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4.2.3.9 Dizine (9)

Dizine qui a 17 ans au moment de l’entretien est originaire de l’Iran, d’ailleurs, le pseudonyme qu’elle a choisi est le nom d’un lieu de regroupement dans ce pays dont elle parle avec un peu de nostalgie à plusieurs reprises au cours de l’entretien.

Lors de la présentation du projet, elle était assise à côté de Doktar-Irouni, qui s’est également portée volontaire pour collaborer à cette recherche. Avant de réaliser sa carte conceptuelle, elle a échangé en iranien avec son amie. Les similitudes entre les cartes conceptuelles de ces deux répondantes laissent penser que leurs échanges portaient sur ce point. On retrouve en effet, les mêmes éléments d’une carte conceptuelle à l’autre comme l’illustrent les deux colonnes suivantes.

La voix douce et posée de Dizine donne à penser qu’elle est une personne calme et réservée, c’est également ce que semble présumer la directrice de niveau qui dit de Dizine qu’elle est « une fille bien ».

Au début de l’entretien, Dizine est très descriptive et c’est sur un ton neutre qu’elle énumère les règles en vigueur. Elle explique les dispositifs de surveillance mis en place sur un ton impersonnel puis, progressivement elle se détache de la description pour donner un point de vue à la fois plus personnel et plus critique, comme nous le verrons plus loin.

Tableau 4.38
Raisons d’être des règles : Dizine

Comme on le voit dans le tableau 4.38, la qualité de vie et le contrôle, sont pour Dizine la principale raison d’être des règles. Vient d’abord la sécurité (Dizine : 86), c’est d’ailleurs le premier mot qu’elle se rappelle avoir écrit sur sa carte conceptuelle (Dizine : 16). Elle dit accorder de l’importance à cette dimension des règles : « Pour moi l’important c’est la sécurité de l’école parce que si y’a pas de sécurité je sais pas euh on est pas confortable dans l’école. » (Dizine : 65). Elle revient sur ce point à diverses reprises : « Les gardes de sécurité. Ça c’est quelque chose qu’on n’avait pas dans mon pays et ici c’est, je trouve que c’est bon. » (Dizine : 454).

Pour Dizine, les règles servent également à assurer le respect entre les personnes (Dizine : 172). « Ben par rapport au respect c’est comme être gentil avec vous comme je sais pas, ne pas dire des mauvais mots, quand ils sont en train de parler ne les pas […] interrompre. Ou comme « soit pas raciste là! « ». (Dizine : 182).

Elle évoque également le respect de l’environnement qu’elle considère comme quelque chose d’important. « Ça je pense c’est important pour l’environnement de l’école. » (Dizine : 551). « Je pense que la propreté c’est la première [règle]. On pourrait pas vivre dans un milieu qu’est sale. […] Ça nous convient ce milieu, alors on le garde propre. » (Dizine : 922).

Dizine dit être d’accord avec la plupart des règles, y compris le code vestimentaire, même si elle n’en comprend pas toujours le bien-fondé. « Moi je pense que ça c’est correct. Parce que l’école c’est pas un endroit pour porter ces vêtements-là. Ça c’est comme pour les discothèques… on vient à l’école pour apprendre. » (Dizine : 160). « On n’est pas supposés de porter des casquettes je sais pas la raison. Euh je pense que c’est pour le respect je sais pas. » (Dizine : 118).

Si, au début, elle emploie un ton plutôt neutre, au fil de l’entretien, elle devient plus critique vis-à-vis des règles qu’elle ne comprend pas (Dizine : 401). « Y’a des règles qui sont vraiment… je sais pas, je trouve pas qu’elles sont logiques […] Mais y’a des règles qui sont correctes qui devraient être là et des règles qui devraient pas être là. » (Dizine : 389).

