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4.2.3.1Nikki (1)

Nikki fut la première à manifester son intérêt à participer à la recherche ; la question des règles est un sujet dont elle veut parler « pour une fois » qu’elle en a l’occasion. Âgée de 17 ans au moment de l’entretien, Nikki semble avoir un emploi du temps très chargé. En dehors des heures de classe, elle travaille plusieurs soirs par semaine et est engagée dans l’organisation d’un « concours de danse » à l’école.

Nikki donne l’impression d’être une personne curieuse et loquace. À l’occasion d’échanges informels, elle a posé des questions au sujet de cette thèse dont elle a dit vouloir une copie. Au cours de nos discussions, il est apparu qu’elle avait fréquenté des classes enrichies (23) jusqu’en 5ème secondaire et qu’elle avait la « réputation de quelqu’un qui a toujours quelque chose à dire ». Plus tard elle voudrait « faire du droit criminel ». Son enthousiasme à participer et sa loquacité ont grandement facilité le déroulement de ce premier entretien individuel au cours duquel elle dit s’être sentie très à l’aise. « Ah, c’était le fun, je me sens confortable, […] j’suis pas obligée de tout reformuler […] j’suis capable de dire, de parler en joual. ».

Tableau 4.6
Raisons d’être des règles : Nikki

Dans le tableau 4.6, on constate que le contrôle est pour Nikki la principale raison d’être des règles, c’est d’ailleurs la première qu’elle mentionne au cours de l’entretien. Le contrôle s’apparente, dans son esprit, à une forme de domination de la part des adultes. « Le contrôle ben la direction, […] comme on dirait que eux y’ont le droit de faire qu’est-ce qu’ils veulent là, ils nous fait pas peur ben leurs idées! ». (Nikki : 52).

À ses yeux, bien des règles en vigueur sont là pour servir les intérêts des adultes, « pour leur faciliter la tâche » (Nikki : 900), ou simplement pour satisfaire leur bon plaisir. « C’est juste selon eux là qu’est-ce qui est bon, qu’est-ce que eux ils vont avoir plus de facilité à travailler avec. » (Nikki : 583).

Cette représentation des règles au service des adultes pourrait bien venir de son incompréhension du bien-fondé des règles dont la transgression ne nuit à personne et qu’elle qualifie de « stupides » (Nikki : 252). « Juste des affaires exagérées des fois […] comme le bandeau. Voyons donc là! Ça dérange personne! » (Nikki : 1219).

Bien que manifestement frondeuse dans le ton qu’elle emploie, Nikki ne remet toutefois pas en question les règles dont elle comprend la nécessité, comme le respect, « J’suis complètement d’accord avec des règles qui ont de l’allure. Ouais comme le respect, faut lever la main avant de parler, c’est quand même bon j’trouve. » (Nikki : 328).

Le bon fonctionnement de l’école est également une raison qui justifie certaines règles à ses yeux. « Ben pour avoir le bon fonctionnement dans un sens oui j’suis d’accord avec ça. […] que tout le monde se respecte pis que on ait une bonne image de l’école. » (Nikki : 906).

Bien qu’il lui soit difficile de se conformer à certaines règles (la ponctualité notamment), Nikki estime néanmoins que ces exigences reflètent, par extension, celles prescrites dans certains milieux professionnels. En ce sens, l’école prépare les élèves à leur vie future. « T’sais c’est sûr que ça va nous servir ça plus tard dans la vie […] Mais c’est juste que ils nous font apprendre maintenant. » (Nikki : 914).

Tableau 4.7
Mise en œuvre des règles : Nikki

Comme l’indique le tableau 4.7, Nikki n’aborde la question de la mise en œuvre qu’à quelques occasions pour expliquer qu’elle varie d’un professeur à l’autre (Nikki : 673) et que les règles sont appliquées de façon inégale selon les élèves sans qu’elle en comprenne toujours la raison.

Mettons y’a quelqu’un qui va avoir comme plus que vingt retards, pis quelqu’un qui va avoir juste trois, quatre retards ben cette personne là va avoir une retenue pis l’autre elle en aura pas. (Nikki :446).

Ça dépend euh… je le sais pas. Si tu connais la personne ou je le sais pas sur quoi qu’ils se basent! (Nikki : 501).

Elle observe que la mise en œuvre dépend notamment de l’âge des élèves qui, en vieillissant, peuvent « passer des ententes » avec les enseignants (Nikki : 446), les arrangements pouvant parfois aller à l’encontre des règles inscrites dans l’agenda, comme l’interdiction d’écouter un baladeur en classe. « Comme le prof elle sait qu’on travaille, pis c’est un cours relax en arts plastiques, pis des fois on écoute notre musique. [tant] qu’on n’écoute pas pendant qu’elle explique. » (Nikki : 421).

