, comme celles qui permettent de résoudre de vrais problèmes (1er objectif).

Il n’aborde presque pas la question de la mise en œuvre des règles excepté pour souligner son inadéquation (2ème objectif)

Par contre, il insiste tout au long de l’entretien sur l’absence de considération pour les élèves, tant de leurs intérêts que de leurs points de vue. La revendication est claire : les élèves doivent pouvoir participer à l’élaboration des règles sensées servir leurs intérêts ; faute de quoi ils ne les respecteront pas (3ème objectif)

Rimbo-Moutarde se présente comme un adolescent quelque peu contestataire, voire provocateur dans certains cas. Considérant qu’il a acquis la maturité nécessaire pour être responsable de ses actes, il estime ne pas avoir à se « faire dire quoi faire ». Ses propos donnent par ailleurs à penser, qu’il contourne aisément les règles qui le dérangent, ou que plus simplement qu’il les transgresse quitte à en subir les conséquences.