Tableau 4.39
Mise en œuvre : Dizine

Dizine aborde peu la mise en œuvre des règles, comme l’indique le tableau 4.39. Ses propos laissent penser que certaines règles, telles les règles vestimentaires, sont effectivement appliquées. (Dizine : 153). Par contre les exemples qu’elle donne pour illustrer le manque de respect de certains élèves vis-à-vis des enseignants semblent indiquer que les règles ne sont pas toujours appliquées de façon aussi rigoureuse que le code vestimentaire (Dizine : 210).

Ben quand on est dans la classe comme le prof est en train de parler là y’a un élève, […] qui lance des petits bouts de papier ; ça je trouve que c’est pas de respect quand le prof est en train de parler. Il dit des mauvais mots ou parler dans le dos des profs. (Dizine : 222).

Au dire de Dizine, certains enseignants autoriseraient les élèves à écouter leur baladeur en classe pour éviter qu’ils parlent et dérangent les autres.

On n’est pas supposés écouter la musique dans la classe, mais y’a des enseignants qui laissent. […] comme si y’a un élève qui est entrain de parler, le prof pour le faire comme être silencieux, il dit « ok écoute ton baladeur met-le moins fort » (Dizine : 346).

Dizine observe que les règles varient d’un enseignant à l’autre, sans toutefois s’en plaindre (Dizine : 172). Elle se plaint, par contre, du fait qu’un même enseignant puisse appliquer les règles différemment selon les élèves, d’autant qu’elle semble être la cible quand l’enseignant met un élève à la porte. « Les profs des fois y’ont […] des chouchous. […] Euh si leur chouchou est en train de parler il dit rien, mais si moi je commence à parler il va me mettre dehors à la porte. Ça, ça arrive souvent. » (Dizine : 267).

Alors que les élèves les plus perturbateurs ne sont pas inquiétés, elle s’est faite renvoyer pour quelques mots échangés avec sa voisine. Elle semble considérer que les élèves sont parfois victimes de la mauvaise humeur et du manque de discernement de l’enseignant qui devrait plutôt sanctionner les élèves qui perturbent volontairement le déroulement du cours et dérangent tout le monde.

Comme je vais parler une fois pour […] demander pour un crayon, le prof me voit et me met dehors, parce que […] il est pas de bonne humeur. […] Y’a des élèves qui lancent des petits bouts de papiers et qui dérangent tout le monde, ça je pense que ça devrait être sorti [de la classe]. (Dizine : 751).

Ces constats s’accompagnent de suggestions d’amélioration qu’il convient maintenant de présenter.

Tableau 4.40
Améliorations attendues : Dizine

Comme on le voit dans le tableau 4.40, les améliorations attendues par Dizine concernent principalement la participation des élèves à l’élaboration des règles. Elle regrette que les élèves ne soient pas consultés (Dizine : 667).

C’est les adultes qui décident ça va être quoi les règles, mais ils demandent pas aux élèves […] qu’est-ce que vous voulez comme règles dans l’école ou qu’est-ce que vous voulez pas? Qu’est-ce que vous pensez? J’pense que ça serait préférable d’aller un peu avec les élèves, d’avoir leurs idées aussi, pas seulement l’idée des adultes. (Dizine : 568).

Avant d’être édictées, les règles devraient faire l’objet de discussions entre les adultes et les élèves de manière à tenir compte des différents points de vue.

Je pense que […] c’est une relation entre les deux entre la direction et les élèves. C’est une communication entre les deux qu’il faudrait avoir. Alors eux ils peuvent discuter par rapport à des réponses qu’ils ont des différents côtés. Comme un échange. (Dizine : 860).

L’argument qu’elle avance est que les élèves doivent pouvoir se sentir bien à l’école qui est comme leur deuxième maison ; ils doivent, par conséquent pouvoir donner leur avis. Elle explique que les élèves seraient capables de comprendre que certaines de leurs demandes ne puissent pas être satisfaites, à condition qu’on leur explique les véritables raisons du refus (Dizine 827).

Dans un premier temps, les améliorations que suggère Dizine sont plus de l’ordre de la consultation des élèves que de celui de leur participation effective à l’élaboration des règles. (Dizine : 608). Mais, à la fin de l’échange, on comprend qu’elle souhaite non seulement que les élèves puissent donner leur point de vue, mais que celui-ci soit pris en considération au moment de décider des règles (Dizine : 977) ; elle suggère même que les règles soient votées et adoptées à la majorité (Dizine : 821).

Même si les demandes des élèves n’étaient pas honorées, elle pense qu’ils respecteraient quand même les règles s’ils en comprenaient le bien-fondé. Pour cela, il faudrait que les adultes leur expliquent ce qui les justifie (Dizine : 848). Autrement dit, pour inciter les élèves à se conformer aux règles, il faut les convaincre de leur utilité : « Les convaincre [les élèves], leur parler, leur dire pourquoi. Pourquoi c’est préférable de mettre cette règle. Pourquoi pas? » (Dizine : 818).

Dizine, qui considère que le contrôle est parfois exercé de façon excessive, souhaiterait plus d’indulgence de la part des adultes lorsqu’un élève enfreint une règle pour la première fois (Dizine : 451). Bien que dans certains cas, il faille sanctionner sévèrement, comme quand la sécurité est en jeu, elle considère qu’il y a d’autres moyens que les suspensions qui ont pour effet de retarder l’élève dans ses études.

S’absenter à plusieurs fois, comme deux ou trois fois pas motiver son absence [on est] suspendu, on peut le régler avec leur parents ou avec les élèves, mais pas être suspendu. Je sais pas ça sert à quoi. Comme on va être en retard [par rapport] aux autres pour les études. (Dizine : 465).

De son point de vue, dans le cas d’absences répétées, il faudrait que les adultes cherchent à aider l’élève en essayant de comprendre d’où vient le problème et en établissant avec lui une relation de confiance. (Dizine : 492)

Dizine estime par ailleurs que, si les cours étaient plus intéressants, les élèves seraient plus attentifs et n’enfreindraient pas les règles. Elle fait une longue parenthèse pour expliquer que le point de vue de l’élève n’est pas pris en compte par les enseignants qui pensent « tout savoir » ; alors qu’ils devraient s’inspirer de ceux qui partagent leur façon de voir avec leurs interlocuteurs et qu’elle appelle les philosophes.

La différence entre un philosophe et un professeur, c’est que les professeurs ils pensent qu’ils savent tout et ils vont le mettre dans la tête des élèves à force. Vu que le philosophe ils pensent que, comme, ils savent rien, alors ils vont mettre leur point de vue avec les élèves et trouver un moyen pour ça. (Dizine : 663).

Comme on peut s’y attendre de la part d’une élève qui se dit victime d’inégalité de traitement, Dizine estime que les règles devraient être appliquées de façon impartiale « [Règles essentielle] Y’a aussi l’égalité entre tous les élèves et par rapport au professeurs, ne pas avoir des chouchous. » (Dizine : 926).

Tableau 4.41
Rapports aux règles : Dizine

Sans donner l’impression d’être une élève indisciplinée, Dizine n’apparaît pas non plus comme une jeune fille docile ; c’est ce qui ressort du tableau 4.41. D’ailleurs, elle reconnaît ne pas toujours respecter les règles : « Moi, je respecte des règles, ça dépend. De temps en temps [rire] » (Dizine : 648). On comprend toutefois dans ses propos qu’elle respecte les règles dont elle comprend le bien-fondé : « Si l’élève comprend l’utilité des règles il va respecter ». (Dizine : 845).

À mesure que se déroule l’entretien, le ton qu’elle emploie devient plus contestataire. Pour elle, tout ce qui ne dérange pas les autres devrait être permis : « Je pense que tu peux faire ce que tu veux, pourvu que ça dérange pas les autres. » (Dizine : 410). Elle raconte par exemple qu’il lui arrive d’écouter son baladeur « le volume pas trop fort » et de lire un livre qui l’intéresse quand elle considère qu’un cours manque d’intérêt (Dizine : 652) et n’hésite pas à tenir tête à l’enseignant

Il a dit « ah ben qu’est-ce qui t’intéresse dans ce cours? » C’est comme « c’est écouter la musique et le livre qui m’intéressent dans ce cours parce que ce que vous dites, ça m’intéresse pas parce que c’est répétitif, j’en ai marre de ça ». C’est ce que j’ai dit. Des fois, je respecte des règles des fois non. (Dizine : 678).

D’après ce qu’elle dit, elle n’aurait cependant pas de problèmes de discipline, excepté les bavardages qui lui valent d’être souvent mise à la porte de la classe (Dizine : 740).

Bien qu’il lui arrive de se confronter aux enseignants, Dizine se plie dans certains cas à leurs exigences pour ne pas être pénalisée dans son bulletin scolaire. « Moi j’ai pas envie de faire ce que le prof me demande et je suis supposée de le faire parce que ça compte […] dans mon bulletin comme, j’ai pas envie de le faire, mais ils me forcent à le faire. » (Dizine : 701).

On peut déceler chez Dizine, une tendance à contester les règles qui lui semblent inacceptables. Faisant référence à une grève grâce à laquelle les élèves ont obtenu satisfaction au sujet d’une règle leur interdisant d’entrer ou de sortir de l’école pendant l’heure du déjeuner, Dizine observe l’efficacité de ce moyen de pression (Dizine : 588). À ses yeux, si les élèves unissent leurs efforts et ont le courage de leurs opinions, il leur est alors possible d’influencer les décisions : « Y’a moyen ouais. Alliance de tous les élèves où tu t’es promis de ne pas avoir peur pour dire leur idée » (Dizine : 600)

D’ailleurs elle revient sur ce point à la fin de l’entretien affirmant en d’autres termes que l’union fait la force. « Quand on est beaucoup, quand la majorité est contre une règle, alors…. Pour ne pas causer de problème pour quoi que ce soit, pour faire satisfaire les élèves, ils doivent éliminer leur règle, ne pas mettre leur règle. » (Dizine : 874).

L’entretien avec Dizine apporte des éléments qui nous permettent d’atteindre les objectifs spécifiques que nous nous étions fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

De son point de vue, la sécurité est la principale raison d’être des règles à l’école. Le respect des personnes et de l’environnement sont également au nombre des raisons qu’elle mentionne. (1er objectif)

Ce qu’elle dit de la mise en œuvre des règles laisse penser que celles qui concernent le code vestimentaire sont appliquées de façon plus stricte que d’autres règles, comme celles de l’écoute et du respect, notamment. Par ailleurs plusieurs enseignants feraient du favoritisme en traitant différemment leurs « chouchous » des autres élèves (2ème objectif).

L’attente que Dizine exprime avec le plus d’insistance concerne la prise en compte du point de vue des élèves tant au plan pédagogique que pour l’élaboration des règles. Elle fait cependant montre de modération dans les demandes qu’elle voudrait adresser et se dit prête à comprendre qu’il ne soit pas toujours possible d’obtenir satisfaction. Néanmoins pour que les élèves acceptent de se conformer aux règles, il faut leur expliquer les raisons qui justifient les décisions dans ce domaine (3ème objectif).

Bien que la directrice de niveau parle de Dizine comme d’une jeune fille « bien », on peut penser, à travers les propos qu’elle tient, qu’il lui arrive de tenir tête à ses enseignants et de refuser d’obéir. Comme nous l’avons vu, son ton change progressivement au fil de l’entretien pour devenir plus revendicatif. Si dans certains cas, elle obéit aux règles, c’est dit-elle, parce qu’elle n’a pas le choix car elle ne veut pas être pénalisée. Mais, il lui arrive de transgresser les règles quand elle estime qu’un cours est ennuyeux et répétitif.