Tableau 4.8
Améliorations attendues : Nikki


À la lecture du tableau 4.8, on observe que les améliorations attendues par Nikki concernent essentiellement la prise en considération du point de vue des élèves dans les décisions relatives aux règles. « On a en fait, aucun droit de revendiquer les règles. […] On n’a pas le droit à nos opinions. On a le droit [de] dire qu’est-ce qu’on pense, mais ça fera rien. » (Nikki : 799).

Elle regrette qu’aucune consultation ne soit menée auprès des élèves avant de décider d’une règle et suggère à plusieurs reprises des moyens concrets pour connaître leurs opinions. « Ils peuvent juste passer dans les cours remettre des feuilles aux élèves pis, [leur faire] marquer toutes les règles pis des suggestions que eux ils veulent ; pis prendre au moins ça en considération quand ils font des règles. » (Nikki : 856).

Non qu’il faille faire tout ce que veulent les élèves, mais, qu’au moins, un effort soit consenti pour tenir compte de leurs points de vue. « Si mettons au moins ils demandent […] on n’est pas obligé de faire qu’est-ce que les élèves veulent faire. On peut faire comme une entente. » (Nikki : 293).

Nikki pense que s’il était possible de « passer des ententes » qui tiennent compte des points de vue des adultes et de ceux des élèves, ces derniers respecteraient les règles. Elle insiste sur ce point à plusieurs occasions. « Ce serait entre les deux. […] Entre qu’est- ce que la direction pense et les élèves qu’est-ce qu’ils pensent. [...] Comme ça tout le monde est d’accord, Pis tout le monde va le suivre. » (Nikki : 754).

Elle regrette que les règles qu’elle considère comme étant importantes soient celles sur lesquelles les enseignants sont les moins intransigeants. « Ben comme le téléavertisseur t’sais quand ça sonne tout le temps c’est sur que c’est fatiguant […], pis les profs sont […] pas aussi stricts pour ça. » (Nikki : 238).

Nikki suggère également des améliorations en matière d’égalité face aux règles, elle explique que si les adultes s’autorisent à les enfreindre, les élèves peuvent en faire autant. « Pourquoi y’ont le droit de faire ça? Moi je vais faire ce que je veux » (Nikki : 220).

Tableau 4.9
Rapports aux règles : Nikki

Le tableau 4.9 donne un aperçu des rapports que Nikki entretient avec les règles et l’autorité chargée de les appliquer. Elle affirme qu’elle n’a pas peur de dire ce qu’elle pense, d’ailleurs elle n’a pas voulu prendre de pseudonyme affirmant n’avoir pas besoin de garder l’anonymat.

Nikki établit une distinction entre le respect de règles intériorisées et l’obéissance par peur des conséquences. Pour elle, la conformité aux règles ne devrait pas reposer sur la crainte des sanctions, « c’est quelque chose que tu le fais à cause que ça te fait plaisir de le faire » (Nikki : 1244). D’ailleurs, dans son cas, les sanctions ne la dissuadent pas de transgresser les règles qu’elle conteste. Quand elle n’est « pas d’accord avec les règles » elle fait « le contraire » (Nikki : 263) et ajoute : « donne-moi mes conséquences pis on en finit là t’sais ». (Nikki : 816).

Elle donne à voir un tempérament impétueux et emploie à l’occasion, un ton qui laisse penser qu’elle voit la relation avec les adultes comme un jeu ou un rapport de force dans lequel les élèves ne peuvent « jamais gagner » (Nikki : 825) quand ils « s’obstinent avec un prof » (Nikki : 120).

L’entretien avec Nikki fournit des éléments qui ont permis d’atteindre les objectifs spécifiques que nous nous étions fixés : circonscrire les fonctions qu’ils attribuent aux règles (1er objectif) ; identifier les règles qui, à leurs yeux, sont valorisées par l’école (2ème objectif) et discerner les conditions qui peuvent, selon eux, favoriser, le consentement aux règles à l’école (3ème objectif).

Dans le cas des fonctions qu’elle attribue aux règles, on peut mentionner le respect de chacun, mais pour ce qu’elle observe, les règles servent avant tout les intérêts des adultes (1er objectfif).

D’ailleurs, ces derniers les appliquent de façon inégale, sans qu’elle comprenne les critères utilisés par les enseignants. Elle constate, par ailleurs, que les règles les mieux appliquées, donc celles qui sont valorisées par l’école, sont les moins importantes à ses yeux (2ème objectif).

Les améliorations qu’elle envisage concernent essentiellement la prise en considération des points de vue des élèves, notamment en leur permettant de participer à l’élaboration des règles. C’est d’ailleurs, pour elle, un moyen de faire en sorte que les règles soient respectées (3ème objectif).

Contestataire dans ses propos, Nikki dit ne respecter que les règles dont elle comprend le bien-fondé et ne pas craindre les conséquences de ses transgressions.


(23)« Classes de bolés